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Le tribalisme global de la «génération Y»

13 février 2017

À l’heure du tout numérique, et de la génération Y commutant désormais en génération Z, pour comprendre les mutations induites par les nouvelles technologies dans notre quotidien, l’éclairage qu’apportait Marshall McLuhan dans les années 1960 demeure d’actualité. Décryptage de notre époque à l’aide de la Galaxie Gutenberg, ouvrage phare de l’intellectuel et philosophe canadien, considéré comme l’un des «prophètes des temps modernes».

Montage réalisé par © Alberto Campi / Janvier 2017

Montage réalisé par © Alberto Campi / Janvier 2017

 
 

À l’heure du tout numérique, et de la génération Y commutant désormais en génération Z, pour comprendre les mutations induites par les nouvelles technologies dans notre quotidien, l’éclairage qu’apportait Marshall McLuhan dans les années 1960 demeure d’actualité. Décryptage de notre époque à l’aide de la Galaxie Gutenberg, ouvrage phare de l’intellectuel et philosophe canadien, considéré comme l’un des «prophètes des temps modernes».

 

Guillaume Bouvy
13 février 2017

«Avec Gutenberg, toute l’histoire est devenue simultanée. Dans l’espace de la bibliothèque de l’honnête homme, le livre mobile a placé l’univers des morts», écrivait Marshall McLuhan en 1962. Le sociologue et philosophe canadien résumait par ces mots devenus célèbres le bouleversement provoqué par l’apparition de l’imprimerie et la massification de l’écriture jusqu’alors réservée à une élite en grande partie religieuse et monacale.

Le «livre mobile» décrit par McLuhan est devenu, en modernisant ses propos, nos smartphones, nos ordinateurs et autres supports numériques qui nous entourent. Ces derniers réussissent le tour de force de créer du lien fictif, tout en se tenant à distance des autres. Il suffit de se rendre dans un espace de coworking pour voir ce concept se matérialiser.

L’image standard est celle d’un jeune homme ou d’une jeune femme qui fixe l’écran d’un ordinateur dont les onglets fleurissent sur son navigateur, un casque audio vissé sur ses oreilles. à sa droite, son smartphone qui le tient alerté de diverses notifications, e-mails, messages, et autres applications; sur son bureau, aucun papier, et pourtant une myriade d’informations.

Ce portrait décrit sommairement la typologie de la génération Y englobant toutes les personnes nées entre le début des années 1980 et la fin des années 1990. Autrement dit les enfants nés après les Trente Glorieuses (1946 à 1975), pour se retrouver embourbés dans ce que certains nomment les Trente Piteuses. Tandis que l’on commence à cerner le fonctionnement de cette génération Y, voilà poindre la génération dite Z, qui concerne les individus nés après 1995, les véritables digital natives. Quel est leur trait identitaire?

La clé tiendrait dans le concept de «tribalisme global» sous-jacent à la pensée du philosophe canadien. Un concept qui jaillit à la lecture de la Galaxie Gutenberg. McLuhan pose d’abord ce postulat fondamental: «Les moyens de communication audiovisuelle modernes (télévision, radio, etc.) et la communication instantanée de l’information mettent en cause la suprématie de l’écrit.» Ensuite, il théorise le «village planétaire» ou «village global» unifié, standardisé, composé de l’ensemble des micro-sociétés.

La culture humaine s’articulerait alors autour d’une communauté «où l’on vivrait dans un même temps, au même rythme et donc dans un même espace». Tel est le tribalisme que prédisait l’auteur, de façon quasi prophétique, tant cette description convient à notre époque actuelle. L’essor technologique des modes de communication a indéniablement transformé les rapports entre des personnes se revendiquant davantage de l’écrit ou de l’oral, et d’autres engluées dans le numérique, support ni complètement écrit ni complètement oral.

Cette évolution cacherait un danger que le sociologue belge François Heinderyckx pointait en ces termes en 2002: «Lorsqu’on songe à la fracture numérique, au coût de l’information, aux déséquilibres des flux, aux entraves à la circulation, à la mercantilisation de l’information devenue matière première, à la prépondérance croissante du deep internet (contenu inaccessible au grand public), on s’aperçoit que l’histoire a pris un tournant qui nous éloigne radicalement des perspectives optimistes et candides anticipées par McLuhan»*.

Selon lui, la perspective de McLuhan, se limitant à l’avènement du village global, aurait manqué de clairvoyance quant à ses effets, parmi lesquels la «fracture numérique». «Il faut cependant se garder de prêter à McLuhan des talents prophétiques en la matière. Son ‘village global’ avait pour caractéristique essentielle un partage total de l’information et de l’expérience, à la disposition de tous

Mais le philosophe canadien doutait en réalité de la capacité de saisir toutes les nuances de l’impact de la technologie sur nos sociétés. S’il explique en quoi «l’âge typographique et mécanique des cinq cents dernières années» cède sa place à un «âge électronique», il déplore que le sens de cette évolution échappe au plus grand nombre: «Depuis très longtemps, qu’il parle, qu’il écrive ou qu’il télécommunique, l’homo faber a travaillé à prolonger l’un ou l’autre de ses organes sensitifs d’une façon qui a troublé ses autres sens et ses autres facultés. Mais l’expérience faite, l’homme a généralement oublié d’en tirer des observations

McLuhan, qui ne connaissait pas les smartphone ni même les tablettes tactiles, estimait que la technologie avait pour effet de séparer les sens de la pensée, pourtant la vision et le toucher n’ont jamais été autant sollicités dans notre quotidien. Ainsi, comme si l’auteur avait perçu cette évolution, il évoque de «nouveaux rapports sensoriels» au sein du fameux «village global». À savoir une résurgence du tribalisme à travers une «dilatation électronique de tous nos sens».

Ce «tribalisme» est entendu comme une «transmission électronique» du savoir au sein d’une communauté, cette fois planétaire. Il est le fait de la standardisation et de la massification des moyens de communication, que l’écriture et tous ses supports, des plus primitifs aux plus récents, a rendu possible. Pour le meilleur et pour le pire.

 

Paru dans l’édition de janvier 2017

 

* Une introduction aux fondements théoriques de l’étude des médias, Éditions du Céfal, 2002.

Pour aller plus loin:
– Eric Delcroix, Les réseaux sociaux sont-ils mes amis? Le Muscadier, 2012
– «La grande invaZion», étude menée par la BNP-Paribas et la start-up the Boson Project Site, à lire sur le site de Marion de la Forest-Divonne: http://marionlfd-coaching.com

 
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Pourquoi apprenons-nous si mal?

23 janvier 2017

Pourquoi l’enseignement échoue-t-il si souvent? Comment pouvons-nous améliorer nos stratégies d’apprentissage? Pour répondre à ces questions, le chercheur et spécialiste de la mémoire Henry Roediger et ses coauteurs font l’inventaire des principales croyances fausses sur l’apprentissage, analysent les résultats récents des sciences cognitives à ce sujet et montrent en détail comment ceux-ci peuvent être utilisés pour l’apprentissage et dans l’enseignement

 

 

 

 

Agnès Harlan
23 janvier 2017

Pourquoi l’enseignement échoue-t-il si souvent? Comment pouvons-nous améliorer nos stratégies d’apprentissage? Pour répondre à ces questions, le chercheur et spécialiste de la mémoire Henry Roediger et ses coauteurs font l’inventaire des principales croyances fausses sur l’apprentissage, analysent les résultats récents des sciences cognitives à ce sujet et montrent en détail comment ceux-ci peuvent être utilisés pour l’apprentissage et dans l’enseignement. Grâce à ces trois axes, Mets-toi ça dans la tête! Les stratégies d’apprentissage à la lumière des sciences cognitives, qui vient de paraître aux éditions suisses Markus Haller *, constitue un véritable manuel de pratiques basées sur les preuves.

Parmi les croyances fausses des élèves et des étudiants on trouve par exemple l’idée que l’on puisse apprendre sans effort, ou la conviction que la relecture répétée, le surlignement des passages clés et l’occupation intensive avec une matière pendant des heures garantiront à la fin l’acquisition de ce qu’on devrait savoir. Du côté des enseignants, certains croient par exemple que les interrogations fréquentes sont inutiles ou même contreproductives, qu’il ne faut pas confronter les élèves aux difficultés qui représentent un défi pour eux, ou que la priorité des élèves doit toujours consister à éviter des erreurs.

Les uns et les autres sous-estiment la force impitoyable de l’oubli. Retenir des faits, des idées ou des arguments durablement dans la mémoire pour les utiliser ultérieurement et dans de nouveaux contextes requiert un travail de remémoration régulier. C’est l’un des résultats les plus solides des sciences cognitives. Ainsi, au lieu de surligner, il vaut mieux noter les questions auxquelles un passage répond, s’interroger sur la signification des concepts utilisés et sur leurs liens avec ce que l’on sait déjà et avec le reste de la matière à connaître. Utiliser les questions ainsi dégagées pour tester, corriger et améliorer régulièrement sa propre compréhension est l’une des stratégies d’apprentissage dont l’efficacité est démontrée par une multitude d’expériences.
 

En comparaison, le bachotage — la relecture et la répétition ad nausaem, stratégie préférée de tant d’élèves et étudiants et recommandée par tant d’enseignants — est non seulement bien plus chronophage, mais résulte en une compréhension superficielle qui ne résiste guère à l’oubli. Il produit cependant un sentiment de familiarité avec la matière qui conduit à ce que les auteurs appellent l’illusion de maîtrise.

Ce mécanisme cognitif s’active automatiquement — comme la peur face aux erreurs vécues comme honteux ou la conviction de manquer l’intelligence — après des échecs répétés. Les attitudes qui en découlent empêchent l’apprentissage. Connaître les mécanismes favorables ou néfastes à l’apprentissage permet aux élèves comme aux enseignants d’éviter ces pièges et de choisir les pratiques efficaces en phase avec les connaissances scientifiques. Tel est le message optimiste de cet ouvrage.

* www.markushaller.com

 

Recension parue dans l’édition d’octobre 2016

 

 
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Comment sauver le soldat ONU?

9 janvier 2017

Jean Ziegler l’affirme: il faut sauver le soldat ONU. Dans son dernier ouvrage, le sociologue et écrivain suisse, ancien Rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation de l’ONU et actuel vice-président du comité consultatif du Conseil des droits de l’Homme, dresse un tableau sans concession de l’Organisation des Nations unies, tout en appelant à sa sauvegarde et à sa réforme.

 

 

Luisa Ballin
9 janvier 2017

Jean Ziegler l’affirme: il faut sauver le soldat ONU. Dans son dernier ouvrage, le sociologue et écrivain suisse, ancien Rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation de l’ONU et actuel vice-président du comité consultatif du Conseil des droits de l’Homme, dresse un tableau sans concession de l’Organisation des Nations unies, tout en appelant à sa sauvegarde et à sa réforme. «L’ONU est anémique. Le rêve qui l’avait portée, l’instauration d’un ordre public mondial, a été brisé. Ses moyens de combat se révèlent largement inopérants face à la toute puissance des oligarchies privées. Et pourtant! Sous la braise apparemment mourante couve le feu. Dans les ruines de l’ONU couve l’espérance. C’est que l’organisation collective du monde sous l’empire du droit, ayant pour buts la justice sociale planétaire, la paix et la liberté, demeure l’ultime horizon planétaire. Il n’y en a pas d’autre», écrit-il.

Utopiste Jean Ziegler? Ou visionnaire, comme l’étaient Roosevelt et Churchill en jetant les bases d’une organisation susceptible de réguler les conflits internationaux et d’assurer le minimum vital aux peuples du monde? Les deux à la fois, le sociologue suisse faisant sienne la maxime du fondateur du Parti communiste italien, Antonio Gramsci: «Il faut allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté

Un spectre hante la diplomatie multilatérale, rappelle Jean Ziegler: celui du destin tragique de la Société des Nations (SDN), créée par les Alliés au sortir de la Première Guerre mondiale en vertu du Traité de Versailles, à l’initiative du président des États-Unis Thomas Woodrow Wilson. Mais si le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale signa l’acte de décès de la SDN, l’infatigable combattant suisse de 82 ans ne désespère pas de voir l’ONU être réformée, comme l’a proposé l’ancien secrétaire Général Kofi Annan en 2006, en préconisant notamment de supprimer le droit de veto des cinq membres permanents du Conseil de sécurité (États-Unis, Russie, Chine, Grande-Bretagne et France) dans les cas de crimes contre l’humanité.

Les raisons de l’optimisme de Jean Ziegler pour réformer l’ONU sont à rechercher dans les conséquences de la guerre qui dévaste la Syrie, les horreurs perpétrées par l’état islamique autoproclamé et le terrorisme djihadiste qui a frappé à Paris, Nice, Londres, Moscou, Munich, aux États-Unis et ailleurs. Et dans une «foi assumée», inattendue sous la plume d’un marxiste convaincu en la capacité des citoyens de prendre leur destin en main. «Aujourd’hui, une myriade de mouvements sociaux, de syndicats, d’associations, d’organisations non gouvernementales et d’individus appartenant à toutes les classes sociales, religions, nations, ethnies et formations politiques, de tous les coins de la planète, contestent radicalement l’ordre du monde... Je suis l’autre, l’autre est moi. Il est le miroir qui permet en moi de se reconnaître. Ou, comme le disent les Évangiles: Dieu est immanent, présent en chacun de nous, faisant de nous des êtres sacrés, à son image.» Et Jean Ziegler de conclure: «La société civile internationale munie notamment des armes d’une ONU régénérée, porte l’horizon d’un monde enfin humain

 

Paru dans l’édition de janvier 2017

 

 
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Les sentiments intériorisés d’un «Hiver à Sokcho»

27 décembre 2016

Sokcho. Petite ville portuaire de la Corée du Sud, située près de la frontière avec la Corée du Nord. L’hiver y est rigoureux. Une jeune Franco-Coréenne rencontre un dessinateur de bande dessinée français à la recherche d’inspiration. L’attirance est mutuelle. Elle reste intériorisée.

