La diplomatie en éventail de la Suisse en Érythrée

© Charlotte Julie / 2015

© Charlotte Julie / 2015

 

Le Conseil fédéral souhaite «revitaliser» par étapes les relations bilatérales avec Asmara. S’opposant à une demande de l’UDC, il n’ouvrira pas immédiatement une ambassade sur place. Si l’Érythrée intéresse autant la droite nationaliste, c’est en raison de l’arrivée en Suisse chaque année d’un très grand nombre de ressortissants de ce pays.

 

Martin Bernard 26 janvier 2018

Berne renforcera sa présence diplomatique en Érythrée, mais n’ouvrira pas pour le moment une ambassade dans ce pays, comme l’avait expressément demandé l’UDC dans une motion adoptée en mars 2017. C’est en tout cas ce qu’ont décidé les membres de la Commission de politique extérieure du Conseil national, au terme de leur session de janvier, «laissant au Conseil fédéral la compétence de déterminer les besoins au niveau du réseau des représentations suisses à l’étranger».
Pour sa part, le gouvernement souhaite procéder par étapes. Dans un premier temps, un attaché suisse séjournera régulièrement à Asmara pour «revitaliser les relations bilatérales» entre les deux pays. à cet effet, le Département fédéral des Affaires étrangères (DFAE) a déjà entamé des négociations avec l’Allemagne pour disposer d’une présence régulière de la Suisse dans son ambassade. Sur place, le représentant helvétique devrait partager un bureau avec un collègue norvégien.
La situation pourrait cependant rapidement évoluer. «Étant donné la pression du parlement, je suppose qu’assez vite un poste à plein-temps sera créé», avance le conseiller national vaudois Claude Béglé (PDC) qui, début 2016, s’est rendu en Érythrée lors d’un voyage controversé, perçu comme une action de propagande du régime au pouvoir. «Ensuite, il s’agit d’un jeu politique. L’ouverture d’une ambassade coûterait environ 3 millions au DFAE, une broutille dans son budget. S’il faut en passer par-là pour permettre de calmer les esprits au parlement en vue d’avancer sur d’autres sujets, ce sera sans doute fait
Mais à quoi servirait cette ambassade? De l’avis de l’UDC, elle permettrait à la Suisse de pouvoir juger par elle-même d’une situation sur place considérée comme catastrophique en matière de droits humains: «Cela poserait en outre les fondements des relations diplomatiques utiles à la négociation urgente et nécessaire d'un accord de réadmission» pour le renvoi de demandeurs d’asile arrivant en Suisse.
La décision de renforcer la présence suisse par étapes laisse un goût amer à l’UDC genevois Yves Nidegger: «L’amendement est trop vague et vide la motion de sa substance. Ce n’est pas d’une chaise dans une sous-location dont nous avons besoin en Érythrée, mais de l’œil d’un référent permanent pour analyser la situation au jour le jour.» D’autres, bien sûr, ne sont pas de son avis. «Je doute qu’une ambassade puisse changer la réalité de la migration érythréenne en Europe et en Suisse», tempère par exemple Denis de la Reussille, conseiller national POP, affilié au groupe des Verts.
Si l’Érythrée intéresse autant la droite nationaliste, c’est en raison de l’arrivée en Suisse chaque année d’un grand nombre de ressortissant venus de ce pays. Ils ont été 3375 à demander l’asile en 2017, ce qui représente près d’un cinquième des requêtes comptabilisées par le Secrétariat d’État aux migrations (SEM). Leur nombre est cependant en baisse par rapport aux années précédentes. L’une des raisons pourrait être l’évolution des pratiques du SEM concernant ce pays. Depuis 2016, ce dernier ne considère plus la sortie illégale de l’Érythrée comme un critère suffisant pour la reconnaissance de la qualité de réfugié. Le Tribunal administratif fédéral a confirmé cette doctrine dans un jugement du 30 janvier 2017.

Ce pays de la corne de l’Afrique, stratégiquement situé au bord de la mer Rouge, reste l’une des dernières dictatures communistes de la planète. Aucune élection nationale n’y a été organisée depuis la prise de pouvoir d’Isaias Afeworki en 1993. Point sensible: un service national obligatoire à durée indéterminée, comprenant aussi un volet militaire, est en place depuis 1994. De nombreuses violations des droits humains ont été répertoriées dans le cadre de ce programme. «La plupart des motifs d’émigration sont donc étroitement liés au service national», souligne d’ailleurs le SEM.
En parallèle du volet diplomatique, la Confédération a également réactivé des activités humanitaires en Érythrée. Depuis 2017, la Direction du développement et de la coopération (DDC) soutient deux projets visant à créer des emplois et à former des jeunes sur place. La DDC collabore dans ce cadre avec le Comité suisse de soutien à l’Érythrée, une organisation présidée par le consul honoraire en Suisse, Toni Locher. Un homme réputé proche du président Afeworki. La Confédération s’est engagée à lui verser 1,3 million de francs sur trois ans pour financer une école professionnelle à Massaoua, une ville portuaire située sur la côte africaine de la mer Rouge.

 
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