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Hani Abbas, le dessin pour résister à la barbarie

13 septembre 2016

Lorsqu’il montera, vendredi 16 septembre au soir, sur le podium du Victoria Hall de Genève, à l’occasion du concert de l’Orchestre de la Suisse romande (OSR) en faveur de la Fondation Cartooning for Peace, le dessinateur de presse syro-palestinien Hani Abbas, exilé à Genève, aura une pensée émue pour ses confrères et ses compatriotes restés sous les bombes en Syrie. Et il se dira qu’un dessin peut changer un destin.

Le dessin qui a changé le destin de Hani Abbas. © Fondation Suisse Cartooning for Peace

Le dessin qui a changé le destin de Hani Abbas. © Fondation Suisse Cartooning for Peace

 

Lorsqu’il montera, vendredi 16 septembre au soir, sur le podium du Victoria Hall de Genève, à l’occasion du concert de l’Orchestre de la Suisse romande (OSR) en faveur de la Fondation suisse Cartooning for Peace, le dessinateur de presse syro-palestinien Hani Abbas, exilé à Genève, aura une pensée émue pour ses confrères et ses compatriotes restés sous les bombes en Syrie. Et il se dira qu’un dessin peut changer un destin.

 

Luisa Ballin
13 septembre 2016

Le regard d’un artiste peut-il dénoncer l’indicible? Hani Abbas, dessinateur né en 1977 dans le camp de réfugiés palestiniens de Yarmouk dans la banlieue de Damas, avait posté un croquis sur Facebook en 2012, immortalisant un soldat humant, entre les bottes d’autres militaires, le parfum d’une fleur rouge symbole de la révolte syrienne. Le pouvoir en place à Damas n’avait pas apprécié. Le dessinateur avait été menacé. Contraint de fuir la Syrie avec sa femme et son fils, Hani Abbas avait trouvé refuge, dans un premier temps, dans un camp au Liban avant d’arriver en Suisse, terre d’exil où il continue de dénoncer l’horreur d’une tragédie par son talent et un sens de l’humour décapant.

Pour son ami, le dessinateur suisse d’origine libanaise, Patrick Chappatte, qui dessinera en direct vendredi soir avec son compère français Plantu au Victoria Hall au rythme de la Troisième Symphonie dite Héroïque de Beethoven, membre comme Hani Abbas et Plantu du réseau Cartooning for Peace / Dessins pour la Paix, «Hani c’est le courage en dessins. Son travail représente l’humanité, la décence et l’humour qui survivent à tout, même à cet enfer sur terre qu’est la Syrie», déclare-t-il à La Cité.

Genève avait découvert le talent de Hani Abbas en mars 2014, lors de l’exposition de quelques-unes de ses œuvres au Café-Restaurant du Grütli, dans le cadre du Festival du film et Forum international sur les droits humains (FIFDH). Un homme venu rejoindre discrètement son épouse Rachida Brakni, jurée au Festival, avait été impressionné par le coup de crayon de Hani Abbas. Et l’acteur et ancien footballeur Eric Cantona d’acquérir plusieurs planches du dessinateur syro-palestinien.

 
Chappatte, Hani Abbas et Plantu. © Fondation Suisse Cartooning for Peace

Chappatte, Hani Abbas et Plantu. © Fondation Suisse Cartooning for Peace

 

Quelques mois plus tard, Hani Abbas recevait, avec la dessinatrice égyptienne Doaa, le Prix international du dessin de presse remis par la Ville de Genève et Cartooning for Peace, des mains du conseiller administratif Guillaume Barazonne (aujourd’hui Maire de Genève) et de l’ancien secrétaire général de l’ONU Kofi Annan, président d’honneur de Cartooning for Peace. Un bonheur ne venant jamais seul, dit-on, la Suisse accordait ensuite l’asile politique à Hani Abbas. Rencontré quelques semaines plus tard, le dessinateur syro-palestinien, casquette vert-olive et tout sourire, montrait fièrement les clés de l’appartement dans lequel il allait habiter avec sa famille.
 
Deux ans après Hani Abbas est devenu père d’un deuxième enfant. Son fils aîné fréquente l’école à Genève et lui enseigne le français, assure-t-il. Le dessinateur, qui fut également enseignant en Syrie, publie régulièrement ses dessins dans L’Hebdo et ses croquis sont également relayés sur Facebook, où il compte un bataillon d’admirateurs. Mais s’il dit sa joie d’être sorti de l’enfer syrien et d’exercer son art en Suisse, le dessinateur syro-palestinien ne cache pas que son esprit est resté dans sa patrie meurtrie. Sa seule arme de conviction massive pour résister à la barbarie qui détruit la Syrie reste son crayon et ses convictions.

Le Prix international du dessin de presse et le soutien de la Ville de Genève et de Cartooning for Peace — qui vient concrètement en aide aux dessinateurs menacés dans leur pays ou ayant perdu leur travail — a été, dit-il, le grand événement de sa vie. «Il m’a donné l’énergie de continuer de dessiner. Pour ma famille. Pour les gens qui m’aident. Pour les journalistes, activistes et caricaturistes restés en Syrie. Et pour mes amis emprisonnés ou assassinés.»

 
Kofi Annan, Guillaume Barazzone et Hani Abbas. © Fondation Suisse Cartooning for Peace

Kofi Annan, Guillaume Barazzone et Hani Abbas. © Fondation Suisse Cartooning for Peace


Vendredi 16 septembre, 20h00
Victoria Hall de Genève


Concert de l’Orchestre de la Suisse Romande dirigé par le chef hollandais Antony Hermus,
offert par la Fondation de l’OSR en faveur de la Fondation Suisse Cartooning for Peace,
Avec une performance en direct et sur écran géant des dessinateurs Chappatte et Plantu.
Cet événement sera retransmis par la RTS, TV5 Monde et Arte à des dates non encore déterminées.

Informations: cliquez ici.

Réservations anticipée: cliquez ici.

Billets également en vente le soir du concert
au Victoria Hall - Rue du Général-Dufour 14, 1204 Genève

 

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«We Are Europe», l’union européenne de la culture

9 juin 2016

Dans une Europe secouée par la crise économique et la montée des populismes, de nouveaux mouvements citoyens émergent. Initié par l’association française Arty Farty, un vaste projet de coopération culturelle vient d’être lancé dans huit pays: We Are Europe. Un laboratoire d’idées qui propulse la culture electro, numérique et indépendante sur le devant de la scène.

Par Maïté Darnault et Daphné Gastaldi / WeReport

© Festival Insomnia / Norvège / DR

© Festival Insomnia / Norvège / DR

 

Dans une Europe secouée par la crise économique et la montée des populismes, de nouveaux mouvements citoyens émergent. Initié par l’association française Arty Farty, un vaste projet de coopération culturelle vient d’être lancé dans huit pays: We Are Europe. Un laboratoire d’idées qui propulse la culture electro, numérique et indépendante sur le devant de la scène.

 

Maïté Darnault et Daphné Gastaldi / WeReport
9 juin 2016

«Une culture debout, c’est une culture qui reprend sa liberté.» La phrase est brute, le ton animé. Norbert Merjagnan est écrivain de science-fiction. Entre Nuit debout* qu’il a suivi à Paris et sa table de travail, l’auteur des Tours de Saramante planche sur les mutations du secteur culturel dans nos sociétés européennes. Un futur proche. Aux côtés des maîtres français de science-fiction, Alain Damasio, David Calvo ou Catherine Dufour, Norbert Merjagnan fait partie du collectif Zanzibar qui prétend «désincarcérer le futur». Début mai, ils étaient les invités de l’European Lab, le forum dédié aux acteurs de l'innovation culturelle qui s'est déroulé pendant le festival electro Nuits Sonores, à Lyon, piloté par l’association Arty Farty. Cette dernière est également à l'initiative du projet We Are Europe.

France donc, mais aussi Espagne, Allemagne, Pays-Bas, Serbie, Grèce, Norvège et Autriche: durant trois ans, huit festivals s'unissent pour mener, en parallèle de leur programmation artistique, une réflexion commune sur les lendemains d'une culture métamorphe. Afin d'établir un état des lieux des tendances émergentes et de mettre en avant les innovations. Troisième étape des huit rendez-vous prévus chaque année, le festival espagnol Sónar, du 16 au 18 juin. En 2016, les échanges se focaliseront sur une révolution de l’entrepreunariat culturel. «Je suis pour une forme d’autonomie culturelle. Le pop art a par exemple été totalement récupéré par le monde industriel. Il faut trouver des espaces, des temporalités plus libres», argue Norbert Merjagnan. Avant d’être plus radical, prônant un «No culture» dans une lignée punk.

Chaque festival et son forum citoyen accueille ainsi deux autres partenaires européens, en leur offrant une carte blanche, animée par des artistes et des acteurs du secteur. Sónar+D s'apprête ainsi à partager sa tribune avec les festivals Reworks (Grèce) et Elevate (Autriche). Les universités, telles celles de Barcelone, de Belgrade ou l'Académie des arts de La Haye sont également associées «avec des dispositifs de mobilité des publics Erasmus», détaille Meryl Laurent, chargée de mission pour Arty Farty: «Par exemple, un étudiant de Cologne en échange à Lyon pourrait devenir l'un des ambassadeurs de We Are Europe. Nous appartenons à la génération Schengen, Airbnb ou Easyjet. Il y a un véritable travail à mener sur l'idée de frontières.»

Rien d'étonnant à ce que Sónar, né à Barcelone en 1994, fort de 120 000 festivaliers et d'un budget de 7,5 millions d'euros, soit le «père spirituel» des autres événements, selon le terme de Meryl Laurent: l'Espagne est tout à la fois pionnière de la popularisation de la musique electro et des mouvements «indignés» d'Europe. Pourtant, ce n'est qu'en 2013 que son avatar Sónar+D, a été lancé en parallèle des nuits enfiévrées de concerts, avec un programme « de jour », mêlant rencontres, conférences et workshops.

Hormis le vétéran espagnol, tous ces festivals fédérés par We Are Europe, electro pour la plupart, ont vu le jour passé le cap du nouveau millénaire, à la faveur de l'institutionnalisation croissante de ce genre musical. Pour certains tels Insomnia, c/o Pop, Resonate ou Elevate, l'alliance entre performances artistiques et espace d'échanges a coulé de source dès leur création. « Notre public est composé d'un grand nombre de «faiseurs», de gens très actifs dans les champs concernés, pas seulement de consommateurs. Lors des conférences, la frontière entre intervenants et public est vraiment mince. Quand elles sont finies, il arrive souvent qu'elles se poursuivent autour d'un dîner ou donnent lieu à des workshops sauvages. Cela a permis de créer un sentiment d'appartenance à une communauté: c'est l'une de nos plus grandes réussites», estime Eduard Prats Molner, co-fondateur et programmateur de Resonate.

Un sentiment renforcé par le durcissement de la crise économique, et son corollaire, la baisse des subventions publiques dont le secteur culturel reste tributaire. Les forums axés sur les innovations et le numérique sont ainsi devenus une indispensable bouffée d'oxygène. En Grèce, Reworks est le seul festival electro à avoir survécu au plongeon financier du pays. Après onze ans d’existence, il inaugurera en 2016 son pendant cérébral, «Reworks Agora». «Les gens n'attendent plus rien des politiques et la radicalité grandit. Le niveau de vie a baissé, le chômage atteint des sommets, en particulier chez les jeunes. Beaucoup vivent la crise depuis leur canapé, hypnotisés par la télé. Mais d'autres réagissent à travers l'art», se félicite Anastasios Diolatzis, co-fondateur et programmateur de Reworks. L'événement a attiré plus de 13 000 festivaliers à Thessalonique l'année dernière et le projet We Are Europe va donner «une motivation supplémentaire aux artistes locaux: pouvoir voyager à travers toute l'Europe, s'exporter», note Anastasios Diolatzis.

À l'autre extrémité de la carte dessinée par We Are Europe, en Norvège, la question de l'intégration européenne et ses éventuels débouchés est vécue d'une toute autre manière. Située à 1200 km d'Oslo, la petite ville de Tromso est une référence en matière d'electro depuis la fin des années 1980. C'est cette tradition qu'entend nourrir le festival Insomnia, réunissant chaque année près de 1500 participants. «Nous sommes le seul événement de We Are Europe qui se déroule en-dehors d'un grand centre urbain et nous restons à la marge: la Norvège n'est même pas membre de l'Union européenne, notre population a voté contre son entrée, rappelle Gaute Barlindhaug, co-fondateur d'Insomnia. Cela nous place dans une réalité économique et sociale complètement différente

Ce décalage est l'un des «carburants» du projet We Are Europe: «Alors qu'il existe des différences de taille, de budget et d'enjeux considérables, c'est très rafraîchissant pour tous les partenaires de travailler sur un même niveau. C'est une plate-forme égalitaire: aucune importance que vous soyez un gros ou un petit festival, quand on se rencontre, chacun a voix au chapitre », souligne Daniel Erlacher, co-fondateur d'Elevate. L'événement autrichien, qui réunit 7000 personnes, cultive lui sa dimension activiste, avec des questionnements politiques touchant au changement climatique ou au revenu universel, « comme un contre-point aux frontières, au nationalisme, à cette Europe-là qui est aussi en train de se développer en ce moment», estime Bernhard Steirer, co-fondateur d'Elevate.

Malgré une aspiration à l'indépendance financière, We are Europe doit son existence à l’implication de la commission européenne, via le programme Creative Europe. Barbara Gessler, qui le pilote à Bruxelles, explique: «Après une évaluation d’experts, l’ambition de la structure et la qualité du projet nous ont convaincus d’accorder une subvention d’un peu moins de 2 millions d’euros, soit environ 50% de leur budget total. Cette dotation se répartit entre la mise en œuvre, la communication, la production et les déplacements.» La manne des collectivités publiques reste ainsi déterminante. Mais pas question de s'en contenter: «Dans le contexte actuel, les ressources privées et la recherche de nouveaux modèles économiques constituent des options indispensables pour les projets artistiques», reconnaît Barbara Gessler.

Que leur parti-pris soit davantage esthétique, technologique, académique ou politique, chacun des huit membres de We Are Europe participera de fait, durant ces trois années, à l'esquisse d'une nouvelle donne économique. «Avant, l'industrie musicale se résumait surtout à de grandes majors. Elles ont perdu de leur pouvoir, mais elles sont encore là et représentent toujours une force», pointe Gaute Barlindhaug, co-fondateur d'Insomnia: «Il y a bien sûr des initiatives pour se fédérer, comme We Are Europe, mais il y a aussi des gens qui travaillent de manière beaucoup plus indépendante qu'avant. Chaque artiste peut désormais créer son propre label grâce aux avancées technologiques. Et il faut aussi prendre en compte cette myriade d'acteurs, qui font leur truc dans leur coin, sans aucune dimension collective.»

De Barcelone à La Haye, un mot se retrouve sur toutes les lèvres de ces acteurs de la néo-culture: les «blockchains» (littéralement «chaînes de bloc»). Considéré comme «une technologie de rupture», ce processus informatique infalsifiable et chiffré, permettant d’authentifier à 100% n’importe quelle transaction, pourrait remplacer à terme les banques, les notaires ou tout ce qui nécessite une authentification lors d’échanges confidentiels.

Et les influences punk de Norbert Merjagnan de reprendre le dessus. L’écrivain, passé par le département marketing et e-business d'une grande banque française, rêve d’un futur financier alternatif pour l’Europe. «Les blockchains permettent de sécuriser les échanges. L’intermédiaire de confiance disparaît. Dans le milieu culturel, ça peut être une galerie pour un peintre, un éditeur ou un libraire pour un écrivain. Les blockchains, c’est une façon de dire: si vous ne repensez pas votre métier d’intermédiaire pour apporter une valeur ajoutée, les blockchains vont vous balayer

 

*Nuit debout est un mouvement citoyen informel qui se réunit sur les places des grandes villes françaises, initié le 31 mars 2016 suite aux manifestations contre la loi Travail du gouvernement Valls.