 

Sokcho. Petite ville portuaire de la Corée du Sud, située près de la frontière avec la Corée du Nord. L’hiver y est rigoureux. Une jeune Franco-Coréenne rencontre un dessinateur de bande dessinée français à la recherche d’inspiration. L’attirance est mutuelle. Elle reste intériorisée.

Luisa Ballin
27 décembre 2016

 

«En collant ma joue contre l’embrasure, j’ai vu sa main courir sur une feuille. Il l’avait posée sur un carton, sur ses genoux. Entre ses doigts, le crayon cherchait son chemin, avançait, reculait, hésitait, reprenait son investigation. La mine n’avait pas encore touché le papier», écrit Elisa Shua Dusapin, jeune romancière, née d’un père français et d’une mère sud-coréenne. Dans ce premier roman, au style délicat, ponctué de coups de griffes inattendus, elle permet au lecteur de découvrir, par petites touches, des fragments de vie coréenne. Et des relations humaines subtilement conflictuelles.

 
 

Tels ces échanges entre mère et fille lors d’une halte aux jjimjilbangs, bains de vapeur. Dans la salle d’eau, la mère observe sa fille qu’elle a élevée seule. «Tu as encore maigri. Il faut que tu manges.» La fille voudrait que sa mère prenne rendez-vous chez le médecin, suspectant une maladie. La mère voudrait que sa fille lui parle de la pension où elle travaille. Elle lui propose de se faire opérer. «Tu me trouves laide à ce point», demande la fille. «Ne sois pas idiote, je suis ta mère. La chirurgie t’aiderait peut-être à trouver un meilleur emploi. C’est comme ça à Séoul, il paraît.» Séoul, un des temples de la chirurgie esthétique.

La jeune femme décline. Elle n’a qu’une hâte: retrouver Kerrand, le dessinateur mystérieux qui lui demande un jour de l’emmener à la frontière avec la Corée du Nord. Le dégel n’est pas amorcé. L’atmosphère est glaciale. «Les plages ici attendent la fin d’une guerre qui dure depuis tellement longtemps qu’on finit par croire qu’elle n’est plus là, alors on construit des hôtels, on met des guirlandes, mais tout est faux. C’est comme une corde qui s’effile entre deux falaises, on y marche en funambule sans jamais savoir quand elle se brisera, on vit dans un entre-deux, et cet hiver qui n’en finit pas!», note la narratrice.

Brève tentative d’approche de Kerrand. Incommunicabilité. Leurs yeux disent ce que leurs bouches ne parviennent pas à exprimer. Il voudrait lui dire. Elle se dérobe. Plus tard, elle se remémorera. «Il m’avait fait découvrir quelque chose que j’ignorais, cette part de moi, là-bas, à l’autre bout du monde, c’était tout ce que je voulais. Exister sous sa plume, dans son encre, y baigner. Qu’il oublie toutes les autres. Il avait dit aimer mon regard. Il l’avait dit. Comme une vérité froide et cruelle qui ne le touchait pas le moins du monde dans son cœur, juste dans sa lucidité. Je n’en voulais pas de sa lucidité. Je voulais juste qu’il me dessine

 
 
Elisa Shua Dusapin @ DR

Elisa Shua Dusapin @ DR

Un carnet. Précieux trésor découvert au hasard. «J’ai tourné les pages encore. L’histoire se diluait. Elle s’est diluée comme une errance entre mes doigts, sous mon regard. L’oiseau a fermé les yeux. Il n’y avait plus que du bleu sur le papier. Des pages d’encre azur.  Et cet homme sur la mer, à tâtons dans l’hiver, se laissait glisser entre les vagues, et son sillage en filigrane faisait des formes de femme, une épaule, un ventre, un sein, le creux des reins, puis descendait pour n’être plus qu’un trait, un filet d’encre sur la cuisse, qui portait une longue fine cicatrice, entaille de pinceau sur l’écaille d’un poisson

On referme le livre. Séduits par les images que l’on devine et la grâce de l’écriture.


 
Hiver à Sokcho, d’Elisa Shua Dusapin, Éditions Zoé.

Prix Révélation SGDL 2016 et Prix Robert Walser 2016.    

 

 
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L’Histoire, un rempart contre les crimes de guerre?

13 décembre 2016

La guerre, une affaire ordinaire? L’honneur au service du diable, ouvrage sérieux et mordant, fruit de la collaboration entre quatre historiens suisses, questionne les notions de crime de guerre et contre l’humanité à travers une interrogation tranchante: quelle crédibilité, ou quelle confiance, apporter aux récits de guerre «sans une analyse méthodique permettant de recouper les faits réels»?

 

 

Fabio Lo Verso
13 décembre 2016

La guerre, une affaire ordinaire? Cet ouvrage, sérieux et mordant, fruit de la collaboration entre quatre historiens suisses *, questionne les notions de crime de guerre et contre l’humanité à travers une interrogation tranchante: quelle crédibilité, ou quelle confiance, apporter aux récits de guerre «sans une analyse méthodique permettant de recouper les faits réels»?

L’honneur au service du diable analyse le cas du général nazi Hans Schaefer, combattant sur le front de l’Est en 1943. «Appartenant à une caste imprégnée d’honneur et de fierté», il a été retenu innocent des crimes perpétrés par le régime hitlérien. Le travail d’investigation de Claude Bonard sur les témoignages et les faits de la bataille de Marseille, qui marqua en 1944 la capitulation du général Schaefer, sert de base à l’analyse méthodique de Christophe Vuilleumier — initiateur de ce projet éditorial — Hervé de Weck et Olivier Meuwly.

L’ensemble de cette partition à plusieurs mains oscille entre deux pôles. L’un, plongé dans l’obscurité, laisse transparaître les ficelles de l’impunité des responsables de crimes de guerre, se jouant de la notion d’imprescriptibilité, dont «les charmes illusoires risquent souvent de nous faire succomber», prévient Olivier Meuwly. L’autre, s’offrant à la lumière de la vérité, fait la part belle à l’expertise honnête et rigoureuse, dépassant l’aveuglement idéologique, source de blocages, et exhortant à ne pas confondre, comme le fait Hervé de Weck, histoire et mémoire, «deux approches du passé radicalement différentes».

En parcourant les 165 pages de cet essai paru chez l’éditeur genevois Slatkine, on a l’impression de percevoir l’écho tragique de l’enlisement du conflit syrien et de l’impuissance de la soi-disant «communauté internationale». L’Homme «serait-il donc frappé par une malédiction le condamnant à continuellement s’entre-tuer dans l’abominable tragédie de son histoire?» se demande Christophe Vuilleumier. Mais à travers ces pages, on est surtout saisi par l’ambition de ce collectif d’auteurs de faire de l’Histoire un rempart contre les crimes de guerre. Ce que les lois, «qui viennent à présent dire le bon et le mauvais», ne permettent pas.

Inaction et silence sont peut-être les pires ennemis de la paix. Il reviendrait aux gouvernements d’agir, et aux médias de dire la vérité, à condition qu’elle soit désintéressée. Mais, dans le huis clos mortifère des intérêts des Etats et des rédactions, les non-dits se multiplient, stérilisant les consciences. «La vérité sur les guerres nous aidera peut-être à démystifier certains de ses aspects, que d’aucuns ne manquent pas d’exalter», analyse, dans la préface, Dick Marty, ex-parlementaire fédéral, célèbre pour son enquête sur les prisons secrètes de la CIA. «Elle nous aidera peut-être à considérer et poursuivre les crimes contre la paix, avant même de devoir appréhender les crimes de guerre.» Voilà qui devrait être une affaire ordinaire.

 

Recension parue dans l’édition de décembre 2016

 


* Christophe Vuilleumier, expert de l’histoire helvétique du XVIIe et XXe siècles; Claude Bonard, auteur de divers ouvrages sur l’histoire militaire et sur les relations polono-suisses; Hervé de Weck, ex-rédacteur en chef de la Revue militaire suisse; Olivier Meuwly, responsable de la série Histoire dans la collection du Savoir suisse.

 
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Nevicata, un éditeur qui plonge dans «l’âme des peuples»

30 octobre 2016

Trente titres en trois ans d’existence. Les éditions Nevicata et leur nouvelle collection L’âme des peuples, née en octobre 2013, ont le vent en poupe. Quatre nouveaux ouvrages viennent de paraître, consacrés à la Hongrie, au Congo, aux États-Unis et à la Suisse.

André Crettenand, auteur de Suisse, l'invention d'une nation. © Xavier Huberson / Payot / 27 octobre 2016

André Crettenand, auteur de Suisse, l'invention d'une nation. © Xavier Huberson / Payot / 27 octobre 2016

 

Trente titres en trois ans d’existence. Les éditions Nevicata et leur nouvelle collection L’âme des peuples, née en octobre 2013, ont le vent en poupe. Quatre nouveaux ouvrages viennent de paraître, consacrés à la Hongrie, au Congo, aux États-Unis et à la Suisse.

 

Luisa Ballin
30 octobre 2016

«Oui, c’est une folie que de publier des livres à une époque où l’on ne cesse de nous dire que les gens ne lisent plus», affirme Paul-Erik Mondron, le fondateur des éditions Nevicata sises à Bruxelles, que La Cité a rencontré jeudi 27 octobre à l’occasion de la présentation, à Payot Rive gauche, à Genève, du dernier né de la collection L’âme des peuples. Son titre, un brin provocateur, Suisse, l’invention d’une nation, est commis par le journaliste André Crettenand, responsable de l’information de TV5 Monde.

Téméraire, le jeune éditeur belge? Pragmatique et romantique, assurément. «J’assume le choix d’éditer des livres aujourd’hui, ce qui ne m’empêche pas de faire des calculs très précis sur le potentiel commercial de chaque titre. Le défi d’un éditeur est d’œuvrer entre ses coups de cœur et les publics que ses ouvrages peuvent trouver. Il prend un risque financier, l’inconnue est réelle. En terme de trésorerie, l’éditeur est conscient que livre ne commencera à être vendu que des mois plus tard. Ces éléments doivent être pris en compte, car la situation des petits éditeurs est toujours tendue. Il faut jongler et tenir le coup», explique le fondateur des éditions Nevicata. Qui doivent leur nom original à la passion de leur créateur pour les cimes enneigées, les élans vivifiants et les beaux mots.

Aussi constant pour gravir les sommets de la haute montagne que ceux de l’innovation dans l’édition, Paul-Erik Mondron a donné carte blanche à son complice en aventures livresques audacieuses, le journaliste franco-suisse Richard Werly. L’âme des peuples est en effet née à l’initiative du correspondant du quotidien Le Temps à Paris, après son entretien avec un philosophe grec à l’époque où il était correspondant à Bruxelles. «Ce philosophe lui avait expliqué que tant que l’Europe et les grandes institutions internationales ne parviendraient pas à comprendre le peuple grec, aucune solution visant à résoudre la crise grecque ne pouvait marcher», se souvient Paul-Erik Mondron.

Comprendre les peuples. Leurs angoisses, leurs aspirations, leurs désirs. Les élites européennes et les pontes des institutions internationales avaient tout simplement omis de le faire, le nez rivé sur les statistiques de l’économie et les soubresauts de la finance. L’article de Richard Werly avait eu un grand retentissement à Bruxelles et le philosophe grec avait été invité par Herman Van Rompuy, alors président du Conseil européen, à s’exprimer devant le Conseil de l’Europe.

Paul-Erik Mondron, fondateur des éditions Nevicata. © Xavier Huberson/Payot / 27 octobre 2016

Paul-Erik Mondron, fondateur des éditions Nevicata. © Xavier Huberson/Payot / 27 octobre 2016

L’éditeur belge et le journaliste franco-suisse ont ainsi eu l’idée de publier des petits ouvrages offrant des clés de compréhension et permettant aux lecteurs de pénétrer dans l’intimité des peuples. Leurs récits de voyage en 96 pages se glissent aisément dans une poche ou un sac à main.

Pour lire L’âme des peuples nul besoin d’avoir fréquenté les grandes universités. Les petits ouvrages de la collection sont accessibles, profonds et posent des questions d’une cuisante actualité. Un exemple? «La Hongrie, nation qui fait la une de la presse actuellement. Ses habitants sont un mystère pour nous», résume Paul-Erik Mondron. D’où la publication de «Hongrie, l’angoisse de la disparition», un livre qui permet de comprendre les enjeux essentiels de cette terre nichée au cœur de l’Europe, au moment où les agissements de son dirigeant Victor Orbán inquiète bon nombre de chancelleries.

Ces récits de voyage, au graphisme élégant, abordables notamment pour les lycéens et étudiants, sont enrichis par deux, voire trois entretiens avec des spécialistes du pays ou de la ville en question. Avec, chaque fois, le regard d’un historien pour situer le contexte. «Nous soignons le contenu et le contenant car le désir de lire est double lorsque le livre est beau», souligne Paul-Erik Mondron.

L’âme des peuples publie quatre titres à l’automne et quatre titres au printemps, en collant aussi près que possible à l’actualité: crise financière en Grèce, commémoration du génocide au Rwanda, Exposition Universelle à Milan, rétablissement des relations diplomatiques entre Cuba et les États-Unis, ouverture de la Birmanie au monde, révolution du jasmin en Tunisie, tensions en Turquie, retour en force de la Russie, centenaire du génocide arménien, élections présidentielles aux États-Unis et autres faits marquant l’histoire récente de pays sous diverses latitudes sont des occasions de rencontres enrichissantes et de bons bouquins.

