Catalogne, la résilience des indépendantistes

© Josep Curto / Barcelone, 22 décembre 2017

© Josep Curto / Barcelone, 22 décembre 2017

 

Retour à la case départ. Deux mois après une rocambolesque déclaration d’indépendance, nulle et non avenue, les élections autonomiques catalanes se sont soldées par une majorité indépendantiste au parlement régional. Le taux de participation de 81,95%, le plus élevé de l’histoire du pays, suggère que la prétendue «majorité silencieuse», censée être favorable au maintien de la Catalogne en Espagne, n’existe pas.

 

José Antonio Garcia Simon Correspondant à Madrid 22 décembre 2017

C’est un désaveu pour le gouvernement de Mariano Rajoj. L’exécutif indépendantiste qu’il a destitué en octobre est à nouveau adoubé par le vote populaire. Le contexte particulier de la suspension de l’autonomie catalane et de ses leaders politiques en prison ou en exil a lourdement pesé sur le scrutin. Pour rappel, deux pôles s’affrontaient, au-delà du clivage gauche-droite: l’indépendantiste, incarné par Junts per Catalunya, Esquerra Republicana et Candidatura d’Unitat Popular, et l’unioniste, représenté par Ciudadanos, le Parti socialiste catalan et le Parti populaire. C’est le bloc indépendantiste qui l’a emporté, après le dépouillement complet de ce matin, avec une majorité absolue de 70 sièges. Ciudadanos est la formation la plus votée, remportant non seulement 37 sièges, mais devenant, fait inédit depuis l’instauration de la démocratie en 1978, le premier parti non catalaniste à finir en tête des élections régionales.

Mais le plus important constat concerne le taux de participation, le plus élevé de l’histoire de la démocratie espagnole: 81,95%. Ce qui veut dire que la prétendue «majorité silencieuse», censée être favorable au maintien de la Catalogne en Espagne, n’existe pas. La société catalane est simplement scindée, à parts pratiquement égales, entre indépendantistes et unionistes. Cela favorise les partis avec un plus fort ancrage dans la région. Dès lors, les partis dont le centre névralgique n’est pas en Catalogne — le Parti populaire, Podemos, ou le Parti socialiste catalan — se voient relégués au profit des forces régionales. Cela joue en faveur non seulement des indépendantistes, mais aussi de Ciudadanos qui, malgré sa présence sur tout le territoire espagnol, est un mouvement qui puise ses racines dans l’échiquier politique catalan.

Par conséquent, ce qui a été récompensé lors de ces élections, c’est le positionnement net et clair, pour ou contre l’indépendance, mais à partir d’un enracinement catalan. Ceci explique en partie pourquoi le Parti socialiste catalan, perçu sans véritable autonomie par rapport à la direction nationale, sise à Madrid, a grignoté à peine un siège supplémentaire au parlement. En perte de vitesse, miné par des luttes internes, Podemos n’a pas été capable de forger un discours à même de dépasser la scission indépendantisme-unionisme. La dégringolade de la Candidatura d’Unitat Popular ne surprend pas non plus. Cette formation de la gauche radicale a été pénalisée, car elle a continué de défendre la voie unilatérale vers l’indépendance, une stratégie qui a déjà montré ses limites. Pire encore, le contenu social de son programme a été éclipsé par le tambour battant du nationalisme.

Mais le plus grand échec est à mettre sur le compte du Parti populaire. La formation du premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, a subi un effondrement historique. Il est probable que l’électorat lui ait fait payer l’instrumentalisation de la question catalane afin de gagner des voix dans le reste de la péninsule, sans avoir même esquissé une piste politique pour atténuer le contentieux qui envenime les rapports entre une part considérable de la société catalane et l’État espagnol. Comme le remarque l’éditorialiste Rubén Amón dans El País (lire ici): «Mariano Rajoy est non seulement le président d’un parti. Il est aussi le chef du gouvernement espagnol. Ce qui aurait dû le soustraire à la frivolité partisane et le forcer à adopter une vision claire de l’État, par-delà l’électoralisme. Pourtant, il n’a jamais su s’adresser à la Catalogne. Et la Catalogne, en retour, a fini par l’extirper comme un corps étranger.» Malgré la clarté du vote, la situation demeure d’une complexité effarante. Premièrement, il faudra voir si le bloc indépendantiste réussira à mettre de côté ses différends en vue de former un gouvernement. La campagne électorale a aiguisé les rivalités entre Junts per Catalunya et Esquerra Republicana. Pour sa part, Candidatura d’Unitat Popular continue d’être un allié difficile à manier, étant donné ses réticences à se plier complètement aux règles institutionnelles.

Il reste aussi à savoir ce qui adviendra de Carles Puigdemont et Oriol Junqueras, les leaders de Junts per Catalunya et Esquerra Republicana. Tous les deux doivent faire face aux poursuites judiciaires engagées à leur encontre, par l’État espagnol, pour avoir mené le processus d’indépendance. Le premier est en exil à Bruxelles, alors que le second se trouve derrière les barreaux. Si les indépendantistes ne parviennent pas à former un gouvernement, il faudra certainement convoquer de nouvelles élections. En revanche, s’ils y parviennent, comment trouver une solution viable à la question épineuse de l’indépendantisme catalan? Un défi toujours à relever, non seulement pour la classe politique catalane, mais pour l’espagnole en général. L’unilatéralisme, d’un côté comme de l’autre, ne pourra qu’attiser le conflit. Sans un véritable dialogue, l’impasse risque de s’éterniser. Et de glisser progressivement vers le scénario du pire.