 
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Yann Arthus-Bertrand: «Human est un film très introspectif et un peu politique»

25 février 2016 — C’est dans le cadre de Ciné-ONU que plus de 700 personnes ont assisté, le 25 février, à la projection, sur l’écran géant de l’Auditorium Ivan Pictet de La Maison de la Paix, du long métrage «Human» de Yann Arthus-Bertrand.

Yann Arthus-Bertrand vu par © Jean-Marc Ferré / ONU Photo / 25 février 2016

Yann Arthus-Bertrand vu par © Jean-Marc Ferré / ONU Photo / 25 février 2016

C’est dans le cadre de Ciné-ONU que plus de 700 personnes ont assisté, le 25 février, à la projection du long métrage Human de Yann Arthus-Bertrand, sur l’écran géant de l’Auditorium Ivan Pictet de La Maison de la Paix, à Genève.

Publié le 25 février 2016


Par Catherine Fiankan-Bokonga

Film original, qualifié de « politique » par son réalisateur, Human ne laisse pas indifférent. La séquence de visages, paysages et de vues aériennes est portée par une musique qui plonge au plus profond de nous. Dans le puzzle de témoignages qui s’enchaînent à un rythme vertigineux, le spectateur est ballotté comme une boule de flipper.

Tristesse, violence, drame, naïveté, rire, étonnement, douleur, joie, bonheur, émerveillement… la palette des émotions humaines est utilisée pour définir l’amour, seul sentiment susceptible de restituer à notre planète la touche human qui peut la sauver. Le réalisateur de cette étonnante fresque humaine, Yann Arthus-Bertrand, est un «homme parmi sept milliards d’autres», un être sensible à la beauté du monde dans lequel nous évoluons.

D’entrée le tutoiement est utilisé, façon de balayer les barrières, faire tomber les masques et installer l’intimité. Le regard trahit une douceur épuisée par les innombrables images que le baroudeur Yann Arthus-Bertrand a capturées dans ses explorations, la peau burinée par les kilomètres avalés sous le soleil. Le murmure de la voix finit par s’emballer au son de ses propres phrases: «Nous avons tous une mission sur terre. À nous de la trouver!»

Ci-après l’interview audio que Yann Arthus-Bertrand nous a accordée le lendemain de la projection du film à Genève.

La projection a été possible grâce à la collaboration entre le Service de l’information des Nations Unies (UNIS) et du Graduate Institute avec le soutien de la Mission de France auprès de l’ONU.


Catherine Fiankan-Bokonga
Rédactrice en chef

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Le haras national d’Avenches à travers l’objectif

6 février 2016

Le photographe genevois Patrick Gilliéron Lopreno redonne de l’éclat au célèbre centre équestre vaudois exploité par la Confédération.

© Patrick Gilliéron Lopreno

© Patrick Gilliéron Lopreno

 

Le photographe genevois Patrick Gilliéron Lopreno redonne de l’éclat au célèbre centre équestre vaudois exploité par la Confédération.

 

Fabio Lo Verso
6 février 2016

En 1954, le photographe Werner Bischof, premier photographe suisse à faire son entrée chez la prestigieuse agence Magnum, a réalisé une série de photographies au haras national d’Avenches, dans le canton de Vaud, donnant lieu à la publication du livre Das eidgenössische Gestüt in Avenches, édité la même année à Zurich.

Plus de soixante-ans après, le photographe genevois Patrick Gilliéron Lopreno revient sur les pas du célèbre photographe disparu tragiquement lors d’un accident de la route au Pérou, auquel le Musée de l’Élysée à Lausanne consacre actuellement une rétrospective à l’occasion du centième anniversaire de sa naissance.

«J’ai été inspiré par la démarche de Werner Bischof, mais uniquement d’un point de vue graphique, avec une importance donnée au cadre et à la composition.»

Exploité par la Confédération pour soutenir l’élevage du cheval, le haras d’Avenches (ancienne capitale de l’Helvétie romaine) lui a ouvert ses portes à plusieurs reprises en janvier dernier. De son propre aveu, Patrick Gilliéron Lopreno se dit surpris par la magie des lieux et par l’enchantement que peut susciter la photo équestre.

Le photographe confie à La Cité, journal auquel il collabore depuis 2012, une sélection d’images (ci-après) qui font éclater le dynamisme et la puissance des gestes équestres, mais aussi l’harmonie et la légèreté qui se dégage de la relation entre les chevaux et leurs cavaliers ou cavalières.

 



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Quand les territoires se replient

1 février 2016 — Il y a le territoire de l’identité individuelle et le territoire de l’identité collective. Lorsqu’il s’agit de protéger l’identité, certains mécanismes se ressemblent entre ces deux niveaux. Pourquoi pas tirer en soi-même les outils pour questionner l’attitude collective?

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Il y a le territoire de l’identité individuelle et le territoire de l’identité collective. Lorsqu’il s’agit de protéger l’identité, certains mécanismes se ressemblent entre ces deux niveaux. Pourquoi ne pas chercher en soi-même les outils pour questionner l’attitude collective?

Publié le 1 février 2016


Par Lucie Schaeren

Il est des fois où le repli est nécessaire. Des fois où l’identité a été fragilisée, où l’extérieur s’est infiltré trop fort, trop intensément, fissurant le socle sur lequel elle repose. Il est des fois où protéger son espace, se l’approprier, en redéfinir les contours est salutaire, et soulageant. Ce retour sur soi permet d’analyser les mécanismes, de comprendre ce qu’il s’est passé. Il permet de passer d’un mouvement accusant l’«Autre» à l’extérieur de tous les maux à un questionnement sur soi, dans un espace délimité, sans menace. Il permet de saisir que les responsabilités sont partagées, et que toute interaction est le fait de deux parties. Qu’il n’y a jamais un fautif absolu comme il n’y a jamais d’innocent absolu. On pourrait reprendre l’analogie animale: il n’y a jamais de mouton totalement noir comme il n’y a jamais de blanche brebis.

Pourtant il y a un danger à ce mécanisme de retour sur soi. Celui-ci apparaît quand le repli devient imperméable, quand la membrane de protection ne reste pas poreuse et qu’elle se mue en mur. Dans ces moments-là, la sphère de protection devient cage, elle enferme. Elle étouffe l’identité. Le tout est alors de savoir comment rouvrir les frontières pour ne pas s’asphyxier. Évidemment, l’observation vaut pour un autre registre que le registre de l’identité individuelle. Elle vaut pour l’identité collective, elle vaut pour les identités nationales, elle vaut pour les pays alentours dont les contours paniquent, depuis plusieurs mois, années, avec une accentuation forte cette dernière année.

Quand un flot de personnes arrivent, fuyant la guerre ou cherchant une vie meilleure, quand ce flux est interminable, constant, difficile à chiffrer, il y a des raisons de se replier, de questionner les frontières, de chercher la protection. C’est une réaction animale et humaine, instinctive, face à ce qui est perçu comme une menace, car relevant de l’inconnu, de l’extraordinaire, au sens premier du terme. C’est une situation qui sort de l’ordinaire et qui force à un repositionnement. Et refermer momentanément le territoire pour sortir de la pure réaction et élaborer une réponse adéquate est intelligent. Sauf que…

Ce que l’on observe c’est que cette fermeture dure et qu’elle n’est pas le terrain d’un recherche concertée et sincère de propositions. Elle devient davantage celui de luttes de pouvoir, d’enjeux électoraux, d’ego et de peurs. Elle devient le territoire où se fomentent des amalgames scabreux, reportant sur l’«autre» tous les maux pour éviter de regarder en soi. On se précipite sur des «solutions» au «problème», dans une corrélation plus basique que constructive. Puis, surtout, sous couvert d’une apparente «recherche de solutions» on instrumentalise, au lieu de regarder en soi et de se demander ce qui provoque ces situations épineuses.

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Puisqu’on ne connaît pas cette masse de personnes en situation de détresse, on cherche à la «ranger», à mettre de l’ordre en lui collant des étiquettes. Et ces étiquettes sont — égoïstement — toujours élaborées en relation à soi, au pays, aux intérêts supposés du territoire. Un migrant devient un criminel violeur ou un terroriste potentiel pour alimenter le discours de l’extrême droite, il devient un ange pour soutenir le discours de l’extrême gauche, il se mue en force de travail pour le monde économique.

Dans toutes ces attributions, on en oublie son essence principale, celle d’être humain, celle d’être un citoyen du monde avec une liberté de mouvement garantie par ses droits fondamentaux. Et d’avoir en lui, comme tout être humain, des forces contradictoires, des forces noires et des forces blanches, des éléments relevant du «bien» et d’autres relevant du «mal». Comme si les situations inconfortables nous poussaient, nous individus et nous sociétés, à un dualisme primaire. Les bons contre les méchants, un retour aux cours d’école.

Pourquoi ne sommes-nous pas capables d’observer en nous-mêmes la coexistence du «bien» et du «mal»? Ne serait-ce pas là une voie pour dépasser la dualité et les catégorisations et ouvrir une nouvelle voie de cohabitation ? Ne serait-ce pas un moyen d’appréhender davantage la complexité non pas comme un problème mais comme une richesse?

Si l’on prend le temps, lorsque l’identité est ébranlée, de saisir, de ressentir ce qui s’est réellement passé dans la situation à l’origine de notre inconfort, alors on se rend souvent compte que les torts sont partagés. Et cette constatation est plus un soulagement qu’un accablement car elle signifie que l’on a un pouvoir d’action et que l’on peut sortir de la posture de victime. On retrouve l’agir et on sort du subir. On retrouve une dignité en fin de compte. La situation actuelle pourrait permettre à nos sociétés occidentales de questionner leur modèle économique, leur modèle social, leurs valeurs. Elle pourrait peut-être ouvrir une nouvelle porte vers des alternatives sociétales à un capitalisme rongeant et tout puissant, épuisant les ressources environnementales, économiques et sociales.

Alors, les fissures dans le socle pourraient s’avérer enrichissantes. Elles pourraient devenir des interstices par lesquels s’infiltrent l’incertitude certes, la remise en question, bien sûr, mais surtout la vie. Cette vie qui ne peut plus passer quand la frontière est devenue un mur qui ne laisse filtrer ni vers l’extérieur les forces constructives qui nous constituent, ni vers l’intérieur les forces constructives de cet «autre», quel qu’il soit, dans toute sa complexité.

Il me paraît urgent, dans les moments de repli, de retrouver le courage de la flexibilité et de la perméabilité, le courage d’une nouvelle ouverture, peut-être plus adéquate aux enjeux, une nouvelle perception de cette intervalle qui constitue toute relation, entre l’«autre» et «moi», pour surtout, surtout, sortir de la sclérose et y laisser entrer la force de vie au lieu de la force de mort.


Lucie Schaeren
Artiste et sociologue
Lausanne

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À Paris, la Galerie ART aujourd’hui lâche ses sept «anges du bizarre»

31 janvier 2016 — L’Ange du Bizarre, c’est le thème choisi par les animateurs de la galerie parisienne ART aujourd’hui pour qualifier l’exposition qu’ils organisent actuellement jusqu’au 27 février.

L’Ange du Bizarre, c’est le thème choisi par les animateurs de la galerie parisienne ART aujourd’hui pour qualifier l’exposition qu’ils organisent jusqu’au 27 février.

Publié le 31 janvier 2016


Par Jean-Noël Cuénod

Un ange? Plutôt sept anges du bizarre: les peintres et dessinateurs Georges Bru, Jean-Marie Cartereau, Évelyne Gerbaud, Bernard Le Nen, Denis Pouppeville, Victor Soren et la sculptrice Pascale Proffit. Sept, nombre symbole de l’unicité fondamentale entre la terre et le ciel, la matière et l’esprit que des générations de clercs ont voulu séparer. Œuvre proprement diabolique puisqu’en grec diabolein renvoie à la notion de division. Par bonheur, les artistes et les poètes ont recollé les morceaux de la vie en rétablissant l’unité première, en effaçant d’une touche de pinceau, d’un coup de burin ou d’un trait de plume (arrachée à l’aile d’un ange qui passait par-là) l’illusoire frontière entre l’âme et le corps.

Le mot «bizarre» ne l’est pas moins, bizarre. Né du vieil italien bizzaro qui signifie «coléreux», devenu ensuite synonyme d’«extravagant», de «brave» aussi, après un détour par l’Espagne, il partage une origine commune avec l’adjectif « bigarré ». Terme étrange (Vous avez dit étrange? Comme c’est bizarre!), passant du rouge de colère aux couleurs multiples. Associé à l’Ange, le Bizarre a pris une allure majuscule. Il bat des ailes entre les pages de la nouvelle d’Edgar Poe traduite par Baudelaire. Il turlupine Cocteau qui entamera contre lui un combat de velours. Et le voilà transformé en flic-poète par Charles Trénet dans son «Jardin extraordinaire».

Victor_SOREN_Aimez-vous les uns les autres 2015-900euros
Victor_SOREN_Aimez-vous les uns les autres 2015-900euros

Qui veut faire l’ange, fait la bête. Qui veut faire l’Ange du Bizarre, fait la bête du fantasme. Comme cet éléphant mélancolique (illustration ci-dessus) couché sur les Décombres dessinés par Victor Soren. Un cauchemar d’enfance qui revient hanter l’adulte pour lui rappeler ses terreurs initiales.

B._LE_NEN_Le grand Mystificateur 130x97 acrylique sur toile 2014
B._LE_NEN_Le grand Mystificateur 130x97 acrylique sur toile 2014

L’Ange du Bizarre est aussi le gardien des portes. L’une d’entre elle ouvre sur le monde des chamans qui tirent des souterrains les forces nécessaires pour s’attirer les bonnes grâces du soleil. Regardez ce Grand Mystificateur (ci-dessus) de Bernard Le Nen qui fait danser les morts sous son arbre-cerveau et tire d’un œuf un petit serpent qui ne demande qu’à grandir. Dieu lui-même serait mystifié par ces sortilèges qui donnent aux hommes l’illusion qu’ils peuvent obtenir les clés du ciel sans peine, ni labeur, simplement en se confiant à quelques grands prêtres.

Jean-Marie Cartereau, «Ailes Ether Limbes», 20x20cm, 2015
Jean-Marie Cartereau, «Ailes Ether Limbes», 20x20cm, 2015

Avec sa série Ailes, Ether et Limbes (ci-dessus), Jean-Marie Cartereau s’inscrit naturellement et surnaturellement dans le thème choisi. L’Ange est tout à la fois homme, animal, végétal, minéral. Il s’élève mais la tête tournée vers le bas. Ses ailes se fondent dans toutes les nuances du gris, la couleur des humains, ces enténébrés lumineux.

40 x 30 cm
40 x 30 cm

Le gris, c’est aussi le domaine d’Évelyne Gerbaud. Dans ce Silence (ci-dessus), le personnage sans bouche tient de la femme et du mustélidé. Son regard de charbon regarde bien au-delà des mots. Dans cet espace-temps, on n’articule pas des mots, on échange des ondes.

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Humains et animaux se rencontrent aussi dans le même corps chez Denis Pouppeville (ci-dessus, Jeune femme et homme à roulette). Mais là, plus question de silence, c’est la truculence et le sarcasme qui balaient l’esprit de sérieux et ses poussières. Point de bizarre éthéré, ici. Mais du bizarre ravageur.