 
Richard Werly, directeur de la collection L’âme des peuples. © Xavier Huberson/Payot / 27 octobre 2016

Richard Werly, directeur de la collection L’âme des peuples. © Xavier Huberson/Payot / 27 octobre 2016

 

Un pays, un peuple, une âme. Comment Richard Werly, le directeur de L’âme des peuples choisit-il pays et auteurs? Il précise: «Pas seulement les pays, mais également les villes et nous allons aussi nous aventurer dans les régions avec le Kurdistan et la Bretagne. Le concept de L’âme des peuples évolue géographiquement. S’agissant des auteurs, deux cercles se rejoignent : celui de la compétence avec des experts et des spécialistes dont nous savons qu’ils sont ancrés dans un pays, une ville ou une région, parce que nous les connaissons professionnellement ou parce qu’ils enseignent dans telle ou telle université. Le second cercle est celui des auteurs que nous avons pu rencontrer soit parce qu’ils ont déjà publié chez Nevicata ou parce que je connaissais les autres ouvrages qu’ils avaient écrits. Et nous avons depuis peu une troisième catégorie, celle des auteurs qui vient frapper à la porte des éditions Nevicata, lors des festivals du livre de Paris, Genève ou St-Malo, comme ce fut le cas d’une universitaire belge qui a contacté hier Paul-Eric Mondron pour lui proposer d’écrire un livre sur l’âme de la Géorgie

Pour Paul-Erik Mondron, «les livres doivent être à la fois détachés de l’actualité immédiate afin de pouvoir se lire pendant deux ou trois ans après un événement, tout en étant publié de manière opportune». S’agissant de Suisse, l’invention d’une nation, si l’ouvrage ne colle pas à une actualité particulière, il tombe à point nommé pour combler la curiosité des lecteurs européens, notamment à Bruxelles et à Paris, avides d’en apprendre plus sur ce pays souvent cité comme modèle de démocratie.

André Crettenand, auteur de Suisse, l'invention d'une nation. © Xavier Huberson / Payot / 27 octobre 2016

André Crettenand, auteur de Suisse, l'invention d'une nation. © Xavier Huberson / Payot / 27 octobre 2016

LE SENS COMMUN DE LA LIBERTÉ, ÂME DU PEUPLE SUISSE?

Décrypter la Suisse, c’est le pari relevé par André Crettenand, responsable de l’information de TV5 Monde; un pari qui n’était pas gagné d’avance, celui de dévoiler une Suisse mystérieuse. «Le défi était d’écrire un petit livre qui aide à comprendre la Suisse à ceux qui ne la connaissent pas mais qui en ont une image toute faite, et faire en sorte que ceux qui habitent ce pays et qui le connaissent bien puissent encore être surpris par des choses qu’ils ne connaissaient pas», déclare-t-il à La Cité.

Plongée réussie dans les méandres de l’âme des Helvètes, «assemblage de peuples comme on le dirait d’un bon crû, qui coexistent depuis des siècles et qui ont développés un sens commun de la liberté», estime le journaliste suisse installé à Paris, pour qui le goût de vivre ensemble dans une démocratie est le ciment qui peut expliquer l’inexplicable aux yeux de ceux qui sont émerveillés par le fait que les Suisses vivent côte-à-côte en parlant quatre, voire cinq langues différentes et être issus d’autant de cultures.

André Crettenand n’esquive pas les questions que se posent entre citoyens et autres habitants de la placide Helvétie. «J’observe les choses sur le long terme. Il y a parfois des tensions, notamment lorsque nous nous interrogeons à propos de notre avenir au sein de l’Europe. Ou face à notre situation dans le cadre de la mondialisation, puisque Romands et Alémaniques ne proposent pas les mêmes solutions. Nous sommes peut-être dans une période où il y a plus de tensions qu’auparavant, mais ce qui est intéressant, c’est que nous cherchons des solutions et des compromis ensemble. Cette notion unit les Suisse. La votation ‘Contre l’immigration de masse‘ acceptée par le peuple et les cantons le 9 février 2014 n’a pas provoqué de schisme entre les uns et les autres, mais le résultat a contraint tout le monde à retourner au travail et à chercher ensemble une solution. C’est cela le plus précieux

Tout peuple a son mythe unificateur. Pour les Suisses, est-ce la Nati? Le tennisman Roger Federer? André Crettenand sourit: «C’est parfois la Nati lors des grandes compétitions de football. C’est sans doute aussi un même art de vivre. C’est Roger Federer, car se sont souvent les sportifs qui suscitent l’admiration, parce que les Suisses aiment les exploits. Les sportifs de haut niveau sont les héros qui divisent le moins car les héros politiques font rarement l’unanimité. Et lorsqu’ils font l’unanimité, il faut parfois s’en méfier car ils finissent souvent par être des dictateurs. Quand aux héros économiques, on les regarde assez froidement. Dans mon livre, je parle du mythe de Guillaume Tell qui nous rassemble. Même si l’on sait aujourd’hui qu’il n’a pas existé !» Comme disent les Italophones, se non è vero è ben trovato, conclut l’auteur de Suisse, l’invention d’une nation.

 

L’auteur de cet article a publié chez Nevicata
le livre Milan, audacieuse et orgueilleuse.


Découvrez les titres de la collection: www.editionsnevicata.be

 
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Franklin Servan-Schreiber concilie bonheur, science et conscience

16 octobre 2016

Récit intime signé Franklin Servan-Schreiber, Quatre frères, un ami, et la recherche du sens de la vie dévoile des pans de la vie romanesque et parfois dramatique du clan Servan-Schereiber, l'un des protagonistes de la vie politique et économique française.

 

Récit intime signé Franklin Servan-Schreiber, Quatre frères, un ami, et la recherche du sens de la vie dévoile la vie romanesque et parfois dramatique du clan Servan-Schereiber, l'un des protagonistes de la vie politique et économique française.

 

Luisa Ballin
16 octobre 2016

Il est des livres qui nous accompagnent dans un moment difficile de la vie. Il est des ouvrages que l’on voudrait avoir écrit. Il est des récits qui redonnent envie. Quatre frères, un ami, et la recherche du sens de la vie est de ceux-là. Le récit de Franklin Servan-Schreiber est un éloge à la fraternité, l’amitié, la solidarité, la maturité et à l’espoir. Une résilience par l’écriture avec des mots pour soigner les maux de l’existence. Une plongée dans l’intimité d’une lignée qui a marqué de son empreinte l’histoire récente de la France: les Servan-Schreiber.

Cet ouvrage est une dédicace poignante à son frère David, médecin et écrivain, auteur du best-seller Anticancer, emporté à l’aube de ses cinquante ans par une tumeur au cerveau détectée alors qu’il venait d’avoir trente ans. Loin d’être un simple hommage posthume, Quatre frères, un ami, et la recherche du sens de la vie est un message d’espoir, car, comme l’atteste la phrase de Romain Rolland qui figure en ouverture de la première partie du livre, «Même sans espoir, la lutte est encore un espoir».

Le récit du troisième de cordée de la fratrie dévoile des moments privés de la vie romanesque et parfois dramatique du clan Servan-Schreiber. Troisième fils de Jean-Jacques Servan-Schreiber— fondateur de L’Express et homme politique —, neveu de Jean-Louis Servan-Schreiber — plume respectée du quotidien d’information économique et financière Les Échos fondé par les frères Robert et Émile Servan-Schreiber —, Franklin décrit avec une sincérité sans tabou qui lui fait honneur, les méandres de sa douleur et celle des autres membres de sa famille étendue face au calvaire puis à la perte du brillant et lumineux David.

AU PLUS PRÈS DE SA VÉRITÉ

L’auteur de Quatre frères, un ami, et la recherche du sens de la vie aurait pu se renfermer dans son deuil après la mort de son frère admiré. Il n’en a rien été. Dans son ouvrage-témoignage, il va plus loin, pour explorer des thèmes essentiels: la recherche du sens de sa vie, le mystère de la mort, l’amour, l’amitié, le sentiment de culpabilité, la capacité de pardonner et d’être pardonné, le courage de se remettre en cause. En profondeur et sans remords. Avec lucidité. Au plus près de sa vérité. En partant de l’épilogue du riche parcours de vie de son aîné.

Franklin Servan-Schreiber offre un carnet de voyage intime au cœur de ses longues journées passées aux côtés de David, de ses deux autres frères Émile et Édouard et de leur mère Sabine. À la recherche du vaccin miracle pour sauver un homme, lui-même médecin, qui avait été si proche de ses patients. Franklin Servan-Schreiber, ingénieur et historien de formation, ose nommer la maladie et ses effets pervers. Sans voyeurisme. Avec pudeur et une infinie tendresse. Sans occulter ni les moments de doute ni les flambées de désir qui peuvent surgir à l’improviste, même dans les moments les plus difficiles. Et qui resserrent la complicité entre les quatre frères.

Le scientifique et historien se pose les questions que l’on évite trop souvent, pris dans le tourbillon de la vie quotidienne: quel est le sens de l’existence? Et de l’engagement envers soi et envers l’autre? Comment aborder la spiritualité, dans un monde ravagé par les effets collatéraux et dévastateurs de la mondialisation de l’économie? Comment concilier bonheur, science, conscience? Qu’est-ce au fond que la condition humaine?

Comme Dante jadis guidé par Virgile, Franklin Servan-Schreiber est parti à la recherche du sens de sa vie, accompagné par Yves, l’ami genevois de quatre-vingt-huit ans, ancien banquier féru de spiritualité, fort d’une expérience de vie d’une grande richesse et d’une grande sagesse De leur retraite-séjour à Sils Maria, sur les pas de Nietzsche, qui écrivit dans la belle cité de l’Engadine une grande partie de son livre Ainsi parlait Zarathoustra, naitront les conversations qui enrichissent Quatre frères, un ami, et la recherche du sens de la vie. Un hymne à la fraternité universelle. «Grâce à Yves, j’ai découvert que le sens de la vie est une recherche sans fin, pourtant, lorsque nous écrivons côte à côte, j’ai dans l’éphémère de l’instant, l’impression de l’avoir trouvé», conclut Franklin Servan-Schreiber.

Il n’est pas aisé de trouver sa voie lorsque l’on nait troisième d’un quatuor fraternel de prestige. Avec Quatre frères, un ami, et la recherche du sens de la vie, Franklin Servan-Schreiber a trouvé sa place: celle de conteur merveilleux et de passeur d’histoires de vie d’une dynastie de journalistes et d’écrivains. Et d’une fratrie unie.

 
 
 
Franklin Servan-Schreiber © DR

Franklin Servan-Schreiber © DR

Franklin Servan-Schreiber

sera l’invité de

l’Institut des Cultures Arabes
et Méditerranéennes (ICAM)

mercredi 19 octobre

à 19h00

Librairie Arabe L’Olivier
5, rue de Fribourg
1201 Genève

Entrée libre

Tél. 022 731 84 40
www.icamge.ch

 
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Du chaos est né #Trump

10 octobre 2016

Le secret de Donald Trump? Son avatar numérique! Trump est désormais #Trump, ou hashtag Trump, une marque immatérielle qui canalise les forces démagogiques à l’œuvre aux États-Unis.

 

Avec #Trump, les journalistes Stéphane Bussard et Philippe Mottaz signent un essai de référence sur «l’OPA virale» de Donald Trump sur un pays de plus de trois cents millions d'habitants.

 

Fabio Lo Verso 10 octobre 2016

Comment a-t-il ensorcelé les millions d’Américains qui lui ont longtemps nié leur confiance dans la course à la Maison-Blanche? Depuis trente ans, Donald Trump se prépare à accéder à la fonction suprême, mais il s’est souvent arrêté au seuil des primaires. C’était avant que le milliardaire new-yorkais opère une mutation virtuelle en créant son puissant avatar numérique. Trump est désormais #Trump, ou hashtag Trump, une marque immatérielle qui canalise les forces démagogiques à l’œuvre aux États-Unis. Voilà donc qui aurait provoqué le déclic — et une marée de clics — auprès des 14 millions de personnes qui lui ont donné «l’investiture d’un parti dont il n’était pas même un élu».

Stéphane Bussard et Philippe Mottaz racontent comment ce pur produit de l’Amérique bling-bling, l’homme aux boutons de manchettes en or à ses initiales, a déjoué les pronostics en appuyant sa campagne sur les réseaux sociaux. Le premier est correspondant du quotidien Le Temps à New York depuis 2011, le second, ancien directeur de l’information de la Télévision suisse romande, a couvert toutes les élections présidentielles de Jimmy Carter à Barack Obama. Selon eux, Trump est l’auteur d’un rapt viral dans un pays de 320 millions d’habitants, soudainement incapable, après l’étoile Obama, de «générer une relève politique».

Au-delà du récit des primaires républicaines et démocrates, de la résistible ascension de «l’homme qui monte sa coiffure comme un pâtissier une pièce élaborée», cet essai de 222 pages — paru en septembre aux éditions genevoises Slatkine — dévoile les traits tirés d’une nation déboussolée, en proie à des maux qui paraissent incurables, l’accroissement massif des inégalités économiques et sociales, la haine de Washington et de l’establishment, la sempiternelle question raciale, la violence endémique et le cynisme des élites. Les exemples sont légion, analysés à l’aide d’études universitaires et de recherches pointues, qui donnent à ce livre l’épaisseur d’un essai de référence.

Les co-auteurs ne ratent aucune des contradictions d’un système devenu absurde. La dernière illustration a eu lieu en pleines primaires: «Trump a dû se résigner à licencier son chef de campagne après qu’on été révélés, vidéos à l’appui, ses comportements d’une rare violence à l’encontre de certains journalistes qui couvraient son candidat et la posture agressive face aux opposants qui manifestaient lors des meetings. Quelques jours à peine après son licenciement, il était engagé comme commentateur par CNN. La chaîne, ravie de son coup, expliqua qu’elle aurait ainsi une compréhension nouvelle de la campagne du candidat Trump!»

