Le nouveau parlement offrira-t-il les clefs du pouvoir sanitaire aux caisses-maladie?

© Alberto Campi / Archives

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Federico Franchini 18 janvier 2016

7 septembre 2015. Le Conseil national décide de pérenniser le moratoire provisoire qui permet actuellement aux cantons de limiter l’ouverture de nouveaux cabinets médicaux. 18 décembre 2015, coup de théâtre. La chambre du peuple change d’avis et enterre ce moratoire à l’issue d’un vote très serré: 97 voix contre 96 et une abstention. Sur la lancée de leur victoire aux élections fédérales, l’UDC et le PLR – tous deux opposés au moratoire – ont réussi à la dernière minute à serrer les rangs pour rejeter ce projet de loi proposé par le Conseil fédéral. Il faut dire aussi qu’entre septembre et décembre plusieurs parlementaires ont changé d’opinion.
Dès le 1er juillet 2016, les médecins pourront donc librement s’installer, les médecins d’hôpitaux comme les médecins venant de l’étranger. Pour la plus grande joie des assureurs maladies, qui ont tenu à exprimer leur satisfaction: «Nous saluons cette décision du Conseil national», exulte Santésuisse dans un communiqué. Dans ce même document, l’association faîtière des assureurs dicte les prochaines étapes : «Le parlement devrait faire preuve de l’ouverture d’esprit nécessaire pour examiner des solutions libérales, durables mais surtout abordables. Libéral, car en principe il ne devrait subsister aucune clause d’exclusion empêchant les fournisseurs de prestations qualifiés d’exercer leur profession. Durable et abordable, car le droit de facturer à 100% – et dans tous les cas – ne saurait être garanti à chaque fournisseur de prestations agréé».

Voilà qui a au moins le mérite de la clarté: les assureurs ont pris pour cible le libre choix du médecin par son patient. Ce système, les assurances maladie n’en veulent plus. Les caisses cherchent désormais à contracter elles-mêmes avec les médecins, par-dessus la tête des patients-assurés. Clé de voûte de la relation médecin-patient, le libre choix du praticien est pourtant une liberté personnelle à laquelle la population suisse reste très attachée: en 2008 un nouvel article constitutionnel contraire à la liberté du choix du médecin avait était balayé à 69,5%; en 2012 le peuple avait refusé l’initiative dite du managed-care par le 76% des votants. En septembre 2014 déjà, le Conseil national avait accepté une motion intitulée «contre-proposition à la limitation de l’admission de médecins» et qui visait à introduire la liberté de contracter pour les assurances maladie. Les médecins s’y sont vivement opposés. L’assemblée des délégués de la FMH – la fédération de médecins suisses – l’avait unanimement rejetée; la Société vaudoise de médecine parlait même «d’une incroyable provocation». Cette motion était perçue comme une mesure politique avantageant de manière unilatérale les assureurs, au détriment des médecins et des patients. Un joli cadeau offert aux caisses, un peu plus de deux semaines avant la votation fédérale sur la caisse publique de septembre 2014.

La motion en question avait été déposé par l’UDC zurichois Jürg Stahl, l’un des parlementaires les plus proches de l’assurance maladie; il est aujourd’hui premier vice-président du Conseil national. En consultant le site du parlement, on remarque que son adresse personnelle est celle de la filiale zurichoise du Groupe Mutuel, dont il est le chef de service pour le Centre de la Suisse alémanique. Une proposition similaire avait déjà été déposée, en 2012, au Conseil des États par l’alors sénateur zurichois Felix Gutzwieler (PLR), vice-président du conseil d’administration de la caisse-maladie Sanitas. La motion avait été rejetée par la chambre des cantons, en suivant l’avis du Conseil fédéral. Les assureurs-maladie et leurs «miliciens» au parlement font flèche de tout bois pour imposer ce système refusé par le peuple. De Heinz Brand (UDC), président de Santésuisse, à Ignazio Cassis, chef du groupe PLR et président de Curafutura, les lobbyistes des caisses restent nombreux au sein du nouveau parlement, contrôlé par l’UDC et le PLR. Cassis est le président de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national. Son homologue de la même commission du Conseil des États, Konrad Graber, est membre du Conseil de l’assureur CSS. Mais la liste est encore bien plus longue.

En décembre 2015, le parlement a refusé d’étendre les règles d’incompatibilité au secteur de la santé. Il s’agit des mandats incompatibles avec le statut de parlementaire; ils incluent les organes fédéraux eux-mêmes, les entreprises privées «fournissant des tâches administratives et dans lesquelles la Confédération occupe une position prépondérante». C’est le cas de Swisscom, des CFF ou de la Poste. Mais cela ne concerne pas la santé. Si la Confédération n’est ni propriétaire ni actionnaire d’aucune caisse-maladie, celles-ci sont revêtues d’un mandat de service public, d’autant plus que chaque habitant doit y adhérer. Les conflits d’intérêt continuent donc de plus belle. Et la nouvelle répartition des forces au sein du parlement fédéral risque d’avoir pour effet d’offrir aux caisses-maladie le contrôle de toute l’offre sanitaire.

 
PolitiqueFederico Franchini