«La société civile peut abattre les murs les plus puissants»

 
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Luisa Ballin

Avril 2018

Le sociologue Jean Ziegler assume ses contradictions, entre son engagement aux Nations Unies et ses critiques à l’encontre du capitalisme et du néo-libéralisme. S’il continue de les fustiger dans son dernier ouvrage Les murs les plus puissants tombent par leurs fissures, qui vient de paraître aux éditions de l’aube, il souligne l’espoir que représente pour lui la société civile.

Partout apparaissent de nouvelles brèches et chacune d’elle est une raison d’espérer, écrit Jean Ziegler, qui fait sienne une formule guévarienne. Dans un dialogue avec Denis Lafay, le sociologue met en exergue le phénomène planétaire que représente pour lui la société civile et ses fers de lance: Greenpeace, Attac, Amnesty International, Colibri fondé par Pierre Rabhi, le mouvement des femmes et Via Campesina, représentant 121 millions de petits paysans, métayers et ouvriers agricoles.

La ligne de flottaison de la civilisation s’élève sans cesse, observe-t-il. Et de se demander dans quelles conditions une idée devient une force matérielle. Ce mystérieux processus d’incarnation, de transformation et de concrétisation d’une idée en acte l’interpelle. «La société civile voit son rayonnement grandir proportionnellement au déclin des Etats, qui ne sont plus des moteurs d’espérance», constate l’ancien conseiller national, qui, après avoir été rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation, est aujourd’hui vice-président du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme de l’ONU.

«Nous sommes ce que nous faisons», rappelle-t-il, dans un monde où la mondialisation de l’économie et le chômage ont pour conséquence la paupérisation de millions d’êtres humains. Loin de baisser les bras, cet insurgé, fervent croyant, déclare que la résurrection des solidarités n’est plus une chimère et que l’insurrection des consciences est en marche. «La fraternité de la nuit se constitue en sujet historique autonome», affirme-t-il, tout en appelant à restituer la «conscience de l’identité» d’où découlera une politique de réciprocité et de complémentarité. Pour le vice-président du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, la société civile contribue de manière capitale à l’accomplissement de ce projet.    

À ceux qui demandent où sont passés les droits de l’homme et à quoi ils servent, Jean Ziegler répond en citant Benjamin Franklin: «Derrière ces droits rayonne une puissance bien plus grande que n’importe quelle puissance dans le monde: le pouvoir de la honte.» Et si ce power of shame peut sembler abstrait, il est une arme redoutable pour combattre l’incapacité juridique des organisations internationales à sanctionner les violations et à appliquer la punition. Démasquer, jeter l’opprobre, et attendre que la société civile s’empare du sujet pour exercer, dans les démocraties, une pression et des représailles et obliger ainsi aux transformations, telle est sa conviction.  

Jean Ziegler revient à Karl Marx: «De chacun selon ses capacités, pour chacun selon ses besoins.» Et à Georges Bernanos: «Dieu n’a pas d’autres mains que les nôtres.» En concluant par ces mots: «Ou bien c’est nous qui abattons cet ordre cannibale du monde, ou personne