Le Yes we can de Barack Obama n’avait qu’un but: offrir un contraste saisissant avec l’atmosphère lourde de la fin du deuxième mandat de George W. Bush. Il y avait eu les attaques du 11 septembre 2001, la guerre en Irak, la torture à Abu Ghraib, à Guantanamo... Des événements funestes qui ajoutent aux racines de cette sourde colère qui s’est emparée des Américains et qui rend obsolètes les grilles de lecture traditionnelles derrière lesquelles les élites se rassurent. Embastillé voire paralysé par la majorité républicaine au Congrès, Barack Obama a échoué à pacifier la nation. De ce chaos est né #Trump.

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Contre le politiquement correct, le «mépris civilisé»

26 septembre 2016

Le mépris civilisé est un titre qui force la curiosité et exige une explication: concept humaniste, dans le sens authentique du terme, il n’a rien d’une injonction à haïr poliment son prochain.

Le mépris civilisé est un titre qui force la curiosité et exige une explication: concept humaniste, dans le sens authentique du terme, il n’a rien d’une injonction à haïr poliment son prochain.

 

Fabio Lo Verso 26 septembre 2016

Carlo Sprenger, de nationalité suisse (il est né à Bâle en 1958) et israélienne, philosophe et psychanalyste, fait partie du comité d’observation du terrorisme au sein de la Fédération mondiale des scientifiques. Il utilise la raison pour appréhender et prévenir ce qui est irrationnel, immoral, incohérent, en un mot inhumain, aujourd’hui incarné par le fanatisme religieux et l’extrémisme violent. Il travaille pour unir les personnes, non pour les diviser. Dans le plus pur esprit des Lumières, son dernier livre, paru en janvier aux Éditions Belfond, est un hymne à l’exercice de la faculté de critique, contre le politiquement correct qui paralyse la pensée et nourrit paradoxalement l’intolérance. Son antidote, le mépris civilisé, est le «principe même de la formation d’une opinion responsable», reposant «sur des arguments fondés et sur des connaissances précises et exhaustives». Assez de ces débats politiques et médiatiques creux, empreints de mauvaise foi, qui alimentent les frustrations et attisent le malaise social!

C’est à ce cirque politico-médiatique que le mépris, premier mot du nouveau concept forgé par Carlo Sprenger, incite à s’opposer. Mais ce mépris n’est vraiment civilisé que lorsqu’il s’appuie «sur des connaissances scientifiques et une argumentation solide qui doit être à tout moment soumise à une critique rigoureuse, et il ne peut servir de prétexte pour humilier les gens qui pensent autrement». Professeur de psychologie à l’Université de Tel-Aviv, Carlo Strenger réclame l’avènement d’une «culture du mépris civilisé» fondée sur «une autodiscipline intellectuelle qui engage à collecter des informations et à les évaluer avec soin», chaque individu étant moralement obligé d’adopter, dans sa démarche de compréhension de la réalité, «les mêmes critères épistémiques qu’il exige dans le domaine de la médecine de ses finances personnelles». Ce principe, précise l’auteur, «se dirige contre des opinions, des credo, des valeurs, jamais contre les individus qui les professent. La dignité et les droits fondamentaux de ces derniers doivent toujours être garantis et ne leur être déniés sous aucun prétexte».

Ce livre est une invitation à bannir la sous-culture de l’invective blessante et de l’insulte publique ad personam. L’auteur taille premièrement en pièces le politiquement correct, issu de la gauche mais séduisant la droite, puis le relativisme postmoderne, selon lequel toutes les visions du monde se valent et rien ne permet de les critiquer. Contre cette dérive, il invoque Kant, Locke, Spinoza et les grands interprètes des Lumières, Voltaire, Condorcet, etc. Lorsqu’il est sorti pour la première fois en Allemagne, en 2015, avant les attentats de novembre, mais après la tuerie de Charlie Hebdo, la Berliner Zeitung accueillait le livre de Carlo Strenger comme une «source d’inspiration»: «Contre les dérives du politiquement correct, le mépris civilisé est un concept pratique et intelligent pour défendre nos libertés, un appel à prendre position

 
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Le blasphème, une vieille histoire

15 septembre 2016

N’en déplaise à certains contempteurs de la religion musulmane qui dénoncent sa «consubstantielle» barbarie, «le vilain serment», comme on le qualifiait au Moyen Âge, est bien antérieur à l’islam. Un historien français en retrace l’évolution et signe un passionnant manifeste en faveur de la laïcité.

L’historien Jacques de Saint Victor © DR / 2016

L’historien Jacques de Saint Victor © DR / 2016

 

N’en déplaise à certains contempteurs de la religion musulmane qui dénoncent sa «consubstantielle» barbarie, «le vilain serment», comme on le qualifiait au Moyen Âge, est bien antérieur à l’islam. Un historien français en retrace l’évolution et signe un passionnant manifeste en faveur de la laïcité.

 

William Irigoyen
15 septembre 2016

«On a vengé le prophète Mahomet, on a tué Charlie Hebdo!», s’écrie le 7 janvier 2015 dans les rues du XIe arrondissement de Paris un homme cagoulé, filmé par une caméra amateur. Il s’agit d’un des deux frères Kouachi, duo devenu tristement célèbre pour avoir abattu de sang-froid, ce jour-là, les dessinateurs de l’hebdomadaire satirique français. Les djihadistes entendaient punir par le sang un organe de presse qu’ils ont toujours considéré comme «blasphémateur».

Le terme de blasphème vient d’un mot grec qui fut traduit en latin ecclésiastique par blasphemia. Il désignait chez les Anciens une forme de «blessure», explique dans son dernier essai l’historien du droit et des idées politiques français Jacques de Saint Victor. Depuis des siècles, des juifs, des chrétiens et des musulmans invoquent ce crime pour imposer leur loi en punissant tout ceux qui ne pensent pas comme eux.

Dans la loi hébraïque, il s’agit au départ de remettre dans le droit chemin le blasphémateur qui utilise mal le nom du tout puissant («Tu ne prononceras pas à tort le nom de YHWH ton Dieu, car YHWH ne laisse pas impuni celui qui prononce son nom à tort») ou en parle trop «légèrement». Très vite, le blasphème s’étend à tout acte condamné par le divin comme par exemple le refus de la circoncision, la profanation du sabbat, la trahison, etc.

Quand l’Édit de Thessalonique fait du christianisme la religion officielle de l’Empire romain en 380, les juifs sont à leur tour accusés d’avoir commis le pire des sacrilèges (Saint Jérôme dira même qu’en crucifiant le Christ, ces derniers s’étaient faits les serviteurs de l’impiété). Les païens, quant à eux, sont coupables de ne pas reconnaître le vrai Dieu. Selon Jacques de Saint Victor le blasphème devient l’instrument, et l’enjeu, du combat qu’allaient se livrer entre eux les divers monothéismes.

Les coupables ont beau être clairement pointés du doigt, la définition du mot «blasphème» demeure longtemps floue. Pourtant la chrétienté a bien admis qu’il y avait des degrés de gravité: un juron (blasphème involontaire) n’est pas une «parole qui tue» (blasphème volontaire). Saint Thomas clarifie les choses en rangeant ce «péché» parmi les vices opposés à la foi, avec l’infidélité, l’hérésie, l’apostasie, l’aveuglement spirituel et l’hébétude. Le lecteur non spécialiste apprendra aussi que si le «péché de bouche» reste une matière ecclésiastique, ce n’est pas l’église qui se charge de le réprimer mais la royauté, dès les premiers Capétiens. Cette évolution n’est pas le fruit du hasard. Elle correspond au moment où s’affirme la doctrine du droit divin des rois et que la religion devient un instrument privilégié de l’action monarchique. L’autorité «laïque» se pose ainsi comme la seule protectrice de la religion établie.

PRIVILÈGE DE LA «TERREUR»

Et les têtes couronnées vont rivaliser d’ingéniosité barbare pour punir les contrevenants. Les djihadistes d’aujourd’hui n’ont pas le privilège de l’horreur. Ainsi, en 1619, le libertin Giulio Cesare Vanini, «originaire du royaume de Naples (...) fut condamné par le parlement de Toulouse à avoir la langue coupée puis à être étranglé et brûlé vif pour blasphème, impiété, athéisme, sorcellerie et corruption de mœurs». D’après les témoignages d’époque, l’exécution fut particulièrement sauvage.

L’Église s’offusque de certaines condamnations à mort. Au XVIIe siècle, Montesquieu s’interroge sur l’opportunité de «venger» la divinité. De tels propos sont écoutés, mais ils ne sont pas entendus. Tout change à partir d’une affaire célèbre mettant en scène François-Jean Lefebvre de La Barre. Ce jeune noble français est jugé par le Tribunal d’Abbeville et la Grand-Chambre du Parlement de Paris pour blasphème et sacrilège. Le verdict tombe: le chevalier est condamné à être décapité puis brûlé. La Barre fut livré à un supplice atroce. Son exécution allait susciter une vive émotion à travers l’Europe éclairée. C’est, selon l’auteur, le procès de trop. Conséquence: le 25 septembre 1791, la France révolutionnaire devient la première nation en Europe à abolir expressément le délit de blasphème dans son premier Code pénal.

L’Hexagone n’en a pas pour autant fini avec lui. Et Jacques de Saint Victor de citer l’historien Georges Lefebvre évoquant quelques cas jusqu’en 1793, où l’on aurait encore traduit des individus en justice pour ce motif. En 1822, le gouvernement de la Restauration promulgue une loi sur la presse aggravant la peine de prison ou l’amende contre «quiconque aura outragé ou tourné en dérision la religion de l’état» ou «toute autre religion dont l’établissement est légalement reconnu en France».

Pas davantage la Deuxième République que le Second empire ne vont revenir là-dessus, ces deux régimes conservant un délit d’outrage à la morale religieuse. La Troisième République marque une nouvelle rupture. La loi de 1881 fait la distinction entre les idées (la religion) et les personnes (les croyants). Les idées, auxquelles étaient associées les croyances religieuses, devaient relever du libre débat critique car, autrement, il ne serait plus possible de débattre des idéologies ou des programmes politiques.

LAÏCITÉ N’EST PAS LAÏCISME

Depuis, les blasphémateurs vivraient-ils en France comme des coqs en pâte? Assurément non puisque, en date du 1er juillet 1972, la loi Pleven crée un nouveau délit de «provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence» commise envers des individus «en raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée».

N’importe qui peut aujourd’hui invoquer ce texte pour poursuivre les blasphémateurs. Qu’ils soient supposés ou réels. Car en attaquant Moïse, Jésus ou Mahomet, vise-t-on une religion dans son ensemble? Cherche-t-on à lui en substituer une autre? L’auteur rappelle avec justesse que «la laïcité (...) n’est pas le «laïcisme»: elle n’est pas empreinte de religiosité». L’enjeu est donc de constituer le cadre permettant à tous de s’exprimer, le croyant comme celui qui ne croit pas, et qu’on néglige, il est vrai, trop souvent.

Pas étonnant qu’en France, cent onze ans après la loi de 1905, on voit des chrétiens et des musulmans manifester ensemble contre la laïcité. Plus surprenante, en revanche, est cette alliance objective entre des fanatiques religieux et une partie de la gauche extrême qui voit dans la colère de ces derniers la rage des victimes de la mondialisation capitaliste. Entre les lignes, l’ouvrage de Jacques de Saint Victor montre combien la laïcité apparaît plus que jamais en danger dans l’Hexagone.

D’où cette impérieuse nécessité de la défendre et de se faire l’écho de l’auteur selon lequel les opinions religieuses ne sont pas des «opinions» comme les autres. Philosophiquement, ce sont des «croyances», «et la foi, en tant que telle, ne peut se discuter: je crois ou je ne crois pas.» Plus loin: la société libérale laïque est la seule capable d’accompagner les esprits à se libérer eux-mêmes, quand ils le voudront, ou le pourront, de leurs identités closes.

Ce livre rappellera à tous ceux qui l’auraient oublié que la laïcité est un des socles fondamentaux de la France, «République indivisible, laïque, démocratique et sociale», comme le stipule le premier article de la Constitution hexagonale. Remettre ce principe en cause revient de facto à agir en dehors de la loi.

 

Paru dans l’édition de février 2016

 
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Les émeutes raciales aux États-Unis, une histoire en noir et blanc

19 juillet 2016

En 1919, les États-Unis sont secoués par une série d’émeutes raciales. L’écrivain Carl Sandburg dépasse l’événement et étudie les conditions sociales des Noirs. La traduction de son livre vient de paraître. Près de cent ans plus tard, son actualité est sidérante.

 

En 1919, les États-Unis sont secoués par une série d’émeutes raciales. L’écrivain Carl Sandburg dépasse l’événement et étudie les conditions sociales des Noirs. La traduction de son livre vient de paraître¹. Près de cent ans plus tard, son actualité est sidérante.

 

William Irigoyen
19 juillet 2016

Ainsi que le relaie le quotidien québécois Le Devoir, l’ancien marine américain qui a abattu trois policiers à Baton Rouge le 17 juillet 2016 a, comme le tireur de Dallas, voulu venger les abus des forces de l’ordre contre les Noirs. Répéter ici que les deux mandats successifs de Barack Obama, premier président noir de l’histoire étasunienne ne sont malheureusement pas parvenus à éradiquer le fléau de la violence interraciale aurait bien peu d’intérêt. En revanche, lire Carl Sandburg dont la maison d’édition française Anamosa a eu l’excellente idée de publier la traduction, est intellectuellement plus stimulant.

L’auteur, né en 1878 dans l’Illinois, a de multiples casquettes: poète, historien, membre du Socialist Party of America, «secrétaire du maire socialiste de Milwaukee de 1910 à 1912», il est aussi journaliste pour le compte du Chicago Daily News. C’est d’ailleurs pour ce quotidien que Sandburg va réaliser une enquête très minutieuse sur la condition de vie des Noirs dans l’un des quartiers de la ville, travail d’une extraordinaire qualité journalistique. Cette enquête explique la face sociale cachée des émeutes qui durant treize jours — du 27 juillet au 8 août 1919 — vont voir Blancs et Noirs s’affronter si violemment. Bilan: 38 morts, 537 blessés.

