Helmut Kohl, un Européen si «Kohlossal» que cela?

 

William Irigoyen
30 juin 2017

Hier, les habitants de Strasbourg ont reçu dans leur boîte à lettres un mot de Roland Ries, maire étiqueté «socialiste» — dans une France devenue macroniste la prudence est désormais de mise avec les adjectifs qualificatifs. Celui-ci les informe que: «Le samedi 1er juillet 2017, la ville symbole de la réconciliation franco-allemande et de la construction européenne, a l’honneur d’accueillir la cérémonie d’hommage à l’ancien Chancelier allemand Helmut Kohl, grand artisan de l’Europe, décédé le 16 juin dernier. À cette occasion, de nombreux chefs d’États et de Gouvernements se retrouveront au Parlement européen».

Dans la langue du commun des mortels, cela veut dire restriction de la circulation, augmentation des contrôles d’identité et même «palpations» pour reprendre les mots du premier magistrat de la ville. Au verso de la communication municipale figure une carte. Celle-ci détaille les mesures prises en concertation avec «la préfecture du Bas-Rhin» et est flanquée de la mention suivante: «Attention, ce dispositif est susceptible de faire l’objet de modifications de dernière minute; merci d’être attentif à la signalétique provisoire de votre rue.» On se croirait revenu en 2009, lorsque Strasbourg, bloquée, accueillait le XXIe sommet de l’OTAN.

Le respect dû au défunt ne doit pas empêcher le questionnement critique. Tout cela est-il bien justifié et raisonnable?

Qu’Helmut Kohl ait été un animal politique, personne ne le contestera. La longueur de son règne l’atteste. Chancelier pendant seize années, le natif de Ludwigshafen aura manifesté d’évidentes qualités d’homme d’État à un moment clef de l’histoire allemande, celle de la Chute du Mur de Berlin en 1989. Son engagement en faveur d’une réunification rapide, bien que parfois jugée téméraire par certains de ses opposants, a été globalement salué, ne revenons pas là-dessus. Cela fait-il pour autant de cette figure marquante un «grand artisan de l’Europe»? N’était-il pas plutôt un grand artisan de l’Union européenne avec ses dogmes économiques et politiques?

Pourquoi réserver au seul Helmut Kohl une telle cérémonie? Willy Brandt, grand architecte de l’Ostpolitik qui a montré le chemin n’aurait-il pas mérité semblables égards? Et l’ancien président allemand Richard von Weizsäcker, grande figure morale allemande de l’après-guerre? Et Hans-Dietrich Genscher, ministre des Affaires étrangères du même Helmut Kohl, ne joua-t-il pas lui aussi un rôle clef dans le dossier de la réunification allemande?

Il importe enfin de s’interroger, avant ce long week-end de commémorations, si d’autres grands artisans du Vieux Continent n’auraient pas mérité d’être honorés de la sorte. Revenons deux ans arrière et imaginons un hommage européen à Günter Grass, Umberto Eco, Dario Fo ou encore Imre Kertesz. Tout cela sans «pomp » ni «circumstance», la culture mérite bien mieux que cela.

Faisons un rêve. Qu’à l’avenir la patrie européenne soit également reconnaissante à ses grandes figures intellectuelles. Convenons que cette partie du monde est richement dotée en la matière. Des grands artisans, il y en a beaucoup sous nos latitudes. Pas forcément de l’Union européenne. Mais de l’esprit européen. Un chantier tellement plus vaste.

 

 
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