Plaidoyer contre le sexisme dans la langue française

© Charlotte Julie / 2015

© Charlotte Julie / 2015

 

Un idiome peut être considéré comme un instrument de puissance, voire de domination. Pas seulement économique. Un livre questionne la trop grande place réservée en français au genre masculin. Des pistes existent pour faire valoir une plus grande égalité.

 

William Irigoyen
27 juin 2016

Vendredi 24 mai 2016, le résultat est sans appel: les Britanniques approuvent par référendum la sortie de l'Union Européenne. Le même jour, l'auteur de ces lignes reçoit un mail, pardon un message électronique, dont voici les premières lignes: «Continuer à promouvoir le tout-anglais en Europe serait encore plus absurde, aliénant et indigne.» Parmi les signataires rappelant que «la langue de l'Europe, c'est la traduction» — propos signés Umberto Eco — il y a entre autre Georges Gastaud, philosophe et président de COURRIEL, le Collectif unitaire républicain pour la résistance, l’initiative et l'émancipation linguistique.

Le texte du communiqué est intéressant car il pose la question du «pouvoir» d'une langue. Car la langue a un poids: économique, donc culturel, qui peut conduire à une forme de domination. Le chinois est fort de son milliard de locuteurs. L'espagnol et l'anglais le sont tout autant. À ceci près que, par rapport au mandarin, la langue de Cervantès et celle de Shakespeare sont beaucoup plus largement diffusées sur la planète. Un idiome permet donc aussi — ne le résumons surtout pas à cela — d'évaluer l'influence d'un pays, voire de plusieurs pays partageant le même «outil de communication» (Commonwealth, Francophonie). Mais attention: rien n'est figé. Les siècles passent et le palmarès peut évoluer.

Il fut un temps où, par exemple, la langue de Molière était bien davantage utilisée en Europe que maintenant. À en croire le site Euractiv, le français a connu un déclin sur le Vieux-Continent, mais il a progressé au niveau mondial. Peut-être pourrait-il davantage séduire s'il était simplifié? Quand on voit les polémiques parfois stériles que fait naître dans l'Hexagone cette envie de réformer l'orthographe et la grammaire, il faut être prudent. Malheureusement. Dans un livre passionnant, Davy Borde, «épicier, décroissant, (pro)féministe» qui n'est «ni linguiste, ni académicien» propose de rééquilibrer les liens entre les genres masculin et féminin.

«Ainsi, si l'on aborde cette question sous un (certain) angle féministe, ce qui est l'objet de ce texte, on peut dire que notre langue est triplement problématique et ce pour une seule raison: elle est genrée. C'est-à-dire qu'elle est imprégné d'une vision dichotomique, naturalisée et hiérarchisée du monde vivant et plus particulièrement du genre (!) humain», écrit l'auteur qui s'inquiète de voir qu'avec le temps le masculin l'emporte toujours sur le féminin. Non, cela ne date pas d'hier, comme le rappelle Davy Borde: «En 1647, le grammairien Claude Favre de Vaugelas écrit: […] Le genre masculin étant le plus noble doit prédominer chaque fois que le masculin et le féminin se trouvent ensemble.»

C'est le fameux Louis-Nicolas Bescherelle qui «portera le coup de grâce en écrivant dans sa grammaire nationale de 1835-1836: La masculinité annonce toujours une idée grande et noble, ainsi que Le masculin est plus noble que le féminin.» Faut-il considérer que le débat est clos et que l'on doit accepter cet état de fait? Oui, si l'on veut laisser le soin à l'Académie française de décréter ce qui doit et ne doit pas se faire en matière de langue. Non, si l'on considère que la langue française doit être plus égalitaire et doit donc faire preuve de plus de souplesse, voire d'inventivité.

D'autant que, comme le rappelle très justement Davy Borde: «Alors qu'en grec ancien et en latin (langues aïeules du français), on avait trois noms différents pour désigner soit un être humain indépendamment de son sexe, soit un être humain (classé dans la catégorie mâle), soit un être humain (classé dans la catégorie femelle), il s'avère qu'en français nous n'avons (plus) que deux noms pour désigner ces trois catégories: le mot femme et le mot homme.» Afin de faire coïncider la langue avec la vision du monde que l'on défend, l'auteur de ce très revigorant essai propose, avec d'autres, de faire évoluer le «carcan» linguistique français. Et de proposer quelques pistes de réflexion.

Parmi elles citons le rétablissement du retour à la règle de la proximité (Jean Racine écrivait par exemple dans Athalie: «Surtout j'ai cru devoir aux larmes, aux prières, consacrer ces trois jours et ces trois nuits entières»); le bannissement des mots et expressions consacrées genré·es (sage-femmes, patrie...); l'instauration de néologismes («iels sont venu·e·s»); d'un troisième genre («le genre grammatical binaire n'est pas problématique pour les intersexes uniquement»); ou encore une véritable féminisation des métiers.

La Suisse est en avance dans ce combat puisque, comme l'indique Davy Borde, c'est en 1972 que «le Conseil fédéral suisse publie un arrêté énumérant les titres des fonctionnaires fédéral·es avec leurs formes féminines». En 1999, un Nouveau dictionnaire féminin-masculin des professions, titres et fonctions paraît dans la Confédération. Le Québec est également en avance sur ce dossier. Et la France? «Il faudra en revanche attendre 1984 pour que soit mise en place (par Yvette Roudy, alors ministre des Droits de la femme) une commission sur la féminisation des noms de métiers qui accouchera d'une circulaire... jamais appliquée.» L'auteur a bien raison de conclure que «la langue est le reflet d'une société. Si les mentalités changent, le langage suit».

Mais qu'attend donc l'Hexagone pour terrasser les conservatismes... de tout poil?

 

 
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