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Changement radical de monde avec Georges Bru (ci-dessus, Personnage et son double). Les contours de ses personnages sont – bizarrement – à la fois estompés et précis comme certains souvenirs enfouis qui, en ressurgissant sans crier gare, font revivre des scènes précises dans un contexte resté flou.

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Pascale_Proffit_petit carré de ciel bleu b r 4

Une cohorte d’anges du bizarre en trois dimensions (au moins!) sortent des mains fertiles de Pascale Proffit (ci-dessus Le petit carré de ciel bleu). La sculptrice a l’étrangeté très joyeuse. Rêverie et rire ne manquent pas d’R ni d’air. L’imaginaire et l’humour prennent à contrepied ce monde prosaïque du Prozac qui veut éteindre les douleurs à coups de mensonges et de pilules.

Ce monde-là, les Anges du Bizarre n’ont pas fini de le hanter pour le subvertir.


* Galerie ART aujourd’hui Marianne et Philippe Rillon, Daniel Chassagne
8 rue Alfred-Stevens, Paris IXe, Métro Pigalle www.galerie-art-aujourdhui.com

Paru dans le blogue «Un Plouc chez les Bobos» www.jncuenod.com

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Un beau jour, ou était-ce une nuit à Palerme?

30 janvier 2016 — La Comédie de Genève présente «Le Sorelle Macaluso», texte écrit et mis en scène par Emma Dante, audacieuse femme de théâtre palermitaine qui signe une œuvre forte, d’une poésie surréaliste, servie par des comédiennes et des comédiens sidérants.

© Carmine Maringola/DR

© Carmine Maringola/DR

La Comédie de Genève présente jusqu’à dimanche 31 janvier Le Sorelle Macaluso, texte écrit et mis en scène par Emma Dante, audacieuse femme de théâtre palermitaine qui signe une œuvre forte, d’une poésie surréaliste, servie par des comédiennes et des comédiens sidérants.

Publié le 30 janvier 2016


Par Luisa Ballin

Il fallait oser. Mettre à l’affiche une pièce en italien et en dialecte palermitain dans la Cité de Calvin était un pari risqué. La Comédie de Genève l’a relevé et a fait salle comble hier soir en proposant une chronique familiale surprenante à la sororité attachante. Il était une fois sept sœurs, leurs parents, éternels amoureux dans leur mémoire, et un invité surprise: l’avatar de Diego Armando Maradona, le footballeur argentin qui fit les beaux jours de Naples, redevenue ville phare de l’ancien règne des deux Siciles, lorsque son équipe de football battait ses éternelles rivales du Nord.

Pour apprécier Le Sorelle Macaluso, comprendre le dialecte de Palerme est nécessaire mais pas forcément indispensable, tant la gestuelle, les fulgurances dansées et le phrasé scandé des comédiennes et des deux comédiens entrainent le spectateurs dans une sarabande qui ne laisse que quelques instants de répit pour lever les yeux vers les surtitres en français qui défilent au rythme souvent endiablé des personnages habillés de noir, qui se délestent de leurs vêtements cintrés pour laisser voir robes légères, maillots de corps et de bain et peaux nues pour évoquer un été qui fut meurtrier pour l’une des protagonistes. Les jeux de la mer étant parfois cruels.

La famille Macaluso compte sept sœurs, comme autant de fées ou de petites diablesses facétieuses lorsqu’elles se querellent, rient, rêvent ou pleurent au gré de leurs souvenirs d’enfance, d’adolescences et d’âge de déraison. Jours de fête. Jour de funérailles. Le conte des sœurs alterne moments vécus ici-bas et incursions dans l’au-delà. «Sur la lisière entre l’ici et là-bas, entre maintenant et jamais plus, entre «il est» et «il fut», les morts sont prêts à emporter la défunte. À la manière des pupi — les marionnettes siciliennes — armés d’épées et de boucliers, elles persistent à rester comme le long d’une frontière, dans un équilibre instable, prêtes à se battre encore», a écrit Emma Dante.

© Carmine Maringola / DR

© Carmine Maringola / DR

Scène dépouillée, avec pour seul décor épées et boucliers en rangée que saisiront les pupi incarnés, lors de leurs escarmouches chorégraphiées. «Je m’imagine une lumière en contre-jour, des habits foncés et un chemin. Une famille qui se déplace, qui entre et sort de l’obscurité. Je vois un père jeune qui apparaît à sa fille déjà cinquantenaire, une épouse enlacée à son mari dans une étreinte éternelle, un homme échoué même mort. Je vois les rêves restés suspendus entre ombres et solitude, et je vois les disparus qui se tiennent devant nous avec désinvolture.» Désirs accomplis de metteuse en mots et en scène. Emma Dante fait mouche.

Délire? Songe? Réalité? Empreinte de vie ou de nostalgie? «Tout ceci me fut suggéré par le récit d’un ami. Une nuit, dans le délire de la maladie, sa grand-mère appela sa fille à grands cris. La fille accourt et la mère lui demande: «En définitive, est-ce que je rêve vivante ou morte?» La fille répondit: «Vivante! Tu es vivante, maman!» Et la mère répondit moqueuse: «See, viva! Avi ca sugnu morta e ‘un mi dicìti niente p’un fàrimi scantàri.», «Oui, vivante! Je suis morte depuis long- temps et vous ne me le dites pas pour ne pas m’effrayer.» Ultime pirouette théâtrale pour un lecteur séduit et un public conquis.


Le Sorelle Macaluso
Texte et mise en scène:
Emma Dante
Traduction française:
Mathieu Mével

Avec:
Serena Barone, Elena Borgogni, Sandro Maria Campagna, Italia Carroccio, Davide Celona, Marcella Colaianni, Alessandra Fazzino, Daniela Macaluso, Leonarda Saffi, Stephanie Taillandier.

Dimanche 31 janvier à 17h00.
Durée du spectacle: 1h10.
La Comédie / Boulevard des Philosophes 6 / 1205 Genève.
Réservation: Tél. 022 320 50 01.

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Amok ou le mystère Stefan Zweig

22 janvier 2016 — Le comédien français Francis Huster a joué à Genève, en première mondiale, la pièce «Amok» tirée d’une nouvelle du grand écrivain austro-hongrois.

Le comédien Francis Huster apprécie tout particulièrement Genève et le Théâtre du Léman, où il choisi de présenter, jeudi 21 janvier, la première mondiale de sa pièce «Amok», adaptation réussie de la nouvelle de l’écrivain austro-hongrois Stefan Zweig, mise en scène par Steve Suissa. Œuvre envoutante sur l’amour, la mort et cette frénésie destructrice, parfois meurtrière que les Malaisiens appellent l’amok.

Publié le 22 janvier 2016

Francis Huster vu par © Charles Platiau / DR
Francis Huster vu par © Charles Platiau / DR

Par Luisa Ballin

Né à Vienne, en 1881, naturalisé Anglais en 1940, l’écrivain, dramaturge, biographe et journaliste se donne mort au Brésil en 1942, avec sa deuxième épouse et secrétaire Charlotte Elisabeth Altmann, dite Lotte. Auteur fascinant, Stefan Zweig garde une part de mystère plus de 70 ans après sa disparition. Il laisse une œuvre qui reste dans l’air du temps et que Francis Huster a choisi de remettre en lumière avec brio.

Après avoir triomphé dans «Le joueur d’échecs» et avant de monter «L’Enigme Stefan Zweig», dont la première mondiale sera présentée au Théâtre du Léman le 8 mai, l’homme de théâtre et son complice metteur en scène ont donné au public genevois la primeur de découvrir «Amok», avant une tournée internationale.

Pour recréer sur les planches l’atmosphère envoûtante qui se dégage à la lecture de l’œuvre de celui qui fut sans doute le plus grand écrivain de son temps, il fallait le talent d’un grand comédien et l’audace d’un metteur en scène à la sobriété originale. Francis Huster et Steve Suissa ont emmené le public genevois dans une «traversée d’âme» à bord de l’Océania, le transatlantique qui ramène l’anti-héros de cette histoire haletante de Calcutta à Londres. Médecin officiant en Malaisie dans l’entre-deux guerres l’homme désabusé se confie à l’auteur devenu conteur, dévoilant sa dépendance au souvenir de l’amok qui l’avait foudroyé et qui avait brisé sa carrière.

Sur le pont du paquebot qui vogue vers l’Europe qu’il avait fuie, le médecin se confie une nuit à l’homme rencontré par hasard. Une femme de la haute société anglaise, enceinte de son jeune amant, lui a demandé de l’avorter pour sauver sa réputation et éviter le scandale avant le retour de son mari. Francis Huster incarne avec maestria tour à tour le médecin prisonnier de ses tourments et l’inconnu devenu conteur.

Seul sur scène, il n’est rejoint que pendant quelques instants fugaces par la présence muette d’une femme vêtue de rouge et de noir. Mirage féminin pour évoquer celle qui obsède le médecin, rappelé à ses souvenirs par une musique qui accompagne ses confessions dont l’intensité est soulignée par un faisceau de lumière rouge ou atténuée par un halo de fumée.

Si les ressorts qui ont mené à l’amok sont révélés dans ce face-à-face poignant qui ira au-delà de la nuit,  «l’énigme Stefan Zweig» demeure. Fasciné par l’écrivain viennois, Francis Huster, devenu son biographe le plus passionné, a commis un livre enquête sur les motifs qui ont conduit cet homme de lettres érudit et raffiné à mettre fins à ses jours, alors qu’il connaissait la gloire tant dans la Vieille Europe que dans le Nouveau Monde.

Les symptôme d’une dépression qui a frappé Zweig suite à la boucherie de la Première Guerre mondiale et à la montée du nazisme et de l’antisémitisme n’expliquent pas le geste fatal de l’auteur de nouvelles qui ont marqué l’histoire de la littérature: Le joueur d’échecs, La confusion des sentiments, Vingt-quatre heures dans la vie d’une femme et Amok, texte qui n’a rien perdu de sa puissance.

En saluant le public du Théâtre du Léman à la fin de la première mondiale d’«Amok », moment de théâtre fort mais malheureusement éphémère, Francis Huster a rappelé l’attachement de Stefan Zweig à la Suisse où l’écrivain était venu à plusieurs reprises. Il a rendu hommage à l’engagement moral et a évoqué, tout en finesse, la résonance entre ce qui s’est passé lors des persécutions jadis et ce qui se passe aujourd’hui dans une Europe qui ferme ses frontières aux milliers de personnes qui fuient la violence dans leurs pays en conflit.

Les mots de Stefan Zweig dans son autobiographie «Le monde d’hier. Souvenirs d’un Européen» étaient-ils prémonitoires? «Né en 1881 dans un grand et puissant empire [...], il m’a fallu le quitter comme un criminel. Mon œuvre littéraire, dans sa langue originale, a été réduite en cendres. Étranger partout, l’Europe est perdue pour moi... J’ai été le témoin de la plus effroyable défaite de la raison [...]. Cette pestilence des pestilences, le nationalisme, a empoisonné la fleur de notre culture européenne.»


Francis Huster sera à l’Espace Vélodrome de Plan-les-Ouates, le 11mars à 20h00,
où il reprendra «Le joueur d’échecs», d’après Stefan Zweig, mis en scène par Steve Suissa. http://www.leprogramme.ch/programme-de-la-saison/espace-velodrome/plan-les-ouates

Francis Huster reviendra au Théâtre du Léman à Genève, le 8 mai à 20h30, pour la première mondiale de sa pièce «L’Enigme Stefan Zweig», également mise en scène par Steve Suissa. http://www.theatreduleman.com/new.html

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«La Route du Levant», face-à-face décapant entre un aspirant djihadiste et un policier

16 janvier 2016 — Le dramaturge genevois Dominque Ziegler met en scène une pièce policière à l’humour percutant qui confronte deux visions monde. À voir au théâtre du Grütli à Genève jusqu’au 4 février.

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Le dramaturge genevois Dominque Ziegler met en scène une pièce policière à l’humour percutant qui confronte deux visions du monde. À voir au théâtre du Grütli à Genève jusqu’au 4 février.

Publié le 16 janvier 2016


Par Luisa Ballin

Dominique Ziegler a le sens du rythme, de l’humour, de l’histoire et de l’actualité. À l’heure où des attentats terroristes revendiqués par la nébuleuse islamiste sèment mort et terreur dans de nombreux pays, l’homme de théâtre genevois signe le texte et la mise en scène de «La Route du Levant», face-à-face décapant entre un aspirant djihadiste et un représentant de l’ordre républicain.

Dans une unité de temps et de lieu — un jour, ou une nuit, dans un sinistre commissariat de banlieue —, le spectateur assiste à une joute oratoire où s’affrontent deux visions subjectives de la société mondialisée: celle qu’un jeune en mal d’identité voudrait islamiste et celle qu’un représentant de l’ordre veut résolument républicaine. Avec pour guide suprême et allié indispensable, internet, l’omniprésent.

© Alex Kurth / alex@alexkurth.ch

© Alex Kurth / alex@alexkurth.ch

Choc des cultures entre un jeune qui rêve de départ et de jihad à portée de clic et un policier qui tente de le dissuader de passer à l’acte. Tout en l’invitant au passage à collaborer pour aider police et justice à démanteler les filières de recrutement au départ pour la dite guerre sainte au Levant et en Occident. Le décor est minimaliste, pour mieux enfermer le spectateur et les deux protagonistes, dans un huis-clos qui colle à l’actualité et réveille les consciences. Deux destins, une histoire de dérives et une chute à rebondissement.

Le théâtre de Dominique Ziegler fait rire, réfléchir et captiver. Le dramaturge genevois tend des miroirs à qui veut les saisir pour s’interroger ou décrypter des enjeux de nos sociétés. «L’idée de cette pièce est née à la lecture d’articles de journaux qui relataient la recrudescence du nombre de jeunes Européens en partance pour la Syrie ou l’Irak, séduits par la propagande des groupes extrémistes d’Al-Qaida ou de Daech», explique Dominique Ziegler. Le propos est clair. La trame de la pièce est, elle, sans temps mort et les répliques aiguisées.

FASCINATION MYSTÉRIEUSE

«Le départ pour le djihad de jeunes gens éduqués dans les écoles républicaines ayant vécu dans une société occidentale reste un mystère, malgré l’écho médiatique que rencontre cette problématique», s’interroge Dominique Ziegler qui, s’il n’apporte pas de réponse à cette question lancinante, propose quelques pistes de réflexion truffées de bons mots et de remarques pertinentes pour mieux saisir le point de vue des deux protagonistes de sa pièce qui iront jusqu’au bout de leurs logiques antagonistes.

© Alex Kurth / alex@alexkurth.ch

© Alex Kurth / alex@alexkurth.ch

«La Route du Levant» est aussi un questionnement sur une certaine utilisation du web qui, comme l’affirme le metteur en scène, «permet le lavage de cerveau, la propagande massive qui utilise parfois les codes de l’entertainment hollywoodien pour les retourner contre leur initiateurs et défendre une conception rigoriste et extrémiste de la religion. Le net n’est plus simple technologie, mais acteur à  part entière de cette nouvelle confrontation interplanétaire. Il est arme, il est champ de batailles, il est substitut de prêche, il est logiciel espion, il est lieu de recrutement et de planification». Il peut aussi être arme de dissuasion massive qui permet parfois aux autorités de traquer et d’arrêter les djihadistes présents et futurs, d’accumuler des preuves et de déjouer des attentats.

Politique, policière et populaire, «La Route du Levant» est une œuvre à l’humour percutant qui interpelle. Conçue pour tous publics, toutes générations et toutes sensibilités confondues, la pièce est interprétée par Olivier Lafrance et Ludovic Payet qui campent avec talent le policier et le djihadiste.


