Le meilleur des deux mondes

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Fabio Lo Verso
Février 2018

Contrairement aux apparences, les groupes de médias traditionnels, Tamedia et Ringier, récoltent toujours de la publicité. Non pas en plaçant des réclames dans leurs journaux et magazines, mais en rachetant les champions du e-commerce, Ricardo, Scout24, Anibis, Homegate. Le marché des petites annonces payantes monte en flèche. L’ensemble de la branche est emporté par la frénésie de la publicité online, un segment qui, entre 2015 et 2016, a crevé le plafond du milliard de francs de chiffre d’affaires. Il représente désormais près d’un cinquième du gâteau publicitaire global en Suisse, qui se situait à plus de 5 milliards fin 2016.

Les investissements sont toujours préparés de longue main. Ceux d’aujourd’hui ont été décidés hier, c’est-à-dire, pour la plupart, entre 2008 et 2010, au lendemain de la crise. C’est à ce moment-là que les éditeurs privés de journaux ont planifié la grande diversion. Ils ont détourné leur attention vers les nouveaux marchés publicitaires, sans partager les revenus engendrés avec la presse écrite.

Quelques années plus tôt, ils inoculaient dans le paysage médiatique le virus de la gratuité, avec les titres 2o Minutes et feu Matin Bleu. Ils répliquaient ce concept fumeux dans l’offre web des journaux par abonnement, s’en mordant plus tard les doigts. Des choix managériaux incendiaires, qui ont brûlé des sommes faramineuses et saccagé la valeur sociale et culturelle des journaux.

Il y avait quelque chose de naïf et de pervers dans cette profession de foi. Croire que le modèle économique de la presse, ancien et usé, avili par la gratuité, pouvait connaître une nouvelle vie par la simple transposition dans le web. Comme si le réseau des réseaux était une miraculeuse fontaine de jouvence. Un leurre qui a entretenu l’illusion du renouveau. Sous une modernité apparente, une continuité contreproductive.

Ces traits sont amplifiés par le miroir que nous tend No Billag. Le passage dans le monde nouveau promis par les initiants, où l’offre et la demande coïncideraient comme par enchantement, est une course vers cette dimension onirique dans laquelle ont sombré les managers suisses en découvrant le web. L’eldorado numérique, c’est définitivement une légende. Le marché suisse, étroit et disputé, un chemin de croix.

Seul le gigantisme est source de rentabilité. Mais Ringier, NZZ et Tamedia ne sont pas le New York Times ou the Economist. L’incursion de géants étrangers est à prendre au sérieux, depuis que l’Allemand Axel-Springer contrôle l’éditeur du Temps. Sans financement public, la SSR, un nain comparé aux groupes publics voisins, n’aurait aucune chance.

En apparence, deux mondes cohabitent. Le nouveau est en réalité travesti par l’ancien. Sans lien avec le journalisme. Ou si peu. Le constat que ce métier, fondamental pour la démocratie, n’est plus rentable est un point de bascule. Victime du mirage numérique et des errements managériaux, il demeure pourtant le meilleur des deux mondes. Après le scrutin sur No Billag, quoi qu’il arrive, c’est le journalisme qu’il faudra mettre au centre du débat. En espérant qu’il ne soit pas trop tard.

 
ÉditorialFabio Lo Verso