Comme l’écrit Christophe Granger², qui signe la nécessaire préface de cet ouvrage, Sandburg «tait les exactions. Il tait les victimes. Il tait le sang et les bourreaux. On a pu le lui reprocher. Il faut au contraire beaucoup d’audace pour assumer l’ellipse, pour éliminer de la présentation ce que toute la presse d’alors se délecte jour après jour de ressasser, frénétique – et qui, il faut bien le dire, n’en finit pas de structurer aujourd’hui encore notre propre rapport aux émeutes. Ce qu’il veut, lui, dans ses pages, c’est libérer la possibilité de comprendre». Comprendre, pourrait-on ajouter, sans chercher à justifier d’une quelconque manière l’usage de la violence.

À Chicago, poursuit l’historien français, «rien ne ressemble à l’officielle ségrégation raciale de l’espace public que les Jim Crow Laws ont mise en œuvre dans les cafés, les bus ou sur les plages de nombreuses villes du Sud. Il existe pourtant quelque chose comme une ségrégation tacite et coutumière qui, dans la pratique, taille des frontières invisibles mais bien réelles. C’est l’une d’elles, celle qui, jusque dans l’eau, réserve une partie de la plage de la 29e Rue aux Blancs et une autre aux Noirs, que Williams transgresse ce jour-là». Eugene Williams, 17 ans, va payer de sa vie le fait d’avoir osé nager dans les mêmes eaux que les Blancs. Sa mort par noyade va être l’élément déclencheur des affrontements sanglants.

 
 

Sandburg réalise donc une enquête sociale. Grâce à lui, on comprend mieux la manipulation des loyers dont les Noirs sont victimes, le quotidien dans des logements en ruines, les emplois soi-disant réservés. Exemple concret: Edward Burke, engagé dans la marine en Californie avant la conscription, commissaire de bord sur le navire Mauben. Après la Première Guerre mondiale, il a été «démobilisé dans le Norfolk, il a accepté l’emploi le plus intéressant qui s’offrait à lui: cuisinier dans un wagon-restaurant. L’anglais, le français, l’allemand, l’italien, l’espagnol, le portugais, presque toutes les langues parlées en Amérique du Sud, en Europe centrale et occidentale, Burke les parle couramment. Il aspire à décrocher un poste d’interprète ou de secrétaire mais jusqu’ici la destinée ne lui propose que des œufs à frire et du bœuf à mijoter malgré son bagage de polyglotte».

Sandburg va à la rencontre de citoyens lambda comme on dirait aujourd’hui, mais aussi d’universitaires, de policiers... Il veut donner à voir ce que les émeutes, par nature, taisent. Mais le journaliste ne se contente pas que de cela. Il apporte à la connaissance de chacun des travaux de qualité effectués par des acteurs dont le sérieux ne peut être mis en doute. Ainsi, quand il évoque la déscolarisation des enfants noirs, il relaie l’enquête d’un sociologue: «Sur un périmètre englobant deux pâtés de maison, il a recensé un total de 83 familles au sein desquelles 96% des garçons sèchent l’école, et 72 % d’entre eux ont déjà au moins un an de retard pour cette raison. Dans la plupart des cas, les parents étaient tellement absents que le lien avec leurs enfants s’était rompu.»

Trois ans après avoir publié le résultat de son investigation, la Chicago Commission on Race Relations avancera cinquante-neuf recommandations parmi lesquelles celle-ci: «Que les Blancs forment leur jugement sur les Noirs, sur leur caractère et leurs habitudes, auprès des responsables et des représentants noirs, qu’ils cessent de voir les Noirs comme appartenant à un groupe homogène, comme étant inférieurs mentalement et moralement, et comme ayant une tendance innée au crime, et spécialement au crime sexuel.» On pourra rétorquer, en lisant cela, que ces propos n’ont toujours pas été entendus aux États-Unis (et pas uniquement là-bas, d’ailleurs). Mais chacun son métier: aux politiques de réduire, sinon d’éradiquer, le déterminisme; aux journalistes l’obligation de témoigner.

Sandburg, lui, a chaussé les bonnes lunettes pour décrire sans concession la réalité sociale. Cette vision nette d’ensemble explique sans doute l’engagement politique de cet homme qui, pour la petite histoire, sera le «premier (...) blanc à se voir décoré par la NAACP en tant que 'prophète majeur des droits civiques'». Homme de paix invitant à dépasser les clichés sur lesquels se fondent l’ignorance et donc la haine, ce journaliste au combat juste mérite la reconnaissance qui lui est due. L’année prochaine, cela fera un demi-siècle que Carl Sandburg est mort à son domicile de Flat Rock en Caroline du Nord.


1. Carl Sandburg, Les émeutes raciales de Chicago, Juillet 1919, préface de Christophe Granger, traduit de l'américain par Morgane Saysana, Éditions Anamosa.
2. Historien, auteur de La destruction de l'université française, La Fabrique, 2015.
3. National Association for the Advancement of Coloured People, organisation américaine de défense des droits civiques.

 
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«Débordements», le ballon rond côté sombre

12 juillet 2016

Corruption dans les instances dirigeantes de la FIFA, joueurs peu scrupuleux alimentant la rubrique «faits divers» des journaux: le football est un monde où les débordements sont fréquents. Un essai liste quelques cas d'individus sans foi ni loi évoluant dans ce sport. Mais à côté des canards boiteux il y a aussi des types bien.

 

Corruption dans les instances dirigeantes de la FIFA, joueurs peu scrupuleux alimentant la rubrique «faits divers» des journaux... : le football est un monde où les débordements sont fréquents. Un essai liste quelques cas d'individus sans foi ni loi évoluant dans ce sport. Mais à côté des canards boiteux il y a aussi des types bien.

 

William Irigoyen
12 juillet 2016

Ite, missa footballum est. La messe footballistique est donc dite depuis dimanche 10 juillet: le Portugal est champion d'Europe 2016. Le pays est en liesse, à écouter ou lire les récits pseudo-journalistiques qui sont faits de la finale avec la France. Les supporters de la Seleção das Quinas sont sur un petit nuage, les fans des Tricolores, eux, ne s'en remettent pas. Les premiers expliqueront ad vitam aeternam qu'ils méritaient de gagner et les seconds qu'ils étaient pourtant meilleurs. Personne n'y changera rien: la loi du sport est dure, mais c'est la loi. Une question invite à  un autre débat: qui sur le Vieux Continent — voire dans le monde — incarne le mieux les valeurs du football et mène une vie en accord avec ses principes?

À lire Débordements. Sombres histoires de football 1938-2016, l'essai signé Olivier Villepreux, Samy Mouhoubi et Frédéric Bernard, il est permis de prendre son temps avant de répondre. La maison football abrite en effet quelques individus dont le comportement est assez difficilement compatible avec les valeurs supposées de ce sport: le collectif, l'unité, le respect, la tolérance, la probité... Les auteurs (un auteur-traducteur-documentariste, un journaliste, un chiropracteur et un professeur à la faculté des sciences du sport de Strasbourg qui signe la préface) dressent un panorama évidemment non exhaustif de joueurs et de responsables qui, dans leur vie privée, se sont retrouvés, à un moment donné de leur existence, complètement «hors-cadre». Et il y en a entre 1938 et 2016, période étudiée par ces trois mousquetaires de l'écriture qui «entraîne le lecteur dans les heures sombres du football» et présente une «sorte de négatif de l'histoire de ce sport».

Parmi les personnages «haut en couleurs» cités dans l'essai figure par exemple Jean-Pierre Bernès, aujourd'hui agent de joueurs professionnels et de cadres dirigeants (dont les très médiatiques Antoine Griezmann et Didier Deschamps). Cela ne poserait aucun problème s'il n'avait pas été radié à vie par la Fédération française de football en 1994 après l'affaire du match truqué OM-VA. Que dire de Luciano Moggi, de la Juventus de Turin, qui achetait les arbitres ou appelait directement le patron d'une chaîne de télévision afin d'empêcher la diffusion d'images pouvant être préjudiciables à son équipe?

Autre temps, autre contexte: l'une des «palmes» de l'ignominie revient sans doute à Alexandre Villaplana, dit Villaplane, ancien capitaine de l'équipe de France devenu petit escroc durant la Seconde Guerre mondiale avant de verser dans une collaboration plus qu'active avec l'occupant: «Villaplane se sent parfaitement à son aise dans l'atmosphère de marché noir florissant, de captation illicite de biens juifs.» L'homme rejoint ensuite la Gestapo française où il obtient le grade d'Untersturmführer. La Libération sonne son arrêt de mort. L'ancien natif d'Alger est passé par les armes au lendemain de Noël 1944.

Des collaborateurs, il y en eut aussi sous d'autres latitudes, plus récemment. En 1978, lors du mondial en Argentine, l'Albiceleste — surnom de l'équipe nationale — inflige une déculottée magistrale aux onze Péruviens qui occupent l'autre moitié du terrain. À l'époque, Buenos Aires vit sous la dictature de Jorge Rafael Videla qui, nous apprend ce livre, a une «amitié de longue date» avec «João Havelange, le président brésilien de la Fifa». Une défaite ayant été une atteinte à l'orgueil national, le match sera... truqué. En tout cas, c'est que laissent entendre les auteurs qui soulignent un fait étrange: «Durant les différents procès de la dictature, après 1983, il apparaît que 4 000 tonnes de blé (sur 23 000 pour l'année 1978 et 35 000 au total) ont été livrées sans contrepartie quelques jours après le match au gouvernement péruvien, sans doute avec des armes

Mais il y a aussi des personnages moraux dans ce sport. Retournons quelques instants en Argentine: «L'histoire retiendra aussi que la sélection hollandaise de 1978 a dignement refusé d'assister à la remise de la coupe par Videla. Que le 1er juin, les joueurs suédois, le gardien Ronnie Hellström en tête, ont été les seuls footballeurs à se rendre place de Mai face au palais gouvernemental pour rencontrer les mères de disparus qui manifestaient tous les jeudis pour réclamer le retour de leurs enfants ou parents victimes de la junte

Citons aussi Mathias Sindelar, joueur autrichien qui, alors que son pays a été annexé en 1938 par Hitler, mobilise ses coéquipiers lors du match contre l'Allemagne afin qu'ils ne transigent pas sur un point: jouer «les couleurs traditionnelles rouge-blanc-rouge malgré l'interdiction édictée. Pas de tenue, pas de match». Plus tard, il défie l'ordre noir en allant saluer Michl Schwartz, «ancien homme fort de l'Austria, réprouvé parce que Juif. Le nouveau président nous a interdit de vous saluer. Mais je vous saluerai toujours, monsieur, clame-t-il. Son cas s'aggrave.» Sindelar le paiera de sa vie: son corps inanimé sera retrouvé au début de l'année 1939 dans une morbide mise en scène.

Il y a aussi le Soviétique Eduard Streltsov, autre insoumis qui se taille une solide réputation d'excellent joueur au sein du Torpedo de Moscou, club rival du Dynamo («le club de la police»), du CDKA («ancêtre du CSKA, le club de l'Armée Rouge») et du fameux Spartak («le club des services de renseignement»). Seulement voilà: cet homme à la popularité croissante énerve les vieux fossiles communistes parce qu'il... refuse de serrer la main d'une compatriote dont «la mère est l'unique femme siégeant au sein du Politburo».

Contre-attaque immédiate des autorités: l'ancien footballeur est banni de la sélection nationale. Il doit faire son autocritique dans un journal. Inculpé de viol, il est envoyé au goulag. Libéré, celui qu'on surnomme «l'inventeur de la talonnade, autrefois appelée «passe à la Streltsov» reprend du service. Il meurt d'un cancer de la gorge alors que son pays, sous la houlette de Mikhaïl Gorbatchev, s'imagine un futur fait de glasnost et de perestroïka».

On pourrait égrener d'autres noms ici, résumer d'autre parcours. Les auteurs de Débordements le font bien mieux que l'auteur de ces lignes. Ils semblent intarissables que ce soit sur Rachid Mekhloufi, ancien de l'AS Saint-Etienne qui, en pleine guerre d'Algérie, fuit l'Hexagone pour aller participer à la formation d'une équipe du FLN ou sur cette sélection nord-coréenne accusée de trahison et envoyée dans un camp de travail par Kim Jong-hun après une défaite jugée humiliante pour le pays.

Et puis, il y a ces pages émouvantes consacrées à Tony Adams, joueur d'Arsenal, alcoolique au dernier degré, emprisonné pour conduite en état d'ivresse: «Je consacrais deux jours au football et cinq à l'alcool. Je buvais jusqu'à sept litres de bière par jour. Mes premières cuites, je les ai prises car j'avais peur de l'avion. À chaque déplacement, je me chargeais.» C'est grâce à son entraîneur Arsène Wenger que ce diable rouge remontera la pente.

N'en déplaise à ceux qui pensent le football est pourri jusqu'à la moelle, oui il existe encore de la solidarité, du collectif et de la morale dans ce sport. Mais cessons simplement de penser que les plus illustres joueurs sont forcément des symboles de probité. Lionel Messi, cinq fois ballon d'or, star parmi les stars et chouchou des médias, a été récemment condamné à vingt-et-un mois de prison pour fraude fiscale...


Olivier Villepreux, Samy Mouhoubi & Frédéric Bernard, Débordements. Sombres histoires de football 1938-2016, Anamosa, Préface de William Gasparini.

 

 
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Plaidoyer contre le sexisme dans la langue française

27 juin 2016

Un idiome peut être considéré comme un instrument de puissance, voire de domination. Pas seulement économique. Un livre questionne la trop grande place réservée en français au genre masculin. Des pistes existent pour faire valoir une plus grande égalité.

© Charlotte Julie / 2015

© Charlotte Julie / 2015

 

Un idiome peut être considéré comme un instrument de puissance, voire de domination. Pas seulement économique. Un livre questionne la trop grande place réservée en français au genre masculin. Des pistes existent pour faire valoir une plus grande égalité.

