Les larmes retenues de Calvin

© Laetitia Lafrance / 2016

© Laetitia Lafrance / 2016

Dominique Ziegler crée plus vite que son ombre. Après avoir monté, en quelques mois La Route du Levant, face-à-face entre un djihadiste et un agent de la république, et Ombres sur Molière en alexandrins, le metteur en scène genevois présente Calvin, un monologue, réflexion et fragments de vie du plus célèbre des réformateurs.

Publié le 28 avril 2016


Par Luisa Ballin

Une minuscule chapelle au cœur de la Vieille Ville de Genève, à quelques pas de la cathédrale St-Pierre et du beau Musée International de la Réforme. Des bougies pour seule lumière. Messe noire, au cœur de la Cité de Calvin? Rêve éveillé? Réalité transposée? Un homme s’avance. Visage émacié, barbiche grise et robe noire à collerette blanche. Il s’arrête, parle d’une voix tour à tour douce et ferme, toutes larmes retenues, à une forme qui représente son enfant trop tôt décédé. Puis il s’adresse aux fidèles venus l’écouter. L’homme ressemble à Calvin. Il est Calvin. Revenu pour quelques soirs hanter la ville qui après l’avoir banni, l’a fait entrer dans l’Histoire.

Calvin se remémore. Le théologien explique, l’homme se confie, le citoyen s’insurge. Contre les bourgeois qui l’ont chassé. Puis rappelé. Première d’une série de Genferei dans l’histoire de cette ville que la foi implacable de Calvin fera entrer dans la postérité, au rang de capitale mondiale de la Réforme. Rome protestante au destin de cité refuge. Hier, comme aujourd’hui.

Dominique Ziegler veille sur le pas de porte à l’entrée de cet antre propice aux confidences. Calvin, il l’a découvert par hasard, dit-il, «de façon mercantile», dans le cadre des célébrations autour des 500 ans du pape de la Réforme. «On m’avait passé commande d’une grande fresque. Je m’y suis attelé avec l’auteur Nicolas Burri et pendant que je cherchais qui était ce bonhomme, je me suis mis dans sa tête. Les thèmes qu’il évoquait me parlaient. Le résultat est cet impromptu que nous présentons à Genève.»

Une vie, une théologie. Dominique Ziegler imagine, illumine Calvin le ténébreux, de moments en clair obscur, avec des fulgurances et des saillies d’humour. «À Genève, la mentalité et les institutions politiques ont été solidifiées par Calvin. Grand bonhomme mais bonhomme encombrant, dans la mesure où il avait une vision du monde obscure, avec une spiritualité très particulière. Hommes, femmes, enfants, tous sont condamnés dès la naissance selon lui, à part quelques-uns, suivant sa thèse de la prédestination. La discipline de Calvin blâme le plaisir, avec pour conséquence une mentalité dont on trouve encore trace aujourd’hui», explique-t-il.

Calvin, chantre du travail et des Écritures, précurseur de thèses qui expliqueront l’essor du capitalisme et l’avènement de la finance et ses secrets, selon le metteur en scène genevois. «Tout se passe dans la discrétion, sans ostentation, pour déboucher sur l’impulsion du capitalisme, avec pour exemple patent les États-Unis et leur devise: In God we trust. Calvin a été le moteur a propulsion d’un mouvement historique que l’on a un peu oublié», estime Dominique Ziegler. Qui fait dire à un Calvin ironique: «Nul doute que la parole du Christ va essaimer. Alors que c’est l’inverse de ce que Calvin voulait qui s’est produit, avec tous les abus qu’il dénonçait.»

Dans sa pièce au décor spartiate, en parfaite syntonie avec la rigueur de l’incontournable personnage de l’histoire genevoise que fut Calvin, interprété tout en finesse, en retenue et en courroux par Olivier Lafrance, Dominique Ziegler prend le contrepied de l’histoire officielle qui dépeint Calvin de façon trop édulcorée à son goût. «Calvin était à la fois révolutionnaire et réactionnaire», estime le metteur en scène genevois. Voire intégriste, en résonance avec ce qui se passe aujourd’hui dans certains pays. «À l’heure de l’Iran et de Daech, il y a des corrélations claires: il faut se soumettre à Dieu, le guide suprême.»

Olivier Lafrance interprète Calvin. © Laetitia Lafrance / 2016

Olivier Lafrance interprète Calvin. © Laetitia Lafrance / 2016

Et Dominique Ziegler de préciser: «En étudiant Calvin, j’ai mieux compris ce que j’avais écrit sur le djihad. L’idée de Dieu est si forte que l’on peut perdre son fils et certains peuvent aller jusqu’à tuer des gens, si c’est au service d’une cause. Ce qu’il y a de gaguesque, si l’on adopte l’humour au deuxième degré, c’est que lui, Calvin, qui s’opposait aux curés qu’il dénonçait de vouloir jouer les intermédiaires entre Dieu et les fidèles, a fini par faire de même.»

Dans sa pièce, l’homme de théâtre met Calvin face à ses contradictions: «Il est révolutionnaire parce qu’il change un ordre ancestral de quinze siècles. Et il est réactionnaire lorsqu’il prône le respect des hiérarchies, en se rangeant du côté d’un pouvoir qui condamne les paysans.»

Parmi les spectateurs, un pasteur. Qui, s’il salue la justesse au niveau des événements évoqués, regrette que Dominique Ziegler ait dépeint un Calvin très sombre. «Certes, Calvin aimait la nature et les cantiques. Mais il stigmatisait la musique, qui selon lui corrompt l’âme. Et il avait une vision du monde extrêmement noire, même pour son époque. Calvin parfois se contredit. Il déclare que Dieu est bon et qu’il a donné la vie à l’Homme malgré le pêché originel. Tout en affirmant que Dieu condamne l’être humain dès sa naissance et que seuls quelques privilégiés seront sauvés.»

Look de rocker, cœur d’anarchiste, féru d’histoire et de géopolitique à la vaste culture, Dominique Ziegler a-t-il été séduit par Calvin? Clin d’œil et pirouette subtile en guise de conclusion. «Les protestants que j’ai côtoyés pour la préparation de cette pièce se sont montrés ouverts à l’investigation, avec un sens du débat et un esprit critique », répond-il, avant de se projeter vers son prochain défi, «une pièce sur Lénine».

En attendant de découvrir la pièce sur le révolutionnaire russe qui séjourna à Genève, le Calvin de Ziegler fait chapelle comble. Des prolongations sont envisagées. La saison 2016-2017 permettra en outre aux admirateurs du metteur en scène genevois de revoir quelques-unes des pièces qui ont fait sa réputation. Il reprend Ombres sur Molière en tournée dans toute la Suisse romande, ainsi que La Route du Levant au Théâtre Alchimic, à Genève. Par ailleurs, Dominique Ziegler propose, au mois de juin, au Théâtre du Grütli, à Genève, dans le cadre du festivalPlein tube,  la pièce qui l’a fait connaître, N'Dongo revient.

Dates et horaires:  www.dominiqueziegler.com


Calvin, un monologue, de Dominique Ziegler

Chapelle St-Léger, 20 rue St-Léger, 1204 Genève

Horaires : Lundi, Mardi, Mercredi, Vendredi, Samedi : 20h
| Dimanche : 18h | Relâche : Jeudi

Billetterie à l’entrée. Réservation 077 433 66 34
ou par courriel: calvinmonologue@gmail.com

En partenariat avec le Musée International de la Réforme (MIR)

Autour de Calvin, visites guidées inédites,
par Olivier Fatio, fondateur du Musée.
Informations et inscription www.mir.ch

 

Luisa Ballin