La Route du Levant
pièce écrite et mise en scène par Dominique Ziegler.
Avec Olivier Lafrance et Ludovic Payet.

À voir jusqu’au 4 février au Théâtre du Grütli à Genève.
Du mardi au samedi à 20h et le dimanche à 18h
Réservations: 022 888 44 88
ou www.grutli.ch

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Le japonisme bouddhique, mystère dévoilé du pays du Soleil Levant

5 janvier 2016 — Plus que quelques jours! Ne ratez pas «Le bouddhisme de Madame Butterfly. Le japonisme bouddhique», magique et envoûtante immersion au pays du Soleil Levant, dont la spiritualité sans Dieu a séduit voyageurs, peintres et écrivains, dont le Genevois Nicolas Bouvier. L’exposition a lieu jusqu’au 10 janvier au Musée d’ethnographie de Genève (MEG).

Tous droits réservés en dehors de la communication de l’exposition «Le bouddhisme de Madame Butterfly. Le japonisme bouddhique» Du 9 septembre 2015 au 10 janvier 2016 au Musée d’ethnographie de Genève.

Tous droits réservés en dehors de la communication de l’exposition «Le bouddhisme de Madame Butterfly. Le japonisme bouddhique» Du 9 septembre 2015 au 10 janvier 2016 au Musée d’ethnographie de Genève.

Publié le 5 janvier 2016


Par Luisa Ballin

Plus que quelques jours! Ne ratez pas «Le bouddhisme de Madame Butterfly. Le japonisme bouddhique», magique et envoûtante immersion au pays du Soleil Levant, dont la spiritualité sans Dieu a séduit voyageurs, peintres et écrivains, dont le Genevois Nicolas Bouvier. L’exposition a lieu jusqu’au 10 janvier au Musée d’ethnographie de Genève (MEG).

Dans le dernier tiers du XIXe siècle, les Occidentaux découvrent le Japon qui vient de s’ouvrir au monde. Son histoire intrigue. Sa culture fascine. Elle influencera les beaux-arts européens et inspirera notamment l’Art nouveau. Et le japonisme ne laissera indifférents ni les peintres, ni les écrivains, comme Pierre Loti qui écrira Madame Chrysanthème, livre qui inspirera à Giacomo Puccini son opéra le plus célèbre Madama Butterfly, l’une des œuvres du Bel Canto la plus jouée au monde. Le MEG propose livres et livrets, photos et objets de la genèse de cet opéra, ainsi qu’une vidéo qui projette sur grand écran, casques audio à l’appui, l’un des airs de cette œuvre lyrique qui marquera paradoxalement le crépuscule du japonisme.

L’exposition du MEG, sobre et d’une grande élégance, donne à voir quelques fragments de la rencontre des cultures européenne et japonaise et évoque le bouddhisme du pays du Soleil Levant comme l’une des composantes de la spiritualité universelle. La découverte des six sections qui structurent l’exposition permet de s’imprégner de l’atmosphère que le visiteur imagine être celle de ce pays resté mystérieux, tout en admirant des objets raffinés au style épuré venus de célèbres musées, dont le Musée national des arts asiatiques, devenu également un musée des religions de ce continent, fondé à Paris par Émile Guimet qui invitera le peintre japonisant Félix Régamey (1844-1907) à immortaliser son périple au Japon.

Outre la présentation, pour la première fois depuis cent ans, de sept grandes huiles du peintre, le MEG propose une évocation de la cérémonie bouddhique que deux religieux japonais célébrèrent au Musée Guimet en 1891, avec une partie du mobilier d’origine.

Tous droits réservés en dehors de la communication de l’exposition «Le bouddhisme de Madame Butterfly. Le japonisme bouddhique» Du 9 septembre 2015 au 10 janvier 2016 au Musée d’ethnographie de Genève.
Tous droits réservés en dehors de la communication de l’exposition «Le bouddhisme de Madame Butterfly. Le japonisme bouddhique» Du 9 septembre 2015 au 10 janvier 2016 au Musée d’ethnographie de Genève.

Le Japon, devenu escale incontournable pour de nombreux voyageurs, dévoilera ses traditions, sa culture et son organisation sociale, tout en gardant une part de mystère. En 1872, l’Anglais Thomas Cook lancera la vogue des voyages organisés pour particuliers, inaugurant ainsi le premier périple autour du monde. Les jeunes de bonne famille ne manqueront de saisir cet appel du large afin de parfaire leur instruction au pays des samouraïs, des shoguns et des geishas. Comme de nombreux autres Genevois, le peintre et collectionneur Alfred Étienne Dumont séjournera au Japon en 1891. L’exposition du MEG présente ses dessins, jamais montrés au public auparavant, que l’artiste a exécuté au gré de ses escales. Paysages et instants de vies croqués sur les quais qui permettent au visiteur de capter quelques bribes d’un Japon devenu désir d’Orient lointain.

Si Genève vibre depuis le mois de septembre et pour quelques jours encore aux sons et aux images du japonisme bouddhique, grâce à cette exposition à ne pas manquer, et aux conférence, films, ballades au fil des mots et des sons qui ont jalonné cette immersion japonisante, son moment culminant a eu lieu à l’Alhambra, lors de l’interprétation de trois danses de Miyakita Yoshitaka, passionné de danse depuis l’âge de deux ans, élève de Nakamura Mansaku pendant dix ans, puis son digne successeur à la tête de l’école du maître. Spectacle rare et inoubliable proposé par la Société des Amis du MEG, le jeune danseur, vénéré comme une idole au Japon, a offert trois danses représentant respectivement la neige, les feuilles tombantes, la mer. Moment de grâce qui a permis ou spectateur ébloui de mieux comprendre l’âme japonaise.

ÉCOUTER ET RELIRE NICOLAS BOUVIER, CONTEUR DU JAPON

L’écrivain, poète, photographe, iconographe et grand voyageur genevois Nicolas Bouvier est également présent dans l’exposition «Le bouddhisme de Madame Butterfly», grâce à d’une vidéo projetée en boucle où il relate le premier des trois voyages qu’il a effectués au Japon, lorsqu’il fut l’un des premiers photographe européens à proposer des images aux agences japonaises, quelques années après la fin de la guerre.

Tous droits réservés en dehors de la communication de l’exposition «Le bouddhisme de Madame Butterfly. Le japonisme bouddhique» Du 9 septembre 2015 au 10 janvier 2016 au Musée d’ethnographie de Genève.

Tous droits réservés en dehors de la communication de l’exposition «Le bouddhisme de Madame Butterfly. Le japonisme bouddhique» Du 9 septembre 2015 au 10 janvier 2016 au Musée d’ethnographie de Genève.

Débarquant à Yocohama en 1955, avec pour toute fortune 25 dollars pour son premier séjour (1955-1956), Nicolas Bouvier note que: «L’air de Yokohama s’avalait comme du Champagne.» Initié à la photo par Jean Mohr peu avant son départ pour le pays du Soleil Levant, ses portraits de Japonaises et de Japonais croisés au hasard de ses pérégrination nippones, tout comme ses Chroniques japonaises, sont une référence dans le monde de l’édition et pour tout écrivain voyageur qui se respecte.

En 1964, Nicolas Bouvier retournera au Japon avec son épouse Éliane et leurs deux fils. Séjours et expériences seront consignés en 1967 dans son livre Japon, qui sera réédité en 1989 sous le titre Chroniques Japonaises. On peut y lire notamment: «Le voyageur est une source continuelle de perplexités. Sa place est partout et nulle part. Il vit d'instants volés, de reflets, de menus présents, d'aubaines et de miettes.»

Tous droits réservés en dehors de la communication de l’exposition «Le bouddhisme de Madame Butterfly. Le japonisme bouddhique» Du 9 septembre 2015 au 10 janvier 2016 au Musée d’ethnographie de Genève.

Tous droits réservés en dehors de la communication de l’exposition «Le bouddhisme de Madame Butterfly. Le japonisme bouddhique» Du 9 septembre 2015 au 10 janvier 2016 au Musée d’ethnographie de Genève.


Le bouddhisme de Madame Butterfly. Le japonisme bouddhique.

Jusqu’au 10 janvier au Musée d’ethnographie de Genève,
Boulevard Carl-Vogt 65-67, 1205 Genève.
Toutes les informations sont sur www.meg-geneve.ch

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La sculptrice Catherine Bouroche a rejoint ses nuages

13 décembre 2015 — Cette grande artiste française nous a laissé sur la terre, vendredi matin, 12 décembre, à Paris, sa ville de résidence.

Comment sculpter un élément aussi dépourvu de densité qu’un nuage? Catherine Bouroche avait réussi ce tour, non de force, mais de douceur. Cette douceur plus vigoureuse, plus pleine de vie que toutes les apparences de la puissance. Cette grande sculptrice française a rejoint ses nuages. Elle nous a laissé sur la terre, vendredi matin, 12 décembre, à Paris, sa ville de résidence, alors que la Galerie ART Aujourd’hui lui consacre actuellement une exposition en compagnie des œuvres de Gianbattista Bresciani, Nadine Cosentino et Jean-Marc Ehanno*.

Publié le 13 décembre 2015

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Par Jean-Noël Cuénod

Née en 1942 à Casteljaloux (Lot-et-Garonne), Catherine Bouroche a obtenu en 1965 son diplôme de l’Ecole nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d’art à Paris. Trois ans plus tard, elle s’est installée dans son atelier, rue Pradier dans le XIXe arrondissement parisien. De 1975 à 1977, elle a réalisé des œuvres monumentales pour plusieurs établissements scolaires. L’année 1992 marque un tournant dans son œuvre. Elle scelle sa rencontre avec le plexiglas qui lui permet d’exprimer son univers onirique peuplé de formes légères, nébuleuses mais denses, éclairé ça et là de touches d’humour.

Le peintre Philippe Rillon– qui anime la Galerie ART Aujourd’hui avec Marianne Rillon et Daniel Chassagne – a bien décrit le travail de la sculptrice : Catherine Bouroche,  tout en délicatesse et légèreté, aime interroger et surprendre nosregards et nos esprits. Jamais ses nuages ne suggèrent des orages ou des drames. Tiens, il pleut...! C'est pas grave! Les nuages traversent la fenêtre, on peut les attraper, les caresser, ils sontlisses, prendre leur empreinte, les mettre en cage, ouvrir la cage, les ausculter, les disséquer, rien de grave! Et le ciel, lui, estlimpide et clair comme la plaque de verre ou le miroir qui le signifie. Chez Catherine Bouroche,  ciels et nuagessont "idéaux". Ils sont une invitation au voyage.

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Dans son œuvre, rien de répétitif. Chaque nuage a son «être» qui lui est propre. Il vit sa vie de nuage, l’air de rien. Ou plutôt l’air de tout. Puisque tout est air, tout est vide entre les particules de la matière. La vapeur a une solidité que lui envierait la pierre. L’apparence des choses est un faux-semblant. Catherine Bouroche définit les contours du vrai-semblant. Puissent les nuages lui tenir chaud.

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* Exposition
Temps calme, beau fixe…

jusqu’au 20 décembre 2015

 Galerie ART Aujourd’hui
8 rue Alfred-Stevens
75009 Paris
http://galerie-art-aujourdhui.com/fr/

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Allende, à la recherche d’un grand-père au delà du mythe

8 décembre 2015 — La petite fille de Salvador Allende présente à Genève le documentaire qu’elle a consacré à son abuelo (grand-père), tué en 1973 par les putschistes à la botte du général Pinochet.

© Adok Films Distribution

© Adok Films Distribution

La petite fille de Salvador Allende présente à Genève le documentaire qu’elle a consacré à son abuelo (grand-père), mort en 1973 lors du coup d’État perpétré par les putschistes du général Pinochet.

Publié le 8 décembre 2015


Par Luisa Ballin

Cela a commencé comme une recherche personnelle. J’avais besoin de connaître l’homme qu’était mon grand-père. L’intimité du père de famille et du grand-père que je n’ai pas connu.» Dans un entretien accordé à La Cité, Marcia Tambutti Allende, petite fille de Salvador Allende, président du Chili démocratiquement élu en 1970 puis renversé le 11 septembre 1973 par le général Pinochet lors d’un coup d’État militaire sanglant, explique la genèse du documentaire Allende, mi abuelo Allende (Allende, mon grand-père Allende), projeté en avant première lors de la 17e édition du Festival FILMAR en América Latina, un film qu’elle présente le soir du 9 décembre à Genève aux Cinémas du Grütli.

Marcia Tambutti Allende © Luisa Ballin, Genève

Marcia Tambutti Allende © Luisa Ballin, Genève

Pénétrer dans la vie intime de Salvador Allende. Savoir comment il était en vacances et dans la vie quotidienne. Découvrir qui prenait les décisions à la maison. Percer les secrets, y compris les amours, du premier dirigeant socialiste à avoir accédé à la présidence d’un pays par la voie des urnes dans une coalition comprenant des communistes. «Tout ce que l’on ne trouve pas dans les biographies qui lui sont consacrées. Voilà la démarche qui m’a motivée», explique Marcia Tambutti Allende, auteure d’une œuvre honnête et intimiste dédiée à ce grand-père devenu un mythe, qu’elle n’a pas connu. «Mon film est le portrait d’un homme, pour une génération qui cherche à en savoir plus et à enfreindre l’inertie du silence qui peut nous mener à la perte de la mémoire familiale et de l’identité. L’homme Allende était un sujet un peu tabou dans la famille. Lorsque nous étions petits et que nous posions des questions, la réaction des adultes était de se protéger, de garder le silence ou d’en dire le moins possible. Comme une petite censure qui fait que l’on s’autocensure également», explique la jeune femme, qui a su mettre en mots et en images les non-dits de sa célèbre famille.

«ON S’IMAGINE MAL CE QUI ENTOURE LA VIE D’UN LEADER POLITIQUE»

Ce documentaire, qui a obtenu L'Œil d’or, prix du documentaire au Festival de Cannes 2015, lui a-t-il permis de découvrir la vie secrète de son grand-père? «Plus que la découverte de ses secrets, j’ai réussi à cerner un personnage qui se résumait à des mots sans beaucoup de contenu. J’ai pu aller au-delà de ce qui se trouve dans les livres. Approfondir la façon dont il travaillait pendant les campagnes électorales et mieux connaître la vie quotidienne de la famille lorsqu’il était pris par la politique. On s’imagine mal ce qui entoure la vie d’un leader politique et les sacrifices qui incombent à sa famille, comme par exemple vendre une maison pour éponger les dettes d’une campagne électorale. Ce n’était pas un secret, mais dans la famille, on n’en parlait pas.»

Marcia Tambutti Allende n’occulte pas non plus les amours contingentes de Salvador Allende, à côté du sentiment profond qu’il avait pour son épouse Hortensia Bussi, appelée affectueusement Tencha. «Lorsque j’étais petite, ma mère — Isabel Allende, dirigeante socialiste qui a présidé successivement la Chambre des députés et le Sénat du Chili — m’avait dit que mon grand-père avait eu d’autres femmes à part ma grand-mère. Ce film m’a aidé à mieux comprendre l’homme, les traces qu’il a laissées, la douleur de ma famille après le coup d’État et les exils. Le nôtre, celui de ma grand-tante et celui de ma tante — Beatriz, la fille cadette de Salvador et Hortensia Allende qui se suicidera à Cuba où elle était en exil. C’est une transition entre la douleur et la récupération de la mémoire.»