 

William Irigoyen
27 juin 2016

Vendredi 24 mai 2016, le résultat est sans appel: les Britanniques approuvent par référendum la sortie de l'Union Européenne. Le même jour, l'auteur de ces lignes reçoit un mail, pardon un message électronique, dont voici les premières lignes: «Continuer à promouvoir le tout-anglais en Europe serait encore plus absurde, aliénant et indigne.» Parmi les signataires rappelant que «la langue de l'Europe, c'est la traduction» — propos signés Umberto Eco — il y a entre autre Georges Gastaud, philosophe et président de COURRIEL, le Collectif unitaire républicain pour la résistance, l’initiative et l'émancipation linguistique.

Le texte du communiqué est intéressant car il pose la question du «pouvoir» d'une langue. Car la langue a un poids: économique, donc culturel, qui peut conduire à une forme de domination. Le chinois est fort de son milliard de locuteurs. L'espagnol et l'anglais le sont tout autant. À ceci près que, par rapport au mandarin, la langue de Cervantès et celle de Shakespeare sont beaucoup plus largement diffusées sur la planète. Un idiome permet donc aussi — ne le résumons surtout pas à cela — d'évaluer l'influence d'un pays, voire de plusieurs pays partageant le même «outil de communication» (Commonwealth, Francophonie). Mais attention: rien n'est figé. Les siècles passent et le palmarès peut évoluer.

Il fut un temps où, par exemple, la langue de Molière était bien davantage utilisée en Europe que maintenant. À en croire le site Euractiv, le français a connu un déclin sur le Vieux-Continent, mais il a progressé au niveau mondial. Peut-être pourrait-il davantage séduire s'il était simplifié? Quand on voit les polémiques parfois stériles que fait naître dans l'Hexagone cette envie de réformer l'orthographe et la grammaire, il faut être prudent. Malheureusement. Dans un livre passionnant, Davy Borde, «épicier, décroissant, (pro)féministe» qui n'est «ni linguiste, ni académicien» propose de rééquilibrer les liens entre les genres masculin et féminin.

«Ainsi, si l'on aborde cette question sous un (certain) angle féministe, ce qui est l'objet de ce texte, on peut dire que notre langue est triplement problématique et ce pour une seule raison: elle est genrée. C'est-à-dire qu'elle est imprégné d'une vision dichotomique, naturalisée et hiérarchisée du monde vivant et plus particulièrement du genre (!) humain», écrit l'auteur qui s'inquiète de voir qu'avec le temps le masculin l'emporte toujours sur le féminin. Non, cela ne date pas d'hier, comme le rappelle Davy Borde: «En 1647, le grammairien Claude Favre de Vaugelas écrit: […] Le genre masculin étant le plus noble doit prédominer chaque fois que le masculin et le féminin se trouvent ensemble.»

C'est le fameux Louis-Nicolas Bescherelle qui «portera le coup de grâce en écrivant dans sa grammaire nationale de 1835-1836: La masculinité annonce toujours une idée grande et noble, ainsi que Le masculin est plus noble que le féminin.» Faut-il considérer que le débat est clos et que l'on doit accepter cet état de fait? Oui, si l'on veut laisser le soin à l'Académie française de décréter ce qui doit et ne doit pas se faire en matière de langue. Non, si l'on considère que la langue française doit être plus égalitaire et doit donc faire preuve de plus de souplesse, voire d'inventivité.

D'autant que, comme le rappelle très justement Davy Borde: «Alors qu'en grec ancien et en latin (langues aïeules du français), on avait trois noms différents pour désigner soit un être humain indépendamment de son sexe, soit un être humain (classé dans la catégorie mâle), soit un être humain (classé dans la catégorie femelle), il s'avère qu'en français nous n'avons (plus) que deux noms pour désigner ces trois catégories: le mot femme et le mot homme.» Afin de faire coïncider la langue avec la vision du monde que l'on défend, l'auteur de ce très revigorant essai propose, avec d'autres, de faire évoluer le «carcan» linguistique français. Et de proposer quelques pistes de réflexion.

Parmi elles citons le rétablissement du retour à la règle de la proximité (Jean Racine écrivait par exemple dans Athalie: «Surtout j'ai cru devoir aux larmes, aux prières, consacrer ces trois jours et ces trois nuits entières»); le bannissement des mots et expressions consacrées genré·es (sage-femmes, patrie...); l'instauration de néologismes («iels sont venu·e·s»); d'un troisième genre («le genre grammatical binaire n'est pas problématique pour les intersexes uniquement»); ou encore une véritable féminisation des métiers.

La Suisse est en avance dans ce combat puisque, comme l'indique Davy Borde, c'est en 1972 que «le Conseil fédéral suisse publie un arrêté énumérant les titres des fonctionnaires fédéral·es avec leurs formes féminines». En 1999, un Nouveau dictionnaire féminin-masculin des professions, titres et fonctions paraît dans la Confédération. Le Québec est également en avance sur ce dossier. Et la France? «Il faudra en revanche attendre 1984 pour que soit mise en place (par Yvette Roudy, alors ministre des Droits de la femme) une commission sur la féminisation des noms de métiers qui accouchera d'une circulaire... jamais appliquée.» L'auteur a bien raison de conclure que «la langue est le reflet d'une société. Si les mentalités changent, le langage suit».

Mais qu'attend donc l'Hexagone pour terrasser les conservatismes... de tout poil?

 

 
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Éclosion littéraire à Malagar, ou contre l’infantilisation de notre société

13 juin 2016

Le premier livre de Claude Froidmont, pseudonyme «d'un professeur de Lettres de Gironde», raconte son séjour à Malagar, résidence girondine de la famille Mauriaca. Une «aventure» qui mérite d'être lue et ce, pour plusieurs raisons: elle parle d'amour de la littérature, des bienfaits qu'elle procure à quiconque s'y plonge corps et âme.

© Charlotte Julie / 2015

© Charlotte Julie / 2015

 

Le premier livre de Claude Froidmont, pseudonyme «d'un professeur de Lettres de Gironde», raconte son séjour à Malagar, résidence girondine de la famille Mauriac. Une «aventure» qui mérite d'être lue et ce, pour plusieurs raisons: elle parle d'amour de la littérature, des bienfaits qu'elle procure à quiconque s'y plonge corps et âme.

 

William Irigoyen
13 juin 2016

Dans Le Sagouin, François Mauriac raconte la vie du petit Guillaume de Cernès («Guillou»), fruit d'une union entre deux êtres que pourtant tout oppose. Le père, de noble ascendance, n'envisage rien d'autre pour son fils qu'une vie à l'écart du monde, dans l'entre-soi d'un clan gâté par la vie. La mère, elle, est d'un avis contraire. Elle veut à tout prix extraire son petit de cet enfermement mental que constitue la demeure familiale. L'auteur français écrit à propos de ce personnage: «Elle n'ignore plus aujourd'hui que ce qu'on appelle un milieu fermé, l'est à la lettre: y pénétrer semblait difficile, presque impossible; mais en sortir!»

Cet extrait pourrait tout à fait servir de «ticket d'entrée» à l'ouvrage de Claude Froidmont, pseudonyme «d'un professeur de Lettres de Gironde», auteur de «plusieurs articles sur François Mauriac. Il publie là son premier livre. Un peu, si pas beaucoup, autobiographique.» Son récit raconte comment lui, le fils de «prolo» originaire de Liège en Belgique, fait des études de Lettres, s'intéresse à l'auteur du Nœud de vipères dans la demeure duquel il va finir par vivre, expérience qui changera le cours de sa vie puisqu'elle coïncide avec ses propres débuts d'écrivain.

On comprend vite que l'auteur du récit n'aurait jamais imaginé séjourner à Malagar, résidence girondine de la famille Mauriac, clan réputé difficile d'accès, et encore moins qu'il en deviendrait, un temps, le guide. Cette «aventure» mérite d'être lue et ce, pour plusieurs raisons: elle parle d'amour de la littérature, des bienfaits qu'elle procure à quiconque s'y plonge corps et âme; elle rappelle l'importance des «passeurs» d'écrits; elle montre le bouleversement que provoque une vie passée au milieu des livres.

Pour continuer d'exister la littérature a besoin, entre autre, d'«ambassadeurs», de gourmands de la chose écrite. Dans la vie de Froidmont, ils sont au moins trois. Au départ, il y a un serviteur de ce système éducatif qu'il est pourtant de bon ton aujourd'hui de vouer aux gémonies: «Jusqu'aux deux dernières années de l'athénée — le lycée de là-bas —, la littérature ne me fut à peu près rien et il me fallut, classiquement, rencontrer un professeur d'exception portant, étonnamment, le même nom que celui incarné par Noiret dans Uranus, pour qu'elle changeât ma vie.»

Plus tard vient Henri Guillemin qui ouvre au jeune Belge les portes de l'univers mauriacien. Il est peu de dire que ce critique littéraire français a un rapport physique avec les auteurs: «Je l'ai vu pleurer, plus de deux cents ans après sa mort, des misères qu'on avait fait subir à Rousseau et se déchaîner, littéralement, contre Maulnier ou Maurras, quand ceux-ci étaient en passe d'être oubliés de tous. Il n'aimait pas Montherlant — aimer, quel drôle de motpour un romaniste —, mais citait, admiratif, un vers de la Reine morte pour sa beauté, tirait son chapeau à Voltaire pour l'affaire Calas et plaçait le Bloc-notes de Mauriac au firmament de son œuvre.»

On savourera aussi dans le livre ces mots sur le journaliste et homme politique français Marc Sangnier, autre passeur littéraire: «Il ne connaissait pas Jaurès ou Zola, Robespierre ou Rousseau, Pascal, Péguy et Lamartine, Bernanos et Simenon, Chateaubriand et Hugo... il les aimait, nuance de taille.» Claude Froidemont a raison de parler d'amour. Les textes et les œuvres s'offrent à tous les cœurs réceptifs. Ils enflamment les lecteurs, les embrasent. À condition que ces derniers acceptent de se départir d'une certaine forme de timidité et entrer comme un seul homme dans ce que, souvent inconsciemment, ils pensent avoir été écrit spécialement pour eux.

Il est plus difficile en revanche d'entrer chez les écrivains. L'effraction n'est pas la bonne solution. Surtout pas à Malagar. Le lieu est chargé d'histoire, il convient d'être à la hauteur de ces murs qui accueillent l'étranger. Claude Froidmont en est un. Qui ne le serait pas d'ailleurs? Il l'accepte mais finit par devenir, surtout aux yeux des touristes venus visiter la propriété des Mauriac, le gardien du temple. Un autochtone en somme qui, dans le même temps éclot, littérairement: «C'est en écrivant qu'on devient, et pas l'inverse.» Plus loin: «Écrire, c'est quitter le monde. Écrire, ce n'est plus que vivre pour les mots

Claude Froidmont ne reste pourtant pas prisonnier de Malagar. Il parvient à en sortir, mais métamorphosé: «Il me fallut accepter qui j'étais: un fou de livres et d'idées, un homme de gauche ne se retrouvant plus dans personne, un passionné d'espérance, un solitaire épris de fraternité.» Voilà donc posé tout l'enjeu de la littérature créer chez le lecteur une émotion et changer sa vision monde. Autrement dit, le faire grandir. On ne saurait offrir meilleur remède à quiconque souhaite lutter par des moyens pacifiques contre l'entreprise d'infantilisation actuellement en cours dans notre société.

 
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«Le marteau sur les églises, le feu à toutes les soutanes!»

6 juin 2016

Anthologie de la subversion, les Écrits libertaires de Joseph Déjacque (1821-1865) passent à la moulinette ces institutions qui assèchent la soif de liberté et cadenassent les esprits.

 

Anthologie de la subversion, les Écrits libertaires de Joseph Déjacque (1821-1865) passent à la moulinette ces institutions qui assèchent la soif de liberté et cadenassent les esprits.

 

William Irigoyen
6 Juin 2016

Il y a quelques années, à la présentation du journal télévisé d'Arte, j'avais utilisé l'adjectif « anarchique » à propos de la situation chaotique en Irak. Quelques jours plus tard, un téléspectateur me faisait parvenir une lettre de trois pages expliquant, avec force détails et références historiques, que l'absence totale d'ordre n'était pas, mais alors pas du tout un mantra de la pensée libertaire. Piqué au vif, je me promis alors d'accorder davantage d'intérêt à cette pensée politique. D'où ce choix récent de lire Joseph Déjacque (1821-1865).

Ses écrits libertaires sont parus voici quelques semaines. Présentés par Thomas Boudet, enseignant-chercheur en histoire à l'université de Bourgogne, ils montrent l'évolution politique de cet homme arrêté en 1848, « condamné à la déportation et transféré à Cherbourg, au fort du Homet, sur les pontons » et qui, après sa libération, s'exile d'abord à Londres, puis à Jersey (où il se déclare anarchiste) et enfin aux États-Unis. Ce qui frappe dans les pages de ce livre c'est la haine continue de ce que l'auteur nomme « la fécale oligarchie », « les sbires du trône et scribes de l'autel », ou encore, de façon générale, « ces petits potentats ». Tout aussi remarquable est cette soif inextinguible de liberté.

