Garde alternée, la loi de la discorde

© Charlotte Julie / 2017

© Charlotte Julie / 2017

 

En Suisse, après une séparation, le juge n’accorde la garde alternée que si les parents communiquent suffisamment bien ensemble. En France, ce jeudi 30 novembre, les députés se penchent sur une proposition de loi des centristes:  la double domiciliation des enfants devient le principe de base en cas de séparation. Un texte qui sème la discorde.

 

Adeline Percept

Correspondante à paris

30 novembre 2017

Y a-t-il des lois, ou du moins un esprit des lois idéal, pour assurer le bien-être des enfants en cas de séparation des parents? Des deux côtés de la frontière, il semble que ni la France ni la Suisse n’aient trouvé la solution… Et il faudra encore beaucoup de temps. La Suisse revient de loin en terme d’égalité entre les papas et les mamans puisque l’autorité parentale conjointe n’est la règle que depuis 2014. Les mères séparées restent très majoritairement en charge des enfants à plein temps.

La justice n’accorde la garde alternée que si le dialogue est suffisamment fluide entre les parents. C’est le sens d’une série d’arrêts du Tribunal fédéral depuis l’année dernière. «Au moindre accroc, le juge estime que la garde alternée n’est pas possible, explique Thomas Barth, avocat au barreau de Genève. Le juge pense qu’il faut que les parents s’entendent à merveille, alors qu’une séparation reste une séparation, un moment de dialogue difficile. On accorde plus de gardes alternées qu’auparavant, cela s’améliore… Mais il faudra encore des années pour que la justice s’adapte aux changements de la société
 
C’est pour s’adapter à ces changements que le parti centriste Modem, appuyé par la majorité de La République en Marche (LREM), propose en première lecture à l’Assemblée nationale française ce jeudi un nouveau texte de loi: la double domiciliation des enfants deviendrait le principe de base en cas de séparation. Les enfants de parents séparés porteraient sur leurs cartes d’identité et passeports les adresses des deux parents. Un pas de plus pour développer la garde alternée des enfants et l’encourager institutionnellement. Mais le texte ne plaît pas à grand monde.

 

Levée de boucliers

Les psychologues réunis au sein du Collectif scientifique sur les dangers de la résidence alternée s’indignent: pour eux, passer une semaine chez maman et une semaine chez papa en alternance est potentiellement néfaste pour les enfants de moins de six ans. La garde alternée institutionnalisée est néfaste aussi pour les mères, selon le Haut Conseil à l’égalité entre les Femmes et les Hommes.

Pour sa porte-parole Françoise Brié, «ce texte de loi est problématique pour beaucoup de femmes. Par exemple, pour le partage des allocations. Les femmes sont beaucoup plus pénalisées, plus précaires que les hommes après une séparation. Ce sont elles qui ont pris un travail à mi-temps ou qui ont cessé de travailler quand elles ont eu les enfants».

Selon l’Observatoire des inégalités, le niveau de vie des femmes séparées en France est réduit de 14% après une séparation; alors que celui des hommes augmente de 3,5%. Le partage des aides financières de l’État, s’il se fait à égalité avec la double domiciliation, handicape donc un peu plus les femmes, selon Françoise Brié.

 

Papas mécontents

«Cette proposition de loi ne sert strictement à rien, lâche Jean Latizeau, président de SOS Papa (France). Le texte dit que l’enfant aura la double résidence. Les modalités pratiques et temporelles… c’est le juge qui tranchera. Selon quels critères? Eh bien, au doigt mouillé et à la tête du client, comme d’habitude!»

L’association SOS Papa milite pour faire bouger les pratiques et les droits des pères. «Quand le papa veut la garde alternée et que la mère s’y oppose, le papa se retrouve avec son enfant un week-end sur deux, et c’est tout», détaille-t-il. Dans 75% des cas où la mère s’oppose à la garde alternée, elle n’est pas accordée par le juge. L’association SOS Papa souhaite qu’une phrase soit ajoutée au Code civil: «L’intérêt de l’enfant est de bénéficier de la présence équilibrée de ses deux parents.» Ceci pour imprimer dans l’esprit des lois la présence des pères qui veulent s’investir dans l’éducation quotidienne de leurs enfants.
 
Pour Me Thomas Barth, la proposition de loi française va tout de même dans le bon sens: «Si on part du postulat que la garde alternée est la règle, c’est la meilleure solution pour les enfants. Les parents feront des efforts, ils sauront que le juge ne refusera la garde alternée qu’en cas de réel problème. C’est intéressant que cet esprit soit ancré dans la législation.»