© Adok Films Distribution
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Être la petite-fille de Salvador Allende n’a pas dû être facile. «J’ai grandi au Mexique et j’y ai passé une grande partie de ma vie. Là-bas, j’étais Marcia Tambutti. Je vivais une vie plutôt tranquille et je ne ressentais pas ce poids. Bien sûr, lorsque j’étais adolescente, on ne cessait de me dire: tu dois bien te comporter car tu es une Allende! Lorsque je suis allée vivre au Chili, j’ai ressenti très fort le fait que Salvador Allende appartenait à un grand nombre de gens. Lorsque j’ai voulu tourner mon film et que je n’avais pas encore une idée précise du scénario, personne ne m‘a demandé ce que je voulais faire, mais tout le monde me disait ce que je devais faire. Ma conclusion est que beaucoup de gens ont le sentiment que Salvador Allende leur appartient un peu et qu’ils savent donc ce qu’il est important de dire à son sujet. Cela dilue un peu la responsabilité d’être la petite-fille d’Allende, puisqu’Allende appartient à tous!» résume la jeune femme en souriant.

Le documentaire a libéré la parole. Il a aussi permis de s’approprier un autre Allende. «Je fais une métaphore d’un Allende en noir et blanc, comme une affiche. Le film offre plusieurs facettes de la complexité d’un être. Comme l’est la vie. Les jeunes qui ont vu le film ont eu l’impression de connaître une autre dimension d’Allende. Et le documentaire a une résonance particulière pour celles et ceux qui ont eu un passé douloureux. Et pas seulement pour eux d’ailleurs», estime Marcia Tambutti Allende. Tout comme les Allende, de nombreuses familles chiliennes parlaient peu de ce qui s’était passé avant et pendant le coup d’État de 1973. Ou après. «Plusieurs personnes m’ont remerciée de leur avoir donné la possibilité de retrouver des souvenirs, une mémoire. Et même de récupérer le dialogue au sein de la société chilienne», souligne la réalisatrice.

«DANS LES ANNÉES 1970 ET 1980, LES GENS VIVAIENT DE MANIÈRE TRÈS IDÉOLOGIQUE»

Une société chilienne toujours très fragmentée plus de quarante ans après ce funeste 11 septembre 1973. Le dialogue est-il dès lors possible entre les partisans d’Allende et ceux qui ont soutenu les responsables qui l’ont fait tomber? «La ligne entre les deux est tranchante, mais il est nécessaire de construire le dialogue, y compris entre nous, au sein d’une famille où l’on ne parlait pas de certaines choses. Nous avons vécu les conséquences de ce qui s’est passé et nous n’avons pas compris comment a fonctionné notre famille, ni quelle en était sa dynamique et pourquoi nous sommes ce que nous sommes. Nous avons aussi besoin de récupérer cette mémoire affective et laisser libre cours aux émotions qui s’expriment enfin», affirme la petite-fille d’Allende, qui ne se prive pas de tacler lucidement au passage famille et compatriotes.

«Dans les années 1970 et 1980, les gens vivaient de manière très idéologique. Nombre de décisions qui avaient des répercussions familiales étaient prises sans se demander comment nous, les enfants, nous vivions cela. Pour nous, il ne s’agissait pas de faits énoncés dans un livre, mais de décisions qui nous affectaient directement. Nous avons dès lors besoin d’explorer tout cela afin de continuer d’avancer.»

Comment la famille Allende a-t-elle réagi lorsque Marcia a mis à nu le côté obscur, voire secret de Salvador Allende? «Elle était mal à l’aise. Par amour envers lui. Mais je reconnais qu’elle a fait preuve d’une grande générosité. Lorsque les membres de ma famille ont vu le film, ils se sont rendus compte des résistances qu’ils avaient opposées, qui étaient au fond une façon inconsciente de se protéger. Ensuite, ils ont beaucoup ri! Le jour où je leur ai montré le film, nous avons déjeuné tous ensemble et nous avons passé l’après-midi à parler de ce dont nous ne parlions pas avant. Cela nous a fait du bien. C’est un processus de transition. Car qui sait où commence et où termine le silence?» conclut la petite fille d’Allende.


Marcia Tambutti Allende présente «Allende, mi abuelo Allende» le 9 décembre à 19h30 aux Cinémas du Grütli à Genève. À voir également les 10, 13 et 14 décembre 2015.

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À la recherche de Borges

29 novembre 2015 — Le réalisateur brésilien Cristiano Burlan tourne à Genève.

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Le réalisateur brésilien Cristiano Burlan tourne à Genève un film sur l’écrivain argentin Jorge Luis Borges.

Publié le 29 novembre 2015


Par Luisa Ballin

Genève inspire le réalisateur brésilien Cristiano Burlan. Lors de sa deuxième participation au festival Filmar en América Latina, qui bat son plein jusqu’au 29 novembre à Genève, l’auteur de Fome (Faim), film en noir et blanc en compétition dans la boîte section Coups de Cœur*, a décidé de tourner une fiction en hommage à l’écrivain argentin Jorge Luis Borges, enterré au cimetière dit des Rois de la Cité de Calvin.

«L’année dernière, j’ai été invité à participer au festival Filmar en América Latina. J’en ai profité pour aller voir la tombe de Borges. À l’école, j’avais lu nombre de ses livres qui m’avaient enchanté. J’avais aussi été touché par son histoire. Cette année, lorsque la directrice de Filmar, Sara Cereghetti, m’a invité à présenter mon film Fome, je me suis dit que l’occasion était belle de tourner un film sur Borges à Genève. J’ai contacté le Consulat suisse à São Paulo qui a accepté de soutenir mon projet. Faire un film en six jours, c’est de la folie. Je tournais la journée, je présentais mon film le soir et je dialoguais avec le public et les autres cinéastes la nuit. Je suis épuisé, mais l’atmosphère que dégage Genève me porte», affirme Cristiano Burlan dans un entretien avec La Cité.

«À la recherche de Borges» évoque un scénario que Borges aurait écrit et qui n’a pas été filmé et relate l’histoire d’un réalisateur de cinéma qui est à Genève pour présenter un de ses films. Il y rencontre des personnes qui ont connu Borges comme le journaliste argentin Juan Gasparini, qui fut le dernier à interviewer l’auteur de L’Aleph avant sa mort. Mais au milieu des péripéties du tournage, le réalisateur vit une crise profonde. Il doute. Réussira-t-il à terminer son film?

Henrique Zanoni, complice et acteur fétiche de Cristiano Burlan, incarne le protagoniste d’«À la recherche de Borges». Les deux artistes ont fondé la maison de coproduction de cinéma et de théâtre Bela Films qui a produit vingt œuvres, dont celles de Cristiano Burlan avec Henrique Zanoni en tête d’affiche. «C’est un acteur très intéressant féru de cinéma expérimental. Je l’apprécie car je n’aime pas travailler avec des acteurs cartésiens et pragmatiques. Je préfère des êtres qui, comme moi, doutent, cherchent et créent. Lorsque j’étudiais le cinéma, j’avais des certitudes, j’intellectualisais les choses. J’étais très cérébral. À 40 ans, je commence à oublier les choses que j’ai apprises à l’école de cinéma et je fais plus confiance à mon instinct», déclare Cristiano Burlan.

Pourquoi Genève? «Parce qu’à Genève, je sens que je peux faire quelque chose de puissant. Cette ville m’inspire une réflexion profonde sur le monde et sur les choses de la vie. Je suis nostalgique à Genève, ville que je sens proche de moi. En deux séjours, j’y ai passé en tout dix jours. Cette ville fait partie de moi. Je ne sais pas pourquoi. C’est ainsi».

Cristiano Burlan espère présenter la première mondiale de «À la recherche de Borges» au Festival du cinéma suisse à Sao Paulo. Sa directrice Celia Gambini l’a d’ores et déjà invité à l’ouverture. «Et j’espère que le film sera également à l’affiche lors de la prochaine édition de FILMAR en América Latina à Genève, en 2016», conclut le réalisateur brésilien.


* Outre Forme de Cristiano Burlan, les autres films en compétition dans la boîte section Coups de Cœur du Festival FILMAR en América Latina sont: Carmín tropical, de Rigoberto Perezcano (Mexique); Eva no duerme, de Pablo Agüero » (Argentine-Espagne-France); La obra del siglo / L’œuvre du siècle,  de Carlos Quintela (Cuba-Argentine-Suisse-Allemagne); La once, de Maite Alberdi (Chili); NN sin identidad, d’Héctor Gálvez (Pérou); Tiempo suspendido, de Natalia Bruschtein (Mexique-Argentine) et Tus padres volverán / Tes parents reviendront, de Pablo Martínez Passi (Uruguay). Le Prix du Public a été décerné, le 29 novembre 2015, à ce dernier film.

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Éduquer à la citoyenneté: parallèles entre la Serbie et la Suisse

25 novembre 2015 — En juin dernier, j’ai été invitée par le Kulturni Centar Grad de Belgrade à participer à une résidence intitulée «Inspiration Belgrade». J’avais carte blanche pour m’immerger dans cette ville et en retirer de la matière pour ma démarche artistique, ce qui n’a pas manqué. Parmi cette matière, un nouvel éclairage s’est imposé sur mon champ d’intérêt: ce qui nous fait vivre ensemble et l’éducation à la citoyenneté.

© Lucie Schaeren / 2015

© Lucie Schaeren / 2015

Publié le le 25 novembre 2015


Par Lucie Schaeren

En juin dernier, j’ai été invitée par le Kulturni Centar Grad de Belgrade à participer à une résidence intitulée «Inspiration Belgrade». J’avais carte blanche pour m’immerger dans cette ville et en retirer de la matière pour ma démarche artistique, ce qui n’a pas manqué. Parmi cette matière, un nouvel éclairage s’est imposé sur mon champ d’intérêt: ce qui nous fait vivre ensemble et l’éducation à la citoyenneté.

Invitée à rédiger un article pour une revue pédagogique, je commence par contextualiser ma réflexion dans le cadre du plan d’études romand. Mais la tentation est forte d’ancrer mon propos ailleurs. Je choisis donc de la situer dans l’«entre-deux» qui m’occupe.

L’«entre-deux» entre la Suisse et la Serbie, entre le cœur de l’Europe et sa périphérie, entre une approche scientifique et artistique; l’entre-deux dans lequel évolue la démocratie, heureusement difficile à figer dans une seule définition. Un «entre-deux» si riche et si inconfortable, tant il serait plus agréable de s’accrocher à des certitudes. «Quand on commence à poser des questions, on entre dans la complexité», me rappelle une enseignante en formation à mon retour.

Qu’est-ce que l’éducation à la citoyenneté? Où puise-t-elle ses racines? Pourquoi est-elle fondamentale? Quels sont les liens entre l’individu, le groupe et le politique? Comment les institutions influencent-elles les citoyens et inversement? Ce séjour à Belgrade m’a ouvert une nouvelle perspective sur le rapport de confiance entre citoyens et institutions que je vais développer ici.

© Lucie Schaeren / 2015

© Lucie Schaeren / 2015

Mon projet à Belgrade s’est articulé autour de la relation à l’autre, dans ses dimensions multiples, intimes et sociales, collectives et politiques. L’autre à l’intérieur de chacun, celui qui nous donne du fil à retordre; l’autre à l’extérieur, avec lequel on entre en relation. L’Autre, auquel on ajoute une majuscule, par peur, par respect ou par ignorance. L’autre politique, aussi, celui qui dans les Balkans a été construit dans la douleur, découpant un peuple en catégories, en nationalités, se répercutant ironiquement sur les paquets de céréales, lorsque le même texte, dans la même langue, est labellisé BIH (Bosnie et Herzégovine), HRV (Croatie), RS (République serbe) et MNE (Monténégro). Et si les lois qui régissaient notre relation à «notre» autre intime étaient similaires à celles qui régissent la relation d’un pays à un autre? Et si le politique commençait en nous? Et s’il n’était plus cette «chose si lointaine» qui ne nous concerne pas?

C’est une hypothèse qui peut tenir la route lorsqu’on considère le politique comme une chaîne infinie de tentatives de résolution de problèmes actuels ou à venir1. On serait donc tantôt seuls à essayer de les résoudre, tantôt en groupes, tantôt représentés par des autorités. On envisagerait alors une éducation à la citoyenneté qui partirait de la connaissance de soi, la reconnaissance de ses propres besoins et des responsabilités qui y sont liées, qui s’étendrait à la connaissance de l’autre, de ses droits et de ses devoirs et inclurait ensuite la connaissance des institutions, leurs droits, leurs devoirs et les nôtres à leur égard. Élargissons.

Lors d’une visite du Mémorial dédié à Tito à Belgrade, le père de la Yougoslavie socialiste, j’ai été surprise de constater le manque de mise en perspective des expositions et la nostalgie qui émane des mots de condoléances laissés depuis sa mort en 1980 dans le livre des hommages. Je n’avais pas, de mon point de vue helvétique, saisi l’histoire sous cet angle. Pourtant, plusieurs échanges avec des citoyens serbes ont changé la perspective que je m’étais construite et ont fait émerger un constat: si la nostalgie prend racine dans une Yougoslavie qui unissait une région au-delà des nationalismes qui ont provoqué les déchirements que l’on sait, elle s’alimente également d’un climat socio-économique catastrophique depuis les années 1990 et d’une difficile reconstruction.

QUE PENSE ET APPREND LA JEUNE GÉNÉRATION SERBE DE L’HISTOIRE DE SON PAYS?

Ainsi, le constat «c’était mieux avant» est une rambarde à laquelle il est facile de s’accrocher pour contrecarrer une confiance effritée et effritable dans les institutions du pays. Pour échapper à une incertitude quotidienne, en somme. Comment cette défiance envers les autorités se répercute-t-elle dans les enseignements? Que pense et qu’apprend la jeune génération serbe de l’histoire de son pays? Comment l’accompagner, en tant qu’enseignant, à développer une citoyenneté active, critique et responsable lorsqu’on doute soi-même de son environnement institutionnel et politique?

La notion de confiance, et celle d’engagement se trouvent au cœur de la citoyenneté. Un engagement vis-à-vis de soi, de l’autre et des institutions qui nous représentent. Cet engagement n’égale pas une approbation aveugle, mais plutôt un questionnement continu pour ne laisser rien ni personne tomber dans les certitudes figées, lorsque la vie s’arrête. Il va de soi que la guerre laisse des traces à l’intérieur des individus qui l’ont subie, qui marque ensuite leur relation l’autre, ainsi qu’à l’État. Inversement, il est également évident que l’attitude qu’un individu adopte envers lui-même détermine son rôle dans la société: l’engagement prend racine dans une relation engagée avec soi-même avant de s’étendre à la société.

En Serbie, certains citoyens semblent se désintéresser de la politique, car leurs efforts paraissent trop souvent vains, empêtrés dans un contexte de méfiance envers des autorités qu’ils estiment corrompues et poursuivant leur propre intérêt. En Suisse, les citoyens disposant du droit de vote peuvent mobiliser ce droit pour influer sur l’organisation du pays, moyennant une connaissance du fonctionnement des institutions. Cette participation, exigeante certes, est peu mobilisée par les citoyens.

Quel est le lien entre l’exercice de la citoyenneté et la confiance envers les institutions? Il réside notamment dans la participation politique accordée aux citoyens et dans l’impact de leurs actions sur leur environnement. Il est important de souligner, toutefois, l’éventail des manières d’exercer sa participation politique afin de développer un comportement citoyen, actif et responsable, incluant et allant au-delà de la mise en œuvre de ses droits politiques à proprement parler.

Lorsqu’un élève est invité à participer à l’organisation d’un événement au sein de son établissement et que son implication donne un résultat dont il est fier; lorsqu’il est invité à s’exprimer sur l’actualité et que son opinion est considérée; lorsqu’il peut exprimer ses valeurs et que celles-ci sont respectées; en somme, lorsque l’institution lui accorde de la confiance, alors celui-ci développe, pas à pas, un comportement citoyen qui influencera fondamentalement son positionnement dans la société, à la fois critique, actif et responsable, de sorte à retourner ensuite sa confiance à l’égard de son environnement sociopolitique.