Déjacque dit sa volonté d'unir la cause des prolétaires et celle des femmes, vomit toutes les formes d'exploiteurs, crie son amour de l'égalité. La République « de l'avenir » (et non « celle d'hier » comme il l'écrit) sera, dans son esprit, totalement démocratique et sociale. La loi sera humaine, le peuple sans entrave. L'auteur va jusqu'à rédiger les articles d'une « législation directe » quand le peuple enfin sera souverain. Exemple : « Article 9 : Des Fonctions publiques. — La nomination aux fonctions publiques se fait à l'élection populaire. Le fonctionnaire est toujours et à chaque instant révocable et responsable. » La police ? Elle sera celle du peuple : « Tout le peuple armé, pas d'armée en dehors du peuple, pas même pour le génie, pas même pour la marine. » L'école ? « L'instituteur crée pour l'élève et non plus l'élève crée pour l'instituteur. »

Qu'on lui parle de religion, et Joseph Déjacque s'emporte : « Le clergé, peut-on dire, est l'empoisonneur de la conscience humaine. C'est lui qui, sous forme de prédications, nous verse par doses journalières la nicotine du renoncement aux jouissances de ce monde, aux droits de l'homme et du citoyen. C'est l'auxiliaire le plus à redouter du despotisme, ou plutôt c'est le despotisme lui-même. Les rois et les empereurs n'ont que le manteau de la puissance souveraine. Lui, il en a le sceptre. » Et le penseur de l'absolue liberté d'inciter ses semblables à aller « à la hache dans les confessionnaux ! Le marteau sur les églises ! Le feu à toutes les soutanes ! »

La famille non plus ne trouve grâce à ses yeux. Normal, il faut s'é-man-ci-per. Et le communisme qu'en pense-t-il ? La défiance est la même (« supposant que le communisme fût le partage, ce qui n'est pas vrai puisque c'est tout le contraire »). Les autres anarchistes échapperaient-il à sa vindicte ? Pas tous. Il s'en prend violemment à l'une de ses illustres figures, Pierre-Joseph Proudhon, cet « anarchiste juste-milieu, libéral et non libertaire » (premier emploi connu de ce terme dans la langue française est-il précisé au lecteur). Mais alors, rétorquera-t-on, à force de tout dénigrer, de tout vouloir détruire, Déjacque ne fabrique-t-il pas lui-même son propre isolement ? Si. Et d'ailleurs, Le Libertaire, nom du journal qu'il fonde pour diffuser ses idées n'aura qu'un tirage confidentiel.

Certains verront dans cet homme un simple hurluberlu qui, avec son Humanisphère ou Utopie anarchique comme il qualifiait lui-même un de ses textes ne faisait rien d'autre que de « distraire la galerie ». Je préfère retenir l'énergie immense de Joseph Dejacque qui, à l'évidence, ne transigeait sur rien, glorifiait l'insoumission, la liberté (on ne le fait jamais assez) et, surtout, enrageait de voir que « le développement des idées était toujours en retard sur le développement des appétits ». Je n'ose imaginer ce que dirait l'ancien colleur de papier libertai


Joseph Déjacque, À bas les chefs – Écrits libertaires (1847-1863), La fabrique Éditions.

 
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«En Argentine, le féminicide est devenu un fait de société»

3 décembre 2015

Dans son dernier livre, l’écrivaine argentine Selva Almada revient sur un triple meurtre de femmes commis dans les années 1980. Son récit en dit long sur la façon dont le sexe dit faible est, aujourd’hui encore, victime d’un machisme d’une violence inouïe.

© Charlotte Julie / Archives

© Charlotte Julie / Archives

 

Dans son dernier livre, l’écrivaine argentine Selva Almada revient sur un triple meurtre de femmes commis dans les années 1980. Son récit en dit long sur la façon dont le sexe dit faible est, aujourd’hui encore, victime d’un machisme d’une violence inouïe.

 

William Irigoyen
3 décembre 2015

Le 10 décembre, Mauricio Macri succèdera officiellement à Cristina Kirchner à la présidence de l’Argentine. L’exercice du pouvoir s’annonce déjà périlleux car l’ancien régime péroniste tient encore le Parlement. En tout cas, ils sont nombreux, dans le pays, à attendre une rupture avec la politique menée sous «l’ancien régime». La sécurité des femmes fait-elle partie des dossiers prioritaires? Il est encore trop tôt pour le dire.

En tout cas, ce thème est, hélas, toujours d’actualité. Il suffit pour s’en convaincre d’observer l’immense mobilisation du 3 juin dernier dans les rues de Buenos Aires. Ce jour-là, des dizaines de milliers de citoyens sont descendus dans la rue pour dire basta — assezaprès la découverte d’un double féminicide. Encore un, devrait-on préciser.

Toutes les 31 heures, une femme est tuée dans le pays; 1808 meurtres ont été enregistrés depuis 2007 selon Casa del Encuentro, unique ONG à tenir un décompte très précis des victimes puisque, curieusement, il n’existe pas de statistique officielle concernant ces meurtres. Est-ce à dire que les autorités ne voient pas ou ne veulent pas voir? D’abord fait divers, le féminicide serait-il devenu aujourd’hui un fait de société?

«Oui même si la distinction que vous faites en français entre ces deux termes — «fait divers» et «fait de société» — n’existe pas en espagnol», lance l’écrivaine Selva Almada qui était récemment en déplacement à Paris pour faire la promotion de son dernier livre, Les jeunes mortes1, une enquête devenue récit. La jeune femme confesse avoir été frappée par un triple meurtre survenu dans les années 1980 lorsqu’elle était encore adolescente. À l’époque, les victimes se prénommaient alors Andrea, María Luisa et Sarita à qui l’ouvrage est d’ailleurs dédié.

Selva Almada vue par ©Daniel Mordzinski

Disons-le d’emblée: il ne s’agit pas d’une enquête journalistique. Certes, Selva Almada dit avoir beaucoup lu les comptes rendus de la presse de l’époque, mais elle ne prétend nullement vouloir éclairer l’enquête d’un jour nouveau. Non, c’est plutôt ce que révèle ce triple féminicide qui l’interpelle: «J’ai vite compris que je cherchais moins à raconter un enchaînement de faits qu’à proposer un panorama général de l’Argentine.»

Un panorama général du machisme quotidien, pourrait-on ajouter, qui se dessine page après page. Et l’auteure d’évoquer quelques exemples en guise de preuve: une collègue de sa propre mère «qui, chaque mois, remettait à son mari l’intégralité de son salaire pour qu’il gère son argent. Celle qui ne pouvait pas voir sa famille car son mari considérait que c’étaient des moins que rien. Celle qui n’avait pas le droit d’utiliser des chaussures à talons car c’était bon pour les putains».

Les exemples affluent ici. Mais ce qui frappe aussi dans ce livre ce sont tous ces personnages qui «gravitent» autour de ces féminicides, comme Yogui Quevedo, frère d’une victime, qui devient consultant pour la télévision dès qu’un nouveau meurtre fait la «Une» de l’actualité. Entre les assassins et ceux qui «profitent» du système médiatique ils sont nombreux à considérer la femme comme quantité négligeable.

«Ces dernières années s’est développée l’idée que cette dernière n’était qu’un simple produit jetable», assure Selva Almada. Mais l’auteure refuse l’idée selon laquelle elle aurait voulu signer un livre politique sur la société de consommation. «Non. Ce rapport qu’entretient la société avec les femmes ne date pas d’aujourd’hui. Vous observerez par exemple que le droit de cuissage est très actif au XVIIIe siècle autrement dit bien avant l’émergence d’une telle société», précise-t-elle.

Et bien soit, prenons donc le livre de cette jeune auteure argentine pour ce qu’il est: une enquête parsemée d’éléments autobiographiques. Un livre qui commence ainsi: «La nouvelle de la jeune morte a été pour moi comme une révélation. Ma maison, la maison de n’importe quel adolescent, n’était pas l’endroit le plus sûr au monde. Chez toi, on pouvait te tuer. L’horreur pouvait vivre sous ton toit.» Et s’achève par ces mots: «Je suis toujours vivante. Ce n’est qu’une question de chance.»

Comme la juxtaposition ces deux phrases sonne terriblement juste à la lumière d’une actualité tragique récente.


1 Selva Almada, Les jeunes mortes, Métaillé, traduit de l’espagnol (Argentine) par Laura Alcoba.

 
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Alberto Manguel, une curiosité dantesque

7 novembre 2015

L’écrivain argentin publie «De la curiosité», un ouvrage où l’on croise Socrate, Alcidamas, Zénon d’Elée, Maïmonide, Nicole Brossard, Olympe de Gouges, Derek Walcott, Ismaïl Kadaré, Robert Oppenheimer et tant d’autres.

© Charlotte Julie / 2015

© Charlotte Julie / 2015

 

L’écrivain argentin publie De la curiosité, un ouvrage où l’on croise Socrate, Alcidamas, Zénon d’Elée, Maïmonide, Nicole Brossard, Olympe de Gouges, Derek Walcott, Ismaïl Kadaré, Robert Oppenheimer et tant d’autres.

 

William Irigoyen

7 novembre 2015

Premier conseil: ne jamais rappeler à Alberto Manguel que «la curiosité est un vilain défaut». Livre après livre, l’écrivain né en Argentine, écrivant en anglais et maîtrisant parfaitement le français, apporte un démenti formel à ce dicton hexagonal d’une stupidité sans nom. Son dernier essai, De la curiosité 1, en apporte la preuve la plus manifeste et, oserait-on dire, la plus vaste si tant est qu’en littérature on puisse délimiter un horizon. Certes, l’auteur ouvre à nouveau son cabinet de curiosités littéraires, prélude à une glose de près de quatre cents pages, mais il le fait cette fois sous le haut «patronage» de l’illustre Dante Alighieri.

Plus de sept cents ans après sa composition, la Divine Comédie serait-elle aux yeux d’Alberto Manguel le Livre des Livres? «La Divine Comédie toute entière peut être lue comme le cheminement de la curiosité d’un homme.» Mais ce n’est pas, loin s’en faut, la seule raison: «Je suis venu tard à la Divine Comédie, quand j’atteignais la soixantaine, et dès ma première lecture, elle est devenue pour moi ce livre totalement personnel et pourtant infini», écrit-il. La relation intime à l’écrit, la prise de conscience que la littérature n’a aucune limite: voilà donc la double force de la lecture, une «activité» à laquelle Alberto Manguel a incontestablement apporté ses lettres de noblesse.

Si l’écrivain argentin de nationalité et universel par son savoir est, comme il l’affirme au début de son livre «curieux de la curiosité», c’est parce qu’il pose des questions. Parce que l’interrogation est le moteur même de sa glose littéraire, que ses commentaires, ses remarques, ses doutes aussi — ne négligeons jamais leur importance — apportent de l’épaisseur aux œuvres. Et Alberto Manguel de souligner l’importance du «pourquoi» — suivi d’un point d’interrogation qui apparaît au XVIe siècle —, ce «warum?» allemand que, dans les camps de concentration, il était interdit de prononcer, comme l’attestent les écrits de Primo Levi.

 

«LA CURIOSITÉ EST UN MOYEN DE DÉCLARER NOTRE APPARTENANCE À LA FAMILLE HUMAINE»

Alberto Manguel

 

«Comme le sait tout questionneur, les affirmations ont tendance à isoler; les questions, à relier. La curiosité est un moyen de déclarer notre appartenance à la famille humaine », rappelle Alberto Manguel, personnification d’un savoir toujours aussi généreux. Un bon lecteur souligne, propose non pas une interprétation de ce qui le surprend, le déroute mais une matière à réflexion. Il densifie ce qu’il lit, il l’aère, il lui donne du corps. Et une fois ce travail réalisé, il transmet le témoin à son frère lecteur. Ce dernier a tout loisir de s’en emparer ou non, de faire sien ses commentaires ou, encore mieux, ses questions. Celles-ci finiront bien, tôt ou tard, par éclore grâce à d’autres lecteurs. Et voilà comment se crée une société d’honnêtes hommes.

Ne nous étonnons pas de voir que l’époque actuelle est truffée de certitudes: la lecture se raréfie dans le monde global. On ne compte plus les opérations de sensibilisation, les colloques, les séminaires et autres réunions publiques consacrés à cette désaffection littéraire. Pourquoi? Et bien parce «pourquoi», justement, n’est plus la question primordiale. Au lieu de cela, comme le souligne l’auteur «on nous apprend à demander “Combien ça va coûter?” et “Combien de temps ça va prendre?». Le temps et le plaisir ont cédé le pas à l’urgence et à la rentabilité. Le capitalisme est passé par là. Le temps, c’est de l’argent. Réfléchir, c’est appuyer sur la touche «pause», c’est donc mettre un grain de sable dans l’univers productif. S’étonner des difficultés à faire lire les nouvelles générations c’est passer ce constat sous silence.

À ce propos, je me souviens avoir entendu Alberto Manguel — à qui je rendais une énième visite — dire un jour que la seule façon d’amener des enfants à le lecture était de leur faire une promesse: «Dans ma bibliothèque, il y a au moins une page qui a été écrite pour vous. Je ne sais pas où, dans quel livre. C’est à vous de la trouver.» Les enfants repartaient intrigués et curieux après avoir visité la fameuse bibliothèque du maître, espace babélien par excellence qui reste peut-être aujourd’hui la meilleure carte d’identité de l’écrivain.

© William Irigoyen / 2015

© William Irigoyen / 2015

L’on pourrait ajouter à cette remarque une autre, extraite du dernier livre d’Alberto Manguel: «L’une des expériences communes à la plupart des vies de lecteurs est la découverte, tôt ou tard, d’un livre qui mieux que tout autre favorise l’exploration de soi-même et du monde, qui paraît inépuisable en même temps qu’il concentre l’intelligence d’une manière intime et singulière sur les détails les plus minuscules.» Autrement dit: en lisant, je pars à la découverte de moi-même et m’inscris dans l’histoire du monde en tissant un lien avec des textes anciens que, pour tout ou partie, je fais miens.

«La curiosité nous aide à grandir», écrit Alberto Manguel. Donc, la lecture est un bouleversement puisqu’elle nous modifie. En grandissant, nous nous ouvrons, nous étendons notre champ de vision. Ainsi, nous armons-nous pour combattre ceux qui veulent nous empêcher, nous restreindre, nous assigner une place immuable. La lecture est donc aussi un acte politique qui, parfois, peut – et c’est à cette aune que l’on prend conscience de «la conjuration des imbéciles» — nous isoler: depuis la cour de récréation jusqu’à nos sociétés médiatiques où tout ce qui ressemble de près ou de loin à un «intello» est ostracisé.

