La photo, la légende et le citoyen

 

William Irigoyen
19 juin 2017

Une femme est allongée sur le bitume, les yeux fermés. Elle vient de perdre connaissance après avoir été agressée. Elle distribuait des tracts en plein Paris. Un homme l’a invectivée puis il l’a poussée. Elle est tombée. Il a pris la fuite. Elle s’appelle Nathalie Kosciusko-Morizet. Au moment des faits, elle est candidate à un nouveau mandat de députée pour le compte du parti de droite Les Républicains. Lui s’appelle Vincent Debraize. Il est élu sans étiquette d’une petite commune de l’Eure, en Normandie.

Cette photo a été diffusée dans des journaux télévisés, elle a fait les délices de certains et provoqué l’effroi de nombreux autres sur les réseaux sociaux. Je l’ai découverte par ce biais. Je ne la cherchais pas, mais je suis tombé sur elle. Cédant au discours marketing sur son supposé impact, je me suis arrêté sur elle. Parce que je pense qu’une télévision qui ne montre pas n’en est pas une, j’ai préféré ignorer les commentaires relatifs au droit ou à l’obligation de diffuser de telles choses. Le temps de réfléchir à cette «séquence».

Fallait-il montrer ce cliché? Si l’on raisonne sur le plan de la morale, je pense qu’il est difficile de trancher le débat. Je peux comprendre par exemple qu’il faille diffuser des photos de guerre car un conflit qui n’apparaît pas comme tel, c’est-à-dire sans images de victimes, de déflagration a quelque chose de mensonger. Et tant pis pour nous, pauvres Occidentaux bien lotis et confortablement installés dans nos fauteuils, si nous sommes choqués, blessés, meurtris. Reconnaissons que nos cris d’horreur sont de la gnognotte au regard de la douleur des victimes.

Si l’on raisonne sur le plan informatif alors, à titre personnel, je réponds qu’il ne fallait pas diffuser cette photo. Car elle ne dit rien de plus qu’une agression comme il en existe malheureusement d’autres visant ou non des élu(e)s. Elle n’apporte rien quant à la compréhension ou au décorticage de l’«événement». Alors pourquoi la mettre en avant? Parce qu’une partie du système médiatique préfère l’émotion à la réflexion. Ce n’est pas nouveau.

Le débat ne s’arrête pas là. Vient la photo de l’élu violent pris de dos. Certains avancent l’idée qu’il faudrait la diffuser pour faciliter le travail de la police. Serais-je alors, en tant que journaliste, dans mon rôle? Devrais-je me transformer en auxiliaire de justice? Question provocatrice et difficile. Plus le temps passe, moins je me sens capable de la trancher nettement. C’est pourquoi je bifurque et reviens à la question de la valeur informative de la photo, la seule qui vaille à mon sens.

À propos de clichés, avez-vous remarqué ceux montrant l’ancien chancelier Kohl décédé la semaine passée? Bienvenue dans le monde du papier glacé et des commentaires sirupeux sur son rôle « historique». Les articles étaient déjà prêts. Dans les rédactions, il est de coutume de préparer les nécrologies en avance. Il ne faut pas être pris de court. Moral? Non dans un monde «normal». Oui dans un monde du travail qui exige une réactivité de tous les instants, où les bons soldats du journalisme doivent donner l’info plus vite que les concurrents.

Ces lignes consensuelles sur l’ancien chef du gouvernement allemand, je ne les ai pas cherchées non plus. Je les ai subies en les lisant, pensant qu’elles finiraient bien par céder la place à un discours plus critique. Allait-on nous rappeler enfin les dossiers noirs de la CDU (Christlich Demokratische Union, Union chrétienne-démocrate), l’affaire de la raffinerie Leuna ou encore le paternalisme du vieil Helmut quand il qualifiait Angela Merkel de Mädchen, de petite fille, pour moquer son inexpérience. Ce fut rarement le cas. Aujourd’hui, la révérence a meilleure presse que la critique.

On se tromperait en pensant que, tel Zarathoustra, je me prends pour un saint Ermite du journalisme qui descends parmi les hommes pour tenter de les éclairer. Puisqu’un responsable politique comme François Bayrou peut prétendre agir en tant que simple citoyen et non comme ministre de la Justice lorsqu’il appelle la radio afin d’empêcher la diffusion d’enquêtes critiques, alors je revendique, en tant que journaliste et citoyen de pouvoir exercer moi aussi cette critique et de la partager avec d’autres. Que celle-ci prennent pour cible l’éditorial. Et non le spectacle.