L’élaboration d’un comportement citoyen se situe au cœur de l’éducation à la citoyenneté qui articule à la fois des savoirs, des compétences et des méthodes favorisant l’action. Ce comportement réunit des dimensions individuelles (Qui suis-je ? Quelles sont mes valeurs, mes émotions, mes besoins? Comment dois-je m’y prendre pour trouver un équilibre?), sociales (Qui est l’autre? Quelles sont ses valeurs? Comment vivre ensemble?), politiques (Comment fonctionne mon environnement socio-politique? Quelles sont ses valeurs? Comment puis-je y participer/l’influencer?)

Toutes ces questions invitent la complexité et l’incertitude mais aussi, inévitablement, la vie. En Serbie, comme dans beaucoup d’autres pays dont le système souffre de beaucoup de «dysfonctionnements» apparents, il y a une intensité de vie qui manque parfois en Suisse ou le système «fonctionne». Alors, s’il ne s’agit pas de souhaiter l’insécurité pour redonner un souffle aux personnes résidant en Suisse, il peut être souhaitable d’insuffler un peu d’incertitude dans les enseignements tout en développant, avec les élèves, les compétences qui permettent au mieux de l’aborder.

C’est dans cet échange critique, constructif et honnête entre les élèves et leur enseignant que se développe, de manière dynamique et non linéaire, l’exercice d’une citoyenneté, comme une éducation au politique. Et le politique est présent partout, dans tous les pays, à l’intérieur de chacun et dans chaque collectivité, lorsqu’on aborde de manière engagée les problèmes liés au quotidien.

© Lucie Schaeren / 2015

© Lucie Schaeren / 2015

Finissons sur une histoire de bus... À Belgrade, lors d’un trajet quotidien je me tiens à une patère de bus avec une autre femme. Lors d’un freinage un peu brusque, la patère, censée nous sécuriser, est «partie» avec nous, avec le mouvement. Pas de mal, mouvement assez fluide, tout est revenu en place facilement. Toutefois, dans le regard de ma co-passagère, j’ai aperçu une exaspération qui allait au-delà du bus et de ses fragilités... elle semblait faire référence à un pays, à ses failles, à quelque chose qui venait de loin.

De retour à Lausanne, je me retrouve dans un bus, par 35 degrés en fin de journée, chargée de bagages. Un passager m’interpelle pour me demander «de prendre moins de place», une autre s’insurge contre deux jeunes enfants assis: «Vous n’avez pas vu qu’il y a une vieille personne? Bravo! C’est ça la nouvelle éducation?!» Les bus cristallisent beaucoup de dimensions citoyennes. Mon regard doit être empreint à ce moment précis d’incrédulité vis-à-vis non pas uniquement de passagers singuliers, mais de la sensation que nous, Suisses, manquons de quelque chose... La patère tient, le bus est climatisé, on peut faire confiance, mais on cherche des problèmes ailleurs. Pour en avoir à résoudre justement, autour desquels on se sentirait citoyens, ensemble?

1 Karl Rohe, Politikbegriffe, in: Wolfgang Mickel (Hrsg.), Handlexikon zur Politikwissenschaft (Schriftenreihe der Bundeszentrale für politische Bildung, numéro 237), Bonn 1986, p. 350.


Lucie Schaeren
Artiste et sociologue
Lausanne

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«En Amérique latine, l’enfance se construit dans le déchirement»

27 octobre 2015

La directrice Sara Cereghetti (photo) met l’accent sur le thème de l’enfance, à l’honneur de la dix-septième édition du festival Filmar en América Latina, du 13 au 29 novembre.

La directrice du festival, Sara Cereghetti, vue par © Charlotte Julie / Octobre 2015

La directrice du festival, Sara Cereghetti, vue par © Charlotte Julie / Octobre 2015

 

La directrice Sara Cereghetti met l’accent sur le thème de l’enfance, à l’honneur de la dix-septième édition du festival Filmar en América Latina, du 13 au 29 novembre.

 

Charlotte Julie
27 octobre 2015

Sergihno a à peine 15 ans, mais il est déjà l’homme de la maison. Il s’occupe de son petit frère malade, délaissé par sa mère alcoolique. Le film du Brésilien Chico Texeira, Ausencia, raconte les tribulations de ce courageux adolescent qui, fatalement, vit une troublante découverte de sa sexualité. Dans Dos Aguas, Nató, 11 ans, veut devenir joueur professionnel de football au Costa Rica, pour sortir sa famille de la pauvreté. Mais il découvre que son frère est impliqué dans une sombre histoire avec une bande de narcotrafiquants. Il décide de l’aider, à ses risques et périls. La réalisatrice Patricia Velásquez réussit ici une admirable œuvre sur la puberté comme moment d’éveil mais aussi de souffrance. Une métaphore purement latino-américaine.

Comme Sergihno et Nató, en Amérique latine, les enfants et les adolescents, souvent pris dans les filets de la déchéance sociale, multiplient les expériences d’abandon, de souffrance et de deuil. «Du nord au sud du continent, l’enfance se construit dans le déchirement», affirme Sara Cereghetti, directrice de Filmar en América Latina. Le festival consacre à cette thématique sa section Dédicace, «un espace de célébration, d’attention kaléidoscopique portée à un sujet», ajoute-t-elle. Dix films qui constituent autant d’actes de dénonciation sociale.

«PETITS HÉROS, GRAND CINÉMA»

Les «petits héros» du festival se nomment aussi Nieve, une petite fille cubaine de 8 ans, dans Todos se van, du Colombien Sergio Cabrera, Rocio, petit paysan de l’Altipliano guatémaltèque dans La casa más grande del mundo de Ana Bojórquez et Lucìa Carreras, ou El Gurì, orphelin argentin abandonné par sa mère, une jeune prostituée condamnée par une terrible maladie dans le film homonyme El Gurì, de Sergio Mazza. «Petits héros, mais grand cinéma», ajoute Sara Cereghetti dans sa présentation au Club suisse de la presse à Genève.

Les films présentés nous font explorer «l’univers de l’affectivité et la dimension familiale latino-américaine», analyse la directrice du festival. «Une dimension plus intense qu’en Europe.» Dans le passage à l’âge adulte, «les enfants et adolescents traversent peut-être plus souvent des moments de rupture», étaie-t-elle. «On peut même dire que la rupture est un élément constitutif de l’enfance en Amérique latine.»

À sa dix-septième édition, Filmar en América Latina «continue à proposer des films qu’on ne verrait pas en Suisse», déclare Jean-Pierre Gontard, président de l’association des Trois Mondes, à l’origine du festival. «Avant Filmar, on découvrait les merveilles du cinéma latino-américain à Cuba ou en Argentine, en faisant en tout cas le déplacement de l’autre côté de l’Atlantique.»

Avec 99 films, dont huit œuvres en compétition, le festival représente la plus grande manifestation cinématographique de Suisse dédiée à l’Amérique latine. Pour l’édition 2015, il se métamorphose en abolissant la distinction entre documentaire et fiction, déclare Jean-Pierre Gontard, mais aussi en remaniant l’offre des lieux de projection, à Genève, Lausanne, Pully, Martigny, entre autres, ainsi qu’en France voisine*. Une nouvelle formule, déclinée en «neuf boîtes conceptuelles», conçue «pour amplifier le dialogue avec le public».

 

Programme et liste complète des salles de projection* : www.filmar.ch
(lien à utiliser aussi pour Filmarcito, le festival des petits, du 14 octobre au 2 décembre)

 
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À peine dévoilé, le Pôle muséal de Lausanne étale ses défis à venir

6 octobre 2015

Le projet des architectes portugais Manuel et Francisco Aires Mateus remporte le concours international pour compléter le futur quartier des musées à proximité de la gare. Devisé à 183 millions, il pourrait sortir de terre à l’horizon 2020.

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Le projet des architectes portugais Manuel et Francisco Aires Mateus remporte le concours international pour compléter le futur quartier des musées à proximité de la gare. Devisé à 183 millions, il pourrait sortir de terre à l’horizon 2020.

 

Lucy Isler
6 octobre 2015

Primé à l’unanimité du jury pour sa «force, cohérence et luminosité», le projet d’architecture des frères Aires Mateus réunira deux musées sous un seul toit: le Musée cantonal de la photographie (musée de l’Élysée) et le Musée de design et d’arts appliqués contemporains (Mudac). Le premier en sous-sol et le second au premier étage. L’ensemble «s’intégrera et respectera parfaitement le site», a souligné le conseiller d’État Pascal Broulis à la proclamation du résultat, lundi 5 octobre 2015, au Palais de Beaulieu à Lausanne.

Un musée, deux musées,... trois musées au total! Avec le projet retenu des architectes espagnols Barozzi et Veiga pour le Musée cantonal des beaux-arts (mcb-a), devisé à 83 millions, le plan d’aménagement du site est désormais entièrement dévoilé. «Sa particularité sera la mise en synergie de trois disciplines — la photographie, les arts plastiques et le design — sur un seul site pour la création d’un quartier des arts unique», souligne Chantal Prod’hom, présidente du conseil de direction du Pôle muséal et directrice du Mudac.

Reste encore à trouver les fonds pour cette deuxième phase. Estimée à 100 millions de francs, la construction prévoit d’être financée à hauteur de 40 millions par l’État de Vaud, 20 millions par la Ville de Lausanne et, enfin, 40 millions par des dons privés, calcule Pascal Broulis, conseiller d’État chargé du département des finances. Le projet doit d’abord être décliné dans ses étapes de réalisation avant qu’une enveloppe ne soit demandée au Parlement vaudois. Olivier Steimer, président de la fondation de soutien au Pôle muséal et président du jury, se dit «confiant» quant à la participation de mécènes privés et institutionnels, mais «aussi de grandes entreprises». À l’arrivée, le Pôle muséal coûtera dans son ensemble 183 millions.

«La construction de la deuxième phase suivra celle du Musée cantonal des beaux-arts», a précisé Anne-Catherine Lyon. À savoir, entre 2017 et 2020. La conseillère d’État s’est réjouie de voir sortir de terre lesdeux édifices qui, de fait, doubleront la surface actuelle des trois musées concernés. Une opportunité unique pour la «conservation et la mise en valeur de leur patrimoine culturel», a-t-elle affirmé. La réunion d’œuvres d’art sur un seul site pourrait, selon elle, attirer jusqu’à 250 000 visiteurs par année. Soit un peu plus du double qu’aujourd’hui pour les trois musées réunis.

Après le 29 juin 2010, date à laquelle le Grand Conseil vaudois a accordé 13,8 millions de francs pour les projets de réhabilitation, le Pôle muséal s’est attiré de nombreuses oppositions. En octobre 2012, dix-huit dossiers sont déposés contre le projet d’affectation du Musée cantonal des beaux-arts. 14 d’entre eux émanaient de particuliers, 4 d’associations. Juin 2014, ce sont 186 oppositions qui font obstacle à la mise à l’enquête du bâtiment, dont une opposition collective de 145 signatures. En mai 2015, les riverains opposés aux projets finissent perdants au Tribunal cantonal. Ils saisissent alors le Tribunal fédéral en juin, tout en voyant les CFF entamer le chantier — un mois avant la date officielle du début des travaux.

Aujourd’hui, la réalisation de cette première étape reste bloquée à la décision des juges de Mon-Repos. Quant à la deuxième, des oppositions au permis de construire restent possibles. Ce qui pourrait retarder le projet de «18 à 24 mois», a commenté le syndic de Lausanne, Daniel Brélaz. Les ambitions du Canton et de la Ville sont grandes. Ex-quartier industriel, la reconfiguration complète de la parcelle de 22 000 m2 derrière la gare (image ci-après) promet de devenir un «espace culturel unique en Suisse».

 
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À Genève, l’officine bülbooks renouvelle l’art du «romantisme éditorial»

Créateur de B.ü.L.b comix, Nicolas Robel lance une nouvelle maison d’édition, bülbooks, en gardant intacte sa passion créatrice: «Je publie des livres sur un coup de foudre, et j’ai pour principe de ne pas privilégier la rentabilité aux dépens de la qualité d’un projet.» Rencontre avec un irréductible idéaliste.

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Créateur de B.ü.L.b comix, Nicolas Robel lance une nouvelle maison d’édition, bülbooks, en gardant intacte sa passion créatrice: «Je publie des livres sur un coup de foudre, et j’ai pour principe de ne pas privilégier la rentabilité aux dépens de la qualité d’un projet.» Rencontre avec un irréductible idéaliste. [dropcap]L[/dropcap]’édition est parfois un monde de brutes. Mais le plus souvent, ce sont des anges qui le peuplent. Éperdument amoureux de leur métier, ils le pratiquent sans se laisser guider par le profit, uniquement par le plaisir de créer et de procurer de la joie. Nicolas Robel fait résolument partie de ces créateurs désintéressés. Il a fondé B.ü.L.b comix, en 1996 à Genève, avec cette vaillante maxime: «Je publie des livres sur un coup de cœur et j’ai pour principe de ne pas faire de profits.»

Dix-huit ans plus tard, il lance bülbooks, une nouvelle aventure éditoriale aussi ludique, décalée, ironique et jouissive que la précédente. En automne 2014, la dernière création de B.ü.L.b comix portait la lettre Z, signe que la série touchait à son terme. Fin naturelle d’un cycle qui va cruellement manquer aux fans de ces «bandes dessinées ütopiques à lire dans son bain», appellation loufoque, diffusée sous l’acronyme B.ü.L.b., qui a accouché de 75 ouvrages et publié 125 auteurs.

La maison bülbooks change de registre, mais reste tout aussi espièglement créative: elle publie... des «guides détournés». Le premier-né de la collection, paru en septembre 2014, est un petit bijou; son titre à rallonge, une irrésistible invitation:

Un guide sur la pratique du FuittFuitt, manuel détourné de danse ultra fluide, développé par les danseurs Laurence Yadi et Nicolas Cantillon | Compagnie 7273, en pas de trois avec l’éditeur.

On ne se laisse pas prier pour glisser dans ses 72 pages virevoltantes qui cachent, derrière les déhanchements souplissimes des danseurs, «une protestation muette en mouvement pour libérer les esprits et les frontières culturelles et politiques», explique Nicolas Robel. «Regardez, par exemple, les pages 18 et 19, où les deux danseurs illustrés sous forme de géants monochromes se jouent des frontières devant les gardes-frontières de Ramallah et comptent bien danser coûte que coûte dans un contexte politique tendu.»

Sur la couverture du livre, une citation de Bruce Lee en lettres rouges: «Il n’y a pas un style mais plein de styles dans ma façon d’aborder le Kung-Fu!» D’où sort-elle? «C’est une référence, proposée par les auteurs, au décroisement des styles voulu dans la danse FuittFuitt comme a tenté de le faire Bruce Lee avec les arts martiaux. Cela nous semblait bien plus pertinent de citer un maître des arts martiaux qu’un danseur étoile du Bolchoï», ajoute-t-il.

[su_pullquote align="right"]Une officine de petits bijoux éditoriaux savoureusement décalés[/su_pullquote]L’officine bülbooks concocte d’autres petits bijoux éditoriaux savoureusement décalés. à commencer par un manuel détourné du tennis de table qui cache un guide sur le graphisme. «La table de ping-pong, les trajectoires des balles, autant de formes et de lignes dessinant un univers graphique», se réjouit son concepteur, qui songe aussi à réaliser un guide détourné de promenade en forêt, cachant une introduction à l’art contemporain… Et un guide de survie en milieu éditorial, dont on ne dira pas plus. Un, deux, trois, bülb, bülb, bülbooks!