La lecture est donc un processus lent mais délicieux et infini alors que l’écriture se déploie, par définition, dans un espace limité. Combien de fois n’avons-nous pas entendu un écrivain dire qu’il n’avait pas pu tout dire dans son dernier livre? Le lecteur, lui, n’a pas besoin de cette place. Il ajoute des pages à son propre livre mental, qu’il sait par définition sans limite. «Dans le passage de la pensée à l’expression, beaucoup — énormément — se perd. Il n’y a guère d’exception à cette règle. Écrire un livre, c’est se résigner à l’échec, si honorable que puisse être cet échec», écrit Alberto Manguel.

Puisqu’il est question de place, disons-le franchement. La difficulté avec De la curiosité est de pouvoir l’attraper, en saisir ne serait-ce qu’une infime partie, l’aborder selon ce que, nous autres journalistes, appelons un angle. «De la difficulté d’entrer dans un livre-monde» pourrait constituer le sous-titre un brin drolatique de cette œuvre. Une œuvre, oui, où l’on croisera Socrate, Alcidamas, Zénon d’Elée, Maïmonide, Nicole Brossard, Olympe de Gouges, Derek Walcott, Ismaïl Kadaré, Robert Oppenheimer et tant d’autres. Soyez rassurés, vous qui lisez ces quelques lignes: si certains de ces noms vous sont étrangers, abandonnez-vous à l’ivresse de la découverte et acceptez vos propres limites comme le font tous les bons lecteurs. Contrairement à l’adage soi-disant populaire, la curiosité est un sain défaut.

Avec Alberto Manguel, «la littérature n’est pas “la réponse que nous donne le monde” mais plutôt un trésor de questions plus nombreuses et meilleures». Prenons acte que, tout en grandissant, nous serons toujours plus petit que l’immensité littéraire, que sa vastitude. Cela nous rendra humble. Et faisons nôtres ces propos de l’écrivain argentin: «Je souhaite qu’à ma mort quelqu’un (…) prévienne mes livres que je ne reviendrai plus.»


1 De la curiosité, Actes Sud/Leméac,
essai traduit de l’anglais (Canada) par Christine Le Bœuf

 
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Hakan Günday dédie son prix Médicis à une autre Turquie

5 novembre 2015

Le 4 novembre ont été décernés le Goncourt et le Renaudot. Le lendemain, 5 novembre, ce sont les jurés du prix Médicis qui ont rendu leur verdict. Dans la catégorie «étranger», c’est l’écrivain turc Hakan Günday qui a raflé la mise pour son dernier roman, Encore, traduit par Jean Descat et édité chez Galaade.
 

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Le 4 novembre ont été décernés le Goncourt et le Renaudot. Le lendemain, 5 novembre, ce sont les jurés du prix Médicis qui ont rendu leur verdict. Dans la catégorie «étranger», c’est l’écrivain turc Hakan Günday qui a raflé la mise pour son dernier roman, Encore, traduit par Jean Descat et édité chez Galaade.

 

William Irigoyen
5 novembre 2015

Le roman de Hakan Gündayraconte l’histoire de Gazâ, fils d’un passeur de migrants qui, à son tour, va très vite reprendre le flambeau paternel avant de s’engager dans de sinueux et complexes chemins de traverse. Un sujet d’actualité qui pose une question philosophique: quelle est notre marge de liberté individuelle dans un monde désormais gouverné par la seule notion d’intérêt?

En choisissant Hakan Günday, les jurés ont récompensé un auteur audacieux qui, livre après livre, construit un univers littéraire singulier doté d’un vrai souffle épique. Ils ont aussi adressé un magnifique compliment à Galaade, maison dirigée par Emmanuelle Collas dont les choix éditoriaux méritent d’être franchement salués.

Peu de temps après l’annonce officielle, votre serviteur a pu s’entretenir avec l’auteur. Nous avions pris date pour un long entretien à retrouver dans le prochain numéro de La Cité (édition de décembre). Nous nous sommes retrouvés dans un hôtel parisien pour une conversation de trois quarts d’heure.

Les premières réponses d’Hakan Günday sont brèves. Elles en disent tout de même assez long sur son rapport au pouvoir, celui de l’AKP, le parti du président Reccep Tayyip Erdogan, auquel, contre toute attente, les élections de dimanche dernier ont donné une majorité absolue.

 

Hakan Günday dédie son prix à l’autre Turquie, celle qui n’a pas voté pour Erdogan

 
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Plus de femmes en politique, plus de femmes au travail?

30 octobre 2015

Trois questions à Roland Pfefferkorn, professeur de sociologie à l’université de Strasbourg et spécialiste incontesté des questions de genres et rapports sociaux de sexe. Interview audio.

 

Trois questions à Roland Pfefferkorn, professeur de sociologie à l’université de Strasbourg et spécialiste incontesté des questions de genres et rapports sociaux de sexe. Interview audio.

 

William Irigoyen
30 octobre 2015

Née il y a 52 ans à Oświęcim, ville plus connue sous son nom allemand d’Auschwitz, Beata Szydlo va devenir, selon toute vraisemblance, la prochaine cheffe du gouvernement polonais. La vice-présidente du parti Droit et Justice (PiS) a confirmé, mardi 27 octobre, qu’elle était candidate à ce poste. Il y a encore quelques années, une telle annonce aurait apporté son lot de commentaires en tout genre, y compris, malheureusement, les plus machistes.

Reconnaissons qu’aujourd’hui, pareille nouvelle semble presque banale. Est-ce à dire que les temps ont changé, que la parité règne enfin dans le monde politique? Assurément non. Mais il est désormais loin le temps où Margaret Thatcher se retrouvait bien seule au milieu d’une meute de confrères masculins lors de réunions internationales. Les années ont passé et sont arrivées sur la scène politique l’Allemande Angela Merkel, l’Argentine Cristina Kirchner, la Chilienne Michelle Bachelet, la Brésilienne Dilma Roussef, l’Islandaise Jóhanna Sigurðardóttir, la Danoise Helle Thorning-Schmidt... pour ne citer qu’elles.

LA POLITIQUE SE FÉMINISE, MAIS DOUCEMENT

Attention toutefois aux images en trompe-l’œil comme le souligne le sociologue français Roland Pfefferkorn¹: sous nos latitudes européennes la politique se féminise donc mais doucement (son interview audio ci-dessous). Il y a encore beaucoup d’efforts à faire pour faire changer les mentalités. La France est un «bon» exemple en la matière. Elle a attendu 1945 avant de donner le droit de vote aux femmes. Les Françaises peuvent se prononcer pour tel ou tel choisir un bulletin en fonction de leurs convictions mais l’Assemblée nationale n’est pas devenue pour autant un bastion féminin.

 
 

En consacrant il y a quelques mois un livre² aux hommes, maris, partenaires ou conjoints de femmes politiques hexagonales célèbres (et non l’inverse), Bérengère Bonte, journaliste à Europe 1 prend acte d’un changement notable dans son pays. Pour paraphraser John Fitzgerald Kennedy, Louis Alliot serait donc moins connu comme numéro deux du Front National que comme «l’homme qui accompagne» Marine Le Pen dans sa vie personnelle et politique. Jean-Louis Brochen en serait presque réduit à être l’ombre masculine de Martine Aubry, maire de Lille. Quant à Jean-Pierre Philippe il serait devenu, peut-être à son corps défendant, «Monsieur» Nathalie Kosciusko-Morizet.

Notre consœur a tenté de comprendre comment ces hommes vivaient un anonymat relatif quand leurs célèbres moitiés attiraient à elles seules toute les lumières de la notoriété. En résulte une enquête assez savoureuse, truffée d’anecdotes dont il s’agira, à l’avenir, de vérifier qu’elle souligne un changement de société. Convenons qu’il est grand temps que cette dernière évolue. Comme le rappelle en effet une eurodéputée citée dans le livre: «Une femme doit toujours prouver à quel point elle travaille pour l’intérêt général.» Et d’ajouter: «Nous les femmes, on a toujours l’impression qu’on est redevable d’avoir ce mandat, qu’on doit rendre des comptes.»

L’auteure montre que la langue doit porter ce changement. Ainsi serait-il grand temps d’enterrer une bonne fois pour toute l’expression de «prince consort». Jusqu’à présent, l’autorité était transmise par les hommes (un héritage de la royauté). Il nous faut désormais trouver un équivalent féminin. Et Bérengère Bonte de suggérer le mot de «parèdre», «du grec ancien parédros, qui signifie littéralement 'assis à côté de'». Pour aller plus loin sur la question des femmes au travail, j’ai voulu rencontrer Roland Pfefferkorn, professeur de sociologie à l’université de Strasbourg et spécialiste incontesté des questions de genres et rapports sociaux de sexe. Voici son interview audio en trois temps.

1.  Auteur de Genre et rapports sociaux de sexe, Lausanne, Éditions Page Deux, Collection Empreinte, 2012. Pour plus d’informations: http://sspsd.u-strasbg.fr/Pfefferkorn.html

2. Bérengère Bonte, Hommes de..., Éditions du Moment.

 

 
Le sociologue français Roland Pfefferkorn © DR

Le sociologue français Roland Pfefferkorn © DR

Question N°1 : Une féminisation grandissante de la classe politique française conduit-elle à une féminisation du marché du travail dans son ensemble?

Question N°2 : Dans vos livres, vous écrivez que certains États pratiquent une politique «féministe» et d’autres une politique «familialiste». De quoi s’agit-il?

Question N°3 : Voués aux gémonies par certains, les théoriciens du genre n’ont-ils pas eu au moins un mérite: faire avancer la question du sexe au travail?

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Troisième Voie: en finir avec ce slogan en trompe-l’œil

4 octobre 2015

Le 3 octobre, l’Allemagne a fêté le vingt-cinquième anniversaire de sa réunification. Ceux qui ont vécu l’événement de près ou de loin se souviennent sans doute davantage de la nuit du 9 au 10 novembre 1989 quand le Mur de Berlin est tombé. Comment oublier ces instants de liesse collective, ces toasts portés à un avenir plus radieux et surtout plus respectueux des libertés fondamentales? L’heure était alors à l’euphorie collective.

Albena Dimitrova © DR

Albena Dimitrova © DR

 

 

William Irigoyen
4 octobre 2015

Le 3 octobre, l’Allemagne a fêté le vingt-cinquième anniversaire de sa réunification. Ceux qui ont vécu l’événement de près ou de loin se souviennent sans doute davantage de la nuit du 9 au 10 novembre 1989 quand le Mur de Berlin est tombé. Comment oublier ces instants de liesse, ces toasts portés à un avenir plus radieux et surtout plus respectueux des libertés fondamentales? L’heure était alors à l’euphorie collective.

Dans les mois qui ont suivi, l’histoire s’est accélérée outre-Rhin et, d’une manière générale, en Europe de l’Est. Il fallait aller vite, se débarrasser des vestiges de l’ancien régime communiste, faire place nette. Autrement dit, substituer à toute vitesse un état à un autre. Cette volonté affichée, chère à la droite allemande, inquiéta tout ceux qui avaient encore pour ambition de développer un régime à mi-chemin entre socialisme et capitalisme, les tenants de la Troisième Voie. Parmi eux, il y eut l’avocat Gregor Gysi1, qui fut membre du SED (Parti socialiste unifié de RDA) avant de co-fonder le PDS (Parti du socialisme démocratique) et die Linke. On pourrait aussi évoquer Hans Modrow qui dirigea l’avant-dernier gouvernement de RDA.

Guéorgui, personnage central du dernier roman de la Bulgare Albena Dimitrova2, est aussi un avocat de la Troisième Voie. Membre du Politburo, il entretient depuis quelque temps une relation extra-conjugale avec la narratrice, de 38 ans sa cadette. Cette dernière s’inquiète le jour où son amant ne répond pas à la convocation des instances du parti qui lui ont demandé de présenter un projet de réforme du régime. Curieux de la part d’un homme qui a pourtant été un fidèle serviteur de l’ordre rouge.

Cependant, chez les dirigeants du régime, les idées étaient de moins en moins claires. «La planification étatique ne fonctionne plus », disaient-ils. Les retards et les aberrations économiques semaient le doute dans les rangs. L’efficacité gagnait sournoisement sa petite course avec les idées, et la plupart des leaders se rendaient à l’évidence que tôt ou tard, un changement radical leur serait imposé.

Ne vous attendez pas à ce que l’auteur de ces quelques lignes vous révèlent ici les raisons de l’absence soudaine de «Guéo». D’ailleurs, le propos n’est pas là. Il s’agit davantage ici de rappeler qu’il y a eu dans l’histoire de nombreuses figures plus ou moins respectables à se réclamer de la Troisième Voie: Tony Blair, Bill Clinton, Mouammar Kadhafi, Gerhard Schröder, pour ne citer qu’elles. Certains cercles d’extrême droite en ont même fait leur formule.

Laquelle est donc devenue avec le temps, on l’aura compris, un vrai fourre-tout. Au point que l’on peut davantage parler d’étiquette que de véritable philosophie. La Troisième voie serait donc le meilleur moyen de se situer en dehors d’une opposition binaire — ce qui est louable en soi —, sans pour autant appartenir à un espace politique clair. Or la politique n’a pas besoin d’opacité.

Il n’est peut-être pas étonnant que des responsables politiques comme Jeremy Corbyn, nouveau leader des travaillistes britanniques (cliquez ici pour lire notre article sur sa conquête du Labour) tentent d’en finir avec ce genre de slogans en trompe-l’œil et essaient de donner un nouveau socle à leur mouvement. Plus de fermeté, plus de solidité idéologique: voilà le pari. La victoire électorale n’est pas pour autant assurée. Mais l’effort est assurément respectable.


  1. Gregor Gysi, Wir brauchen einen dritten Weg. Selbstverständnis und Programm der PDS, Taschenbuch.
  2. Albena Dimitrova, Nous dînerons en français, Éditions Galaade.
 
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