Un «objet de l’exil» pour garder une partie de son pays avec soi
La galerie Focale à Nyon présente l’exposition intitulée L’objet de l’exil de la photographe chilienne Vivian Olmi mêlant un travail photographique de qualité et un regard juste sur les jeunes immigrés en Suisse. Mais surtout, l’artiste laisse les exilés s’exprimer.
Ekatérina Soldatova
16 août 2017
Vivian Olmi, hormis le fait que l’exil et les migrations sont un sujet chaud, est-ce votre propre vécu qui vous a motivée à réaliser ce projet photographique?
Vivian Olmi: L’exposition est en partie autobiographique. J’ai quitté mon pays natal, le Chili, à l’âge de 20 ans. J’ai toujours eu ce projet en tête, mais je n’ai pas forcément eu la possibilité de le concrétiser. Il se trouve cependant que mon époux Christophe Fovanna, journaliste, enseigne à présent dans une classe d’accueil au collège de Béthusy à Lausanne. Cette situation a facilité l’aboutissement de ce travail: Christophe a mené une enquête afin de savoir si les élèves des classes d’accueil possédaient un objet de leur pays natal avec eux. Il s’est avéré que tous, excepté les mineurs non-accompagnés, en détenaient un. Il a fallu ensuite demander leur accord à tous les élèves, ainsi qu’aux parents des enfants mineurs. M. Borgeaud, directeur de l’établissement, a également tenu à ce que tous les étudiants soient photographiés sans exception pour éviter l’exclusion.
S’agit-il finalement d’un travail collectif?
C’est décidément un projet collectif. D’une part, comme je l’ai rappelé, l’accord de quatre classes d’accueil a été nécessaire. Les quatre maîtres responsables chacun d’une classe d’accueil ont aidé leurs élevés à écrire leurs textes dans un français correct. D’autre part, il a fallu faire appel à un traducteur pour rassurer et expliquer le projet aux mineurs non-accompagnés, arrivés trois mois auparavant, qui ne maîtrisaient pas la langue française. Certains adolescents, voire une classe entière, ont d’abord refusé de se faire photographier. J’ai alors pris des clichés de ceux qui avaient accepté en premier lieu pour les montrer ensuite aux élèves plus réservés. Et mon approche a fonctionné. C’était une véritable collaboration. Mais la participation des jeunes immigrés est allée encore plus loin: il était important pour nous et pour eux qu’ils justifient leur choix d’objet par écrit, dans leur langue maternelle que Christophe Fovanna a ensuite traduit dans un français simple afin de rendre les écrits accessibles. L’enseignante de dessin a aidé les mineurs non accompagnés à la réalisation de la représentation de l’objet qu'ils auraient aimé amener.
En ce qui concerne votre démarche photographique, tous les sujets ont été photographiés de face. Pourquoi?
Je voulais éviter une position de «voyeur». J’ai alors privilégié un contact face-à-face parce que c’est une position simple qui me paraît naturelle et qui montre la vulnérabilité de l’être humain. Car regarder quelqu’un en face, c’est ôter un masque que chacun de nous porte dès l’adolescence. La première élève que j’ai photographiée s’était mise dans cette position naturellement, elle a ainsi confirmé mon choix.
Je voulais également que les immigrés soient dignes sur ces images, peu importe leur provenance. Je désirais que même les mineurs traumatisés laissent tous leurs soucis liés au passé de côté pour ces clichés. Car, malgré les circonstances, ils ont tous un avenir devant eux.
La plupart des objets présentés par ces jeunes immigrés sont des photographies de proches. Aux exilés, la famille manque-t-elle plus que le pays?
J’estime qu’il s’agit d’une affaire personnelle qui dépend des conditions de séparation. En ce qui me concerne, l’objet qui me tient à cœur est un album photo avec une gravure représentant un paysage chilien. Il reflète ainsi l’attachement que j’ai pour mon pays, mais il représente aussi un souvenir et une fierté: je l’ai gagné à un concours de natation dans mon adolescence.
Je me suis d’ailleurs rendue compte, durant ce travail, que de nombreux enfants avaient apporté des photos de classe. Les copains, c’est très important aussi. Une élève a serré son cadre photo dans ses bras comme si toute sa classe était encore avec elle. Elle en pleurait. Les adolescents s’éloignent souvent de leurs parents. C’est l’âge de la rébellion. Et quoi qu’il arrive, quand il n’y a plus de famille, il reste les amis. Beaucoup de mineurs non-accompagnés ont vu leurs parents mourir devant leurs yeux. Dans ce cas, la famille passe avant le pays, avant tout.
Qu’a signifié pour vous la décision de quitter votre pays, le Chili?
Quitter son pays est un déchirement. Même si je me suis bien intégrée en Suisse, même si j’ai des amis suisses mais aussi de nationalités différentes, je resterai Chilienne. Les racines sont très importantes. Lorsqu’on quitte son pays, on emporte une partie de ses origines avec soi. C’est pourquoi j’ai décidé de mettre les objets en avant pour cette exposition.
www.focale.ch
Un livre au sujet de l’exposition paraîtra en fin d’année aux éditions Till Schaap à Berne