Mais il faudra être patient avant de voir tenir ces trois belles promesses. Dans l’officine bülbooks, rien ne presse. Nicolas Robel évalue entre douze et dix-huit mois le temps de production pour un livre «abouti, accompli, réussi, dont on ne regrette rien, même pas une ligne». Rendez-vous est donc pris en 2016. Ou peut-être plus tard. Le public de bülbooks est au diapason avec ce «romantisme éditorial»: créer par passion, sans but lucratif, sans être pressés, séduire les lecteurs avec humour, élégance, brio et ironie.

«Nous prenons le temps de bien faire les choses, nous ne sommes pas soumis à l’exigence de sortir un nouveau livre pour avoir des subventions ou une bonne place dans les librairies au rayon des nouveautés», assène le fondateur de bülbooks. «Nous sommes en librairie, si le libraire se montre motivé dans notre démarche culturelle et accepte les conditions proposées, à savoir vente-ferme 40% sans retour, trois exemplaires minimum pour constituer une commande. Cela en refroidit quelques-uns et, du coup, cela fait office de tri. Exit le diffuseur, nous ciblons les lecteurs via notre site web¹.»

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Graphiste, Nicolas Robel gagne sa vie grâce à des mandats privés et publics. Il gère bülbooks avec un modèle archiplein de bon sens, celui-là même qui avait assuré la pérennité de B.ü.L.b comix: «Je publie un livre seulement si je dispose de l’argent pour le faire. Il est exclu de s’endetter, de demander un prêt, ou de réclamer une subvention.» Si le titre s’écoule bien, l’éditeur rentre dans ses frais... Sinon, peu importe: «Pas question de ne pas suivre un coup de cœur pour une banale question financière.» La production est rigoureusement artisanale, «les auteurs sont payés en livres, tout se fait sur la confiance».

Pas question non plus d’être angoissé par des échéances commerciales: «Il a fallu cinq ans pour vendre les 1100 exemplaires imprimés de l’un de nos titres», rappelle Mathieu Christe, co-éditeur de B.ü.L.b comix depuis 2002. C’est au sublime Move to the City, de l’auteur britannique Tom Gauld, que l’associé de Nicolas Robel fait allusion.

Une bande-dessinée mélancolique et lunaire, touchant récit d’une aventure humaine animée par la finesse de l’humour anglais. Ce chef-d’œuvre a été publié en plusieurs épisodes dans le Guardian puis dans Le Courrier. Malgré le succès, aucune réédition n’a été réalisée. «Un livre n’a qu’une seule vie au sein de B.ü.L.b comix...», enchaîne Nicolas Robel. «Cela m’amuse de me donner des règles», ironise-t-il.

[su_pullquote align="right"]«L’indépendance financière découle de l’indépendance intellectuelle.»[/su_pullquote]En réalité, cet éditeur hors catégorie reste farouchement attaché à sa devise: «L’indépendance financière découle de l’indépendance intellectuelle.» Le concept bülbooks est l’expression d’une autonomie radicale, imperméable à toute infiltration de la logique commerciale, qui «continue d’avancer très sournoisement», s’inquiète Nicolas Robel.

Le Genevois a été de tous les combats en faveur d’une édition résolument indépendante. Il s’était associé au Comptoir des indépendants puis dissocié des Belles Lettres, qui en avait repris les rênes. Après une longue agonie, le Comptoir a succombé en janvier 2011. Et ce climat de désolation se poursuit avec les difficultés que traversent les éditeurs Atrabile et Drozophile, avec lesquels B.ü.L.b comix avait formé le Trois Pattes, association de diffusion dissoute en 2002.

Pour comprendre les raisons de la désillusion qui ronge les éditeurs indépendants, Nicolas Robel indique un ouvrage de référence: La trahison des éditeurs, de Thierry Discepolo, publié en 2011 aux Éditions Agone. «Une antilégende de l’édition démontant les mécanismes qui transforment les lecteurs en consommateurs, les librairies en boutiques, les éditeurs en vendeurs de poisson.» Par son analyse lucide des mirages économiques qui ont aveuglé l’édition, le livre de Discepolo sert de boussole «pour ne pas égarer les coordonnées de l’indépendance intellectuelle».

Et pour «garder intacte la passion créatrice», rien de tel qu’une rencontre stimulante: «Les danseurs Laurence Yadi et Nicolas Cantillon sont venus à l’atelier car ils voulaient faire un livre, nous étions en train de préparer le dernier ouvrage chez B.ü.L.b comix, la 2w Box set Z, et le projet bülbooks était encore à l’état embryonnaire. Cette rencontre a accéléré les choses. Je me suis dit: pourquoi pas commencer par un guide de danse? Je n’ai pas vraiment eu le temps de me rendre compte de ce qui se passait. Le songe B.ü.L.b comix touchait à sa fin et je me devais de repartir contre mes moulins, mais sans Don Quichotte ou sans Pancho, c’est selon.» Olé!

¹ www.bulbfactory.ch

Les photos sont de © Nicolas Robel / 2014.

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Le peintre K. Vasili a rejoint l’Idée

Samedi matin, 4 avril 2015, à l’Hôpital Charles-Foix d’Ivry-sur-Seine, un peintre majeur a quitté le monde de la matière pour rejoindre celui de l’Idée, qu’il n’a cessé de chercher tout au long de son œuvre. K. Vasili était aimé, apprécié, admiré par tous ceux qui servent l’art et refusent de s’en servir.

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[dropcap]S[/dropcap]amedi matin, 4 avril 2015, à l’Hôpital Charles-Foix d’Ivry-sur-Seine, un peintre majeur a quitté le monde de la matière pour rejoindre celui de l’Idée, qu’il n’a cessé de chercher tout au long de son œuvre. K. Vasili était aimé, apprécié, admiré par tous ceux qui servent l’art et refusent de s’en servir. C’est dire si la société médiamercantile – qui exerce actuellement ses ravages – l’a ignoré… Un signe de haute qualité qui ne trompe pas. La société médiamercantile a un mauvais goût très sûr. Vasili est né en 1942 à Lakotama en Grèce; son enfance a été marquée par la guerre civile qui, dès la fin du second conflit mondial, a opposé les communistes grecs aux nationalistes. Avec son frère aîné, Vasili avait trouvé refuge en Yougoslavie où il a accompli toute sa formation scolaire et artistique, notamment aux écoles des beaux-arts de Pec, Skopje et Belgrade. Dès 1964, il s’installe à Paris avant d’être naturalisé français. Rien n’était plus étranger à K. Vasili que le bruit.

En ascète de la peinture, il le tenait à l’écart, préférant l’ombre qui protège la vraie lumière aux projecteurs qui n’éclairent rien mais aveuglent la foule. D’ailleurs, même son patronyme est source d’interrogation, tantôt écrit à la grecque, tantôt rédigé à la serbe. Comme si l’important n’était pas dans une identité bureaucratique et forcément vague. Or, K. Vasili – c’est ainsi qu’il signait ses tableaux – n’aimait pas le vague, le flou, l’à-peu-près près trompeur.

C’est la vérité qu’il cherchait à atteindre. Ou plutôt l’idée de vérité. Parti de la représentation figurative d’un monde bouleversé et souvent conflictuel, l’artiste a épuré son geste et pris progressivement le parti de l’abstraction afin de tendre vers l’essentiel, l’essence-ciel où vibre le monde des Idées platoniciennes. Cette ligne qui figure dans nombre de ses tableaux est un chemin vers la lumière. Mais il en va ainsi de tous les chemins de crêtes, il faut dominer son vertige pour tendre vers le but.

S’il fallait lui coller une étiquette – un acte toujours douteux – celle de peintre platonicien serait la moins fâcheuse. Cette phrase tirée du Phèdre de Platon illustre parfaitement sa démarche artistique:

Une intelligence d’homme doit s’exercer, selon ce qu’on appelle «Idée», en allant d’une multiplicité de sensations vers une unité, dont l’assemblage est acte de réflexion.

Parti du multiple, l’artiste est parvenu à l’Un. Dans ce monde qui turbule à la folie, l’œuvre de K. Vasili n’est pas seulement nécessaire, elle est devenue vitale.

[su_service title="La Cité a consacré un hommage à K. Vasili dans son édition de mai." icon="icon: arrow-circle-right" size="30"][/su_service]

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Ventes d’art mondiales: plongée dans un marché en plein boom

En 2014, 51 milliards d’euros se sont échangés en œuvres d’art dans le monde, le niveau le plus élevé jamais enregistré. Dopé par la multiplication des musées et des intermédiaires, le marché accentue son profil spéculatif.

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En 2014, 51 milliards d’euros se sont échangés en œuvres d’art dans le monde, le niveau le plus élevé jamais enregistré. Dopé par la multiplication des musées et des intermédiaires, le marché accentue son profil spéculatif.

Mis en ligne le 1 avril 2015 à 21h45

[dropcap]L[/dropcap]a progression est de 300% en une décennie. Depuis 2004, le marché de l’art affole tous les indicateurs. Cette ascension est liée au segment de l’art contemporain, qui affiche une croissance vertigineuse de plus de 1000% sur dix ans. Le rapport d’Artprice sur les ventes d’art contemporain réalisées entre juillet 2013 et juillet 2014 enregistre un chiffre d’affaires de 15,2 milliards de dollars, contre 12,5 milliards en 2013, soit un bond de près de 30%. Un sommet inégalé sur ce segment, marqué par un fort nombre de ventes supérieures à un million. Tombées en automne 2014, les statistiques d’Artprice concernent uniquement les ventes Fine Art (1).

Mi-mars, le TEFAF Art Market Report, le plus complet existant à ce jour (2.), fait état d’un pourcentage global de croissance bien moins marqué que les 12% enregistrés par Artprice, au niveau global mais sur une année différemment considérée. De janvier à décembre 2014, quelque 51 milliards d’euros se sont échangés en œuvres d’art, soit 7% de plus qu’en 2013. C’est tout de même le niveau le plus élevé jamais enregistré. Avec 48% des recettes, l’art contemporain se taille la part du lion, l’art moderne représentant 28%.

Le marché est dopé par la multiplication des musées dans le monde, analyse Thierry Ehrmann, fondateur et président d’Artprice. «Il s’est créé plus de musées entre 2000 et 2005 que durant tout le XIXe et le XXe siècle et il s’ouvre dans la Grande Asie un musée par jour», lit-on dans son rapport. «Et un musée a besoin d’un minimum de 3000 à 4000 œuvres de qualité pour être crédible.»

VOCATION PREMIÈRE

Spécialiste du marché de l’art contemporain, Hayat Jmammou, directrice de la galerie genevoise Hayat Fine Arts Selection, considère pour sa part que «ce boom est aussi en grande partie lié à la spéculation réalisée par des acteurs puissants, qu’ils soient marchands d’art, collectionneurs, puissantes institutions ou les artistes eux-mêmes». Elle cite l’exemple du marchand d’art Larry Gagosian: «Il joue avec le système, il spécule, il exerce un marketing agressif et augmente ainsi la valeur de ses artistes.» Parmi ses «protégés», on dénombre Damien Hirst ou un certain Jeff Koons, le créateur du Balloon Dog, sculpture de trois mètres sur quatre adjugée par Christie’s pour 58,4 millions de dollars en novembre 2013. C’est le coup de marteau le plus fort qui a retenti à ce jour pour une œuvre d’art contemporaine.

«Nous sommes aux antipodes de la manière et du style d’un Paul Durand-Ruel, qui a vécu un siècle avant Larry Gagosian. Lui s’endettait pour acquérir les toiles des artistes qu’il affectionnait, comme Renoir ou Monnet», assène Hayat Jmammou. «L’art a été détourné de sa vocation première», déplore Frédéric Elkaïm, expert en marché de l’art contemporain, actif entre Genève et Paris. «De vecteur de valeurs culturelles et esthétiques, il est devenu un véhicule de placement financier.» Un changement de paradigme intervenu sous l’impulsion des nouvelles générations d’acheteurs:

[su_quote cite="Hayat Jmammou"]Aujourd’hui, nous comptons 450 millions de consommateurs d’art dans le monde, alors que, dans les années 1945, nous en comptions 500 000. Parmi ces consommateurs, beaucoup de jeunes trentenaires s’offrant le luxe d’une belle œuvre d’art au-dessus d’un meuble au nom suédois imprononçable qu’ils ont dû monter eux-mêmes.[/su_quote]

«Pour nombre d’acheteurs et de collectionneurs, l’art est une façon de acquérir un statut social. Parfois, cela va très loin. Certains n’hésitent pas à définir François Pinault comme le Lorenzo de Medici du XXIe siècle... Ce n’est pas mon point de vue, mais il est de plus en plus courant de l’entendre dans le milieu», ajoute Frédéric Elkaïm.

DOMINATION DES VENTES PRIVÉES

«À noter que Pablo Picasso reste l’artiste avec les transactions les plus importantes en 2014 avec 345,8 millions de dollars. Mais Andy Warhol le talonne avec 299,2 millions. Jusqu’à quand Picasso tiendra-t-il le flambeau?» se demande Hayat Jmammou. Aux yeux de l’amateur d’art, il serait impensable qu’un Wahrol puisse détrôner un Picasso. Ainsi va le marché de l’art, où les intermédiaires font la pluie et le beau temps. «Ce sont eux qui régulent le marché, analyse Hayat Jmammou. Contournant les enchères publiques, où ils sont évalués avec les critères du marché, les prix peuvent flamber.» Le rapport TEFAF confirme en 2014 la domination des ventes privées — réalisées par l’intermédiaire d’une galerie, d’un marchand d’art, ou même à travers les services «ventes privées» d’une maison de ventes aux enchères — sur les ventes publiques.

«On achète aussi beaucoup dans les foires, ajoute Hayat Jmammou, les volumes les plus importants se faisant dans les couloirs des vingt-deux plus grands salons internationaux sur les 180 grandes foires d’art comportant un élément international, couvrant fine et art décoratif, recensées en 2014.» Avec 9,8 milliards d’euros, les ventes réalisées dans les foires d’art représentent le deuxième canal de vente en importance après les transactions en galerie. Mais on achète également sur internet. L’an dernier, selon le rapport TEFAF, il s’est vendu en ligne pour 3,3 milliards d’euros en œuvres d’art, soit environ 6% des ventes globales.

Salon ArtGenève © Charlotte Julie / 31 janvier 2015

Les géants des enchères d’art, Christie’s et Sotheby’s, ne semblent en rien perturbés par la montée en puissance des intermédiaires et des «ventes privées». Début mars, Sotheby’s annonçait un nouveau record historique de ventes en 2014, à 6,1 milliards de dollars, en hausse de 19% sur 2013. L’entreprise américaine occupe le deuxième rang mondial derrière la maison britannique Christie’s. Fin janvier, le numéro un mondial affichait une année 2014 historique, avec des ventes pour un montant de 8,4 milliards de dollars en 2014, en hausse de 12% sur un an.

Le marché de l’art en 2014 était composé de quelque 309 000 entreprises dans le monde entier, pour la plupart des petites entreprises, employant environ 2,8 millions de personnes, lit-on dans les pages du rapport TEFAF. Les États-Unis se font la part belle, avec 39% des transactions mondiales. C’est ensuite en Chine et au Royaume-Uni que les ventes ont été les meilleures, les deux pays arrivant deuxième ex-aequo avec chacun 22% de parts de marché. Face à la fulgurante progression de la Chine dans les statistiques mondiales, les géants anglo-saxons, États-Unis et Royaume-Uni, détiennent (encore) 61 à 62% des parts de marché. «En perte de vitesse, la France arrive en quatrième position, alors qu’elle détenait plus de 50% du marché de l’art dans les années 1960», ajoute Hayat Jmammou.

Le marché de l’art serait-il devenu une gigantesque bulle spéculative? Selon le président d’Artprice, Thierry Ehrmann, «le nombre d’œuvres vendues dans le monde reste relativement stable par rapport à 2013: 505 000 adjudications. Ce qui démontre l’absence de spéculation». Pour Frédéric Elkaïm, «le marché tient le choc car les fortunes des principaux investisseurs sont solides et le taux de transactions qui pourraient paraître spéculatives reste encore bas».

ÉMERGENCE DE NOUVEAUX MARCHÉS

Cet expert du marché de l’art se souvient des chutes à répétition dans les années 1990, «du fait d’un vrai contexte spéculatif». Un phénomène qui a touché de plein fouet les années 2009-2010, «avec un effondrement sensationnel de 48% de la valeur du marché», rappelle Hayat Jmammou. La galeriste genevoise observe l’émergence de nouveaux segments de marché qui diversifient l’offre, satisfont la demande et atténuent le risque spéculatif. Le 24 mars dernier, le Salon du dessin ouvrait ses portes à Paris, avec des œuvres sur papier de Tiepolo, d’Ingres et de Gauguin. «Les dessins sont la colonne vertébrale de toute œuvre d’art, analyse Hayat Jmammou. Ils ont l’avantage d’avoir une valeur artistique et d’être exposés à des prix abordables dans des salons pointus.» Où on y sent moins fort l’argent que dans les foires d’art traditionnelles.

[su_service title=" Article paru dans l'édition d'avril." icon="icon: sign-out" size="30"][/su_service]


1. Les ventes Fine Art, c’est-à-dire les peintures, sculptures, volumes-installations, dessins, photographies, estampes, aquarelles, à l’exclusion des antiquités, des biens culturels anonymes et du mobilier.

2. Le TEFAF est le seul à couvrir aussi bien les ventes d’antiquités que d’œuvres d’art de toutes époques confondues à travers le monde.

 

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Avec de Rougement, voyage en zig-zag dans une crise pas si ancienne que cela

Le Journal d’un intellectuel en chômage tenu par le grand penseur suisse Denis de Rougemont évoque la période qui précède la Deuxième Guerre mondiale. Un ouvrage à lire et relire pour prendre conscience que la déprime actuelle n’est qu’un cycle parmi d’autres, à inscrire dans une vision historique à long terme.

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Le Journal d’un intellectuel en chômage tenu par le grand penseur suisse Denis de Rougemont évoque la période qui précède la Deuxième Guerre mondiale. La catastrophe économique de 1929 fait encore ressentir ses effets. Les faillites se succèdent. Les haines se lèvent. Privé de travail à Paris, l’écrivain et sa femme tentent de s’implanter en province pour retourner à Paris temporairement. Durant ce voyage en zigzag, ils rencontrent une «apathie générale» qui sonne comme un écho à l’ambiance régnant sur cette France d’aujourd’hui, de mauvais poils et de traits tirés, celle qui souffre des effets de la mondialisation avec une acuité plus vive qu’ailleurs. À lire et relire cet ouvrage, pour prendre conscience que la déprime actuelle n’est qu’un cycle parmi d’autres, à inscrire dans une vision historique à long terme. Catherine Willi retrace les grandes étapes de ce Journal. [dropcap]R[/dropcap]éédité en 2012 par les Éditions la Baconnière, le Journal d’un intellectuel en chômage a paru la première fois en 1937 chez Albin Michel. Ce Journal, qui se veut non-intime, enthousiasme à l’époque la quasi unanimité de la critique, dépassant largement les frontières des pays francophones. Ramuz et Mauriac, pour ne citer qu’eux, prennent la plume. Denis de Rougemont dit avoir rédigé ce Journal à temps perdu. Parallèlement, il travaillait à la rédaction de l’ouvrage Penser avec les mains.

Pourquoi ce Journal a-t-il remporté un tel succès? L’écriture, qui n’a pas laissé Ramuz insensible, y est d’une grande clarté. Les descriptions de la nature se transforment en évocations poétiques. Quant au contenu d’une grande richesse, qu’il s’agisse de réflexions sur la condition de chômeur, de pensées sur des lectures personnelles, d’observations sur le travail, le comportement et la mentalité des gens, il permet au lecteur d’établir des liens avec sa propre vie. Mauriac parle du sentiment qui a inspiré ce livre et qu’il ressent. Le Journal d’un intellectuel en chômage tient en 267 pages; il a été rédigé de 1933 à 1935 et il se compose d’un préambule suivi de trois parties.

1. N’HABITEZ PAS LES VILLES (NOVEMBRE 1933 – JUILLET 1934)

Nous sommes en septembre 1933. De Rougemont perd son emploi à la direction littéraire des Éditions «Je sers», suite à une mise en faillite de l’entreprise. Il vit à Paris depuis le début des années 1930. Il est reconnu dans les milieux intellectuels et littéraires pour avoir signé de nombreux articles dans différentes revues. Toutefois, il n’a pas encore publié de livre en France et n’a pas d’entrée dans la grande presse.

Il décide alors de se rendre avec sa jeune épouse sur l’île de Ré pour y passer l’hiver. Au sixième jour de son séjour, de Rougemont baigne dans le bonheur de la nouveauté et de la découverte et il écrit: «De l’île, du village, de la mer, je ne veux rien dire encore: je laisse tout cela se mêler à ma vie, dans l’heureux étourdissement de la lumière maritime.» (p. 13) Sa situation financière ne le préoccupe pas encore; d’après ses calculs, il peut vivre pendant six semaines. Il énonce alors trois aspects de sa vie qu’il va vérifier et noter jour après jour. Il s’agit premièrement du problème matériel: peut-on séjourner loin d’une ville, sans gain assuré, en vivant d’articles et de traductions? Deuxièmement, il étudiera le problème psychologique: ce choix de vie favorise- t-il l’acte d’écrire et rend-il heureux? Finalement, il se penchera sur la troisième question: le problème social, à savoir le rapport avec les indigènes.

Le 13 décembre, il reste 2 francs 50 au couple de Rougemont. Un ami, auquel l’écrivain avait auparavant prêté de l’argent, lui envoie à ce jour et par courrier 100 francs. Dix jours plus tard, de Rougemont décrit comme un échec son choix de l’indépendance financière: il accepte l’invitation de trois semaines de la part d’un ami. De janvier à mi-juin, il vit dans l’économie la plus stricte d’un travail payé d’avance.

Le 14 juin, il reçoit par courrier le chèque d’un prix récompensant un petit ouvrage écrit il y a dix-huit mois et qui lui permettra «de passer l’été ici sans inquiétude. Ou encore de le passer ailleurs sans ennui». (p. 132) Le lendemain, par lettre toujours, une amie lui propose une maison dans le Gard. Le couple fixe le départ définitif de l’île au 10 juillet 1934.

De Rougemont ne semble pas souffrir de l’instabilité due à l’incertitude financière. Tout au plus, note-t-il: «C’est lassant, le manque d’argent, à la longue.» (p. 128) Il se demande d’où lui vient le calme qu’il ressent dans cette situation matériellement difficile et il nous donne la réponse suivante, sous forme d’interrogation: «Et si je n’avais pas une croyance secrète et puissante en l’ordre significatif du monde (quoi qu’il m’advienne), ne serais-je pas désespéré, fou de possibles manques et de grandeurs inatteintes? Serait-ce donc que je crois réellement à la Providence?» (p. 69) Ce qui semblerait plus difficile dans cette situation financière précaire, c’est le rapport qu’il entretient avec son épouse: «Une remarque ironique de ma femme sur mes petits comptes avait amené la première explosion de mauvaise humeur... Je n’étais pas fier.» (p. 131)

Quand on observe la deuxième question soulevée par de Rougemont, à savoir si l’isolement est propice au travail de l’écrivain-intellectuel, il semble assez aisé de répondre par l’affirmative. En effet, il consacre l’essentiel de son temps à l’écriture et à la réflexion. C’est même durant cette période qu’il rédige en partie le livre Penser avec les mains (Paris, Albin Michel, 1936). Seuls les éléments déchaînés — une tempête de dix jours — l’empêchent de travailler sereinement et il note: «... je ne parviens plus à avancer dans mon travail. Obsession du sifflement furieusement modulé dans les cheminées et à travers le toit fragile, jour et nuit.» (p. 101)

Il reste à aborder le troisième point, l’aspect social. Et c’est cette dimension de la vie quotidienne qui fera partir le couple de Rougemont de l’île; il se rendra ensuite dans le Gard pour les mêmes raisons et, finalement, rejoindra Paris. De Rougemont, deux semaines après son arrivée sur l’île, éprouve de l’ennui à se voir observé lorsqu’il traverse la place du village. Par une comparaison avec la capitale, il minimise cet inconvénient de la province. Peu de temps après, il note qu’il ne parvient pas à partager ce qu’il fait et ce qu’il pense avec les gens de l’île. Les indigènes aiment parler du temps et d’eux-mêmes, mais ils sont incapables de poursuivre la conversation si de Rougemont oriente le sujet et propose le débat. Il éprouve alors de la gêne à avoir voulu confronter la culture et la réalité.

De Rougemont participe à la vie sociale en assistant, par exemple, à une séance de cinéma organisée par l’instituteur ou encore à une conférence donnée par le pasteur. Les gens, même les jeunes, lui apparaissent laids et il déplore le manque de conscience de la population. Ses mots sont durs, il parle de «l’apathie générale» (p. 49), d’«Impuissance de l’ ‹ esprit ›, bêtise de l’action: ces deux misères n’auraient-elles pas une origine commune?» (p. 51. Le 20 décembre, de Rougemont note qu’un écrit de Kierkegaard l’éclaire sur cette gêne ressentie en présence des indigènes.

Le philosophe danois parle de vanité ou d’orgueil quand l’admiration obtenue est prépondérante dans l’aide que l’on peut apporter à autrui. Mais de Rougemont de se justifier en écrivant: «C’est peut-être un secret désir, un inconscient désir que j’ai d’être reconnu par eux [les gens] à ma juste valeur. [...] On n’aime pas être tenu pour un feignant ou un rentier, quand on est dans ma situation.» (p. 55) Trois jours plus tard, de Rougemont écrit sur la dune: «Certains jours, on donnerait beaucoup pour une bonne raison de désespérer, pour une bonne et impérieuse raison d’abandonner cette partie mal engagée, ma vie, et de se retrouver neuf, enfantin, ou tout simplement jeune devant un présent ouvert de tous côtés...» (p. 70-71)

Denis De Rougemont à Genève dans les années 1970. © Max Vaterlaus / Keystone / Photopress-archiv str Denis de Rougemont, Schriftsteller, aufgenommen in den 1970er Jahren in Genf. (KEYSTONE/Max Vaterlaus)

En février, de Rougemont semble résigné: en observant les gens travailler, il comprend que des changements opérés dans la division des terres ou dans l’utilisation d’outils mieux adaptés changeraient la condition de vie des indigènes. Mais il pense alors qu’«il faudrait croire fanatiquement à une vérité absolue, qui vaille mieux que la paix et le bonheur, pour oser bouleverser la petite vie de notre île». (p. 81) Le départ de l’île de Ré est fixé au 10 juillet. En effet, une amie met une maison dans le Gard à la disposition du jeune couple.

Et les propos datés du 20 juin sont sans appel et expliquent la raison véritable d’un changement de lieu: «Je feuillette ce journal: voici des semaines qu’il n’y est à peu près plus question des ‹ gens ›. En somme, je ne m’intéresse plus guère à leurs affaires. J’ai pris mon parti de cet équilibre indifférent et cordial qui a fini par s’établir entre nous; et il ne reste que l’ennui de nos conversations toujours pareilles.» (p. 134) Et de Rougemont de conclure: «Il vaut mieux partir quand on en est là. Quand on en est à ne plus voir le voisin, la situation n’est plus humaine, elle ne pose plus de questions utiles.» (p. 135)

2. PAUVRE PROVINCE (SEPTEMBRE 1934 – JUIN 1935)

Dès les premiers jours de son installation dans cette région de France, le Gard, de Rougemont exprime sa désillusion: «Arrivés hier matin, par Nîmes. Déjà je ne sais plus ce que j’attendais, ni ce que j’ai pu rêver de ce pays.» (p. 143) Le couple de Rougemont habite le premier étage d’une magnanerie désaffectée, bâtiment destiné à l’élevage du vers à soie. Et suite à l’industrialisation, les petites entreprises de la région font faillite, les gens vivent dans la pauvreté et la misère et leurs enfants, crasseux, traînent dans les rues.

Le ton du Journal au 20 décembre se fait cassant: «Quand je vois cette place où des retraités tirent leurs savates, quand j’écoute ce qui se dit chez la marchande de journaux, quand je m’informe des raisons de tel parti, de l’idéal de tel individu, et que je trouve partout la confusion, la dispersion, l’indifférence, une veulerie vaniteuse, ou des bonnes volontés exploitées par le plus bavard, je suis tenté d’écrire quelque chose de méchant: que ce pays est à l’image des quelques journaux qu’on y lit. Une autre impression que j’ai eue cet après-midi sur la place, celle d’être devant un film dont la musique vient de se taire.» (p. 185)

Les de Rougemont sortent de moins en moins de chez eux; ils descendent au village de préférence le soir, à la tombée de la nuit. De plus, un voisin proche, Simard le jardinier, se met à dire ouvertement du mal de l’écrivain. Le jeune couple quitte le Gard le 7 juin 1935. Cette dernière ligne éloquente clôt la deuxième partie du Journal: «Après demain, nous partons. Nous fuyons.» (p. 249) La clé de voûte des trois questions auxquelles de Rougemont souhaitait répondre dans ce Journal se laisse entrevoir à la date du 25 février. Le jeune couple souffre de sa relation aux autres qui est tout à la fois trop proche des gens indifférents du voisinage et trop lointaine d’une population locale refermée sur elle-même. De Rougemont reconnaît que son départ de l’île de Ré est également dû à une intégration sociale impossible.

3. L’ÉTÉ PARISIEN (JUILLET 1935 – AOÛT 1935)

Le couple de Rougemont revient à Paris, mais il n’y trouvera plus ses marques; tout lui déplaît: un appartement bruyant dans un bloc locatif, quelques rencontres avec des écrivains admirant les Soviets, la promiscuité des gens dans la rue et le métro. Un nouveau départ s’impose et une petite annonce d’un bien immobilier à louer sert de conclusion au Journal d’un intellectuel en chômage: «Remercier donc, et s’en aller encore. Savoir ce qui compte, et s’y tenir. Je le dis avec d’autant moins d’amertume qu’un espoir vient de m’être donné. Une feuille de papier-machine avec ce poème en prose: à Thivars, 8 kilomètres de Chartres, Petite fermette 3 pièces meublées... » (p. 267) Madame et Monsieur de Rougemont poursuivent l’aventure...

 

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Biographie brève de Denis de Rougement

Denis de Rougemont (1906 – 1985) est un écrivain et penseur suisse ayant vécu, dès l’âge adulte, en France et aux États-Unis. Son oeuvre magistrale, L’amour et l’Occident, paraît en 1939. Il est le cofondateur du mouvement personnaliste qui est une réflexion politique, économique et sociale basée sur la personne, à savoir un individucitoyen libre et responsable. Le système d’organisation de la société qu’il prône est le fédéralisme. Partisan d’une union européenne, il devient, en 1950 à Genève, le directeur du Centre européen de la culture. Il fonde en 1963, à Genève toujours, l’Institut d’Études européennes (incorporé par la suite à l’Université) où il sera professeur. Une foi profonde de chrétien sous-tend l’ensemble de ses écrits.

 

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