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Sous la crise, la France

5 juin 2017

Elle a lourdement pesé, pendant une longue décennie, sur le pays. Sur son économie comme sur le moral des Français. Au moment où Emmanuel Macron accède à la présidence, la crise s’estompe enfin. Du moins, les principaux indicateurs, et les plus fiables, montrent une nation se remettant en marche, après dix ans à l’arrêt. Rarement le slogan de campagne d’un candidat à l’Élysée aura autant été en phase avec la réalité de son pays.

 

Fabio Lo Verso
7 juin 2017

Elle a lourdement pesé, pendant une longue décennie, sur le pays. Sur son économie comme sur le moral des Français. Au moment où Emmanuel Macron accède à la présidence, la crise s’estompe enfin. Du moins, les principaux indicateurs, et les plus fiables, montrent une nation se remettant en marche, après dix ans à l’arrêt. Rarement le slogan de campagne d’un candidat à l’Élysée aura autant été en phase avec la réalité de son pays.

Soumise à la pire crise après celle de 1929, la France semble avoir surmonté l’épreuve de la résilience, un mérite qui revient essentiellement aux ménages et aux salariés. Les prémices du redressement sont là, bien qu’elles s’annoncent encore timidement. Titillant l’état de sinistrose qui, après les attaques terroristes, a gagné la population.

Pour le nouveau président, ce frémissement n’annonce pas forcément des lendemains qui chantent. Chaque crise mondiale se solde à l’arrivée par un rétrécissement des acquis des salariés. Les soubresauts économiques et financiers modifient subrepticement la réalité de l’emploi. Deux effets sont constatés, la pression sur les salaires s’accentue et la précarité se généralise.

Pour les Français qui, dix ans après la crise, n’ont toujours pas retrouvé le niveau de leur pouvoir d’achat de 2007, le chemin n’est pas non plus dégagé. Emmanuel Macron n’ignore pas que, lorsque l’économie reprend des couleurs, l’érosion salariale n’est compensée qu’en partie. Si elle n’est pas redistribuée, et donc pilotée, la croissance finit par rémunérer davantage le capital que les salariés.

Sortie de la récession avant la France, l’Allemagne a connu, avant de se reprendre partiellement en main, les effets d’une redistribution ratée. Les petits boulots mal payés se sont multipliés et la précarité a explosé. Ce phénomène a également touché les «dragons» asiatiques, dont le Japon, coupables d’avoir maladroitement négocié leur sortie de crise en 1997. Crise qui se propagea, avec une moindre ampleur, à la Russie, le Brésil et l’Argentine.

Ces années-là se sont soldées par un fort accroissement des inégalités. Au terme de ce cycle, le monde comptait de plus en plus de châteaux et de bidonvilles. Les cours du pétrole faisaient du yo-yo. De moins de 10 dollars en 1998, le baril de brut se négociait à 32 dollars en 2000. Une nouvelle flambée des prix menacerait aujourd’hui une poussée inflationniste, ralentissant la consommation, principal moteur de la croissance des pays industrialisés. Grimpant à leur plus haut niveau, à plus de 50 dollars le baril, un mois avant la réunion de l’OPEP du 30 mai, les prix se sont stabilisés. Mais ce répit pourrait être de courte durée.

En prenant le pouvoir, le président Macron n’a plus de raison de dissimuler ses réelles intentions derrière le pragmatisme convenu du candidat. La France, qui connaît une embellie, a livré les clés de la maison à un jeune politicien inconnu il y a un an, qui a su, mieux que ses adversaires, parler à une France fragilisée et inquiète pour son avenir. C’est le message principal à retenir pour ce pays qui veut colmater dix années de fracture présidentielle.

 
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Bertolt Brecht au pays d’Emmanuel Macron

6 juin 2017

Pour paraphraser un slogan de mai 1968, il ne faudrait plus courir mais marcher, camarade, parce que le vieux monde serait derrière nous.

 

 

William Irigoyen
6 juin 2017

Samedi 3 juin, place de Bordeaux à Strasbourg, non loin de là où je réside, il y a marché. Élections législatives françaises oblige, de nouveaux étals mobiles et parlants ont, temporairement, pris possession des lieux. De quoi, ou plutôt de qui s’agit-il? De militants qui, au lieu de goûter au farniente d’une magnifique matinée printanière, se sont levés tôt pour distribuer des tracts. D’aucuns pour le candidat d’En Marche, mouvement du «jupitérien» président Macron, d’autres pour le représentant «socialiste», d’autres, encore, pour la tête de liste des auto-proclamés Les Républicains. À peine extirpés des bras de Morphée, les chalands étaient donc «invités», après avoir choisi leurs fruits, légumes, poisson, viande, fromage et éventuellement fleurs, à repartir avec les professions de foi des adeptes du «centre», de la «gauche» et de la «droite».

Tous ceux pour qui ces deux derniers qualificatifs ont encore de l’importance et s’y réfèrent toujours seraient, selon certains membres ou sympathisants d’Emmanuel Macron, des ringards. Comprendre: des êtres préhistoriques ayant une conception surannée de la politique à qui il faudrait administrer le nouvel élixir élyséen. Pour paraphraser un slogan de mai 1968, il ne faudrait plus courir mais marcher, camarade, parce que le vieux monde serait derrière nous. Modeste «ménager de moins de cinquante ans», je me range volontiers dans le camp des tyrannosaures qui ne croient pas à cette fumeuse théorie du «dépassement des clivages» entre la droite et la gauche. Qui laisse entendre que les lignes de fracture se situeraient ailleurs: elles sépareraient désormais les bons grains démocrates de l’ivraie réactionnaire. D’un côté des jeunes sympathiques, ouverts d’esprit et europhiles — dont le centre serait devenu le nouveau baby-sitter. De l’autre, les vieux ronchons repliés sur eux-mêmes donc europhobes, mélange de honteux insoumis et, suprême injure, d’abjects nationalistes.

À bien y réfléchir, il est possible — non, souhaitable — de questionner cette approche. Observons un instant l’offre politique de la première circonscription de Strasbourg qui ressemble malheureusement à tant d’autres: le candidat socialiste, ou supposé tel, se réclame de la majorité présidentielle. C’est écrit noir sur blanc. Autrement dit, il se situe quelque part dans la voix lactée macronienne — et l’on repense tout à coup à l’expression de «Parti socialiste de droite» utilisée par l’économiste français Frédéric Lordon. La représentante des Républicains appartient, elle, à un mouvement dont certains de ses anciens membres — ils en ont été exclus récemment — se rangent eux aussi dans la majorité présidentielle. Étant de nature facétieuse et adepte du questionnement ironique, j’ai suggéré à l’aimable jeune femme qui tractait pour le candidat officiel d’En Marche s’il n’était pas souhaitable que tous ces militants s’assoient autour d’une table et fassent cause commune.

Comme j’aurais aimé un rire moqueur en guise de réponse. Ce ne fut qu’un sourire gêné. Avec, en prime, un regard interrogatif. Je lui ai alors expliqué que les candidats pour lesquels elle se battait, avec ses «collègues», se retrouvaient dans l’actuel gouvernement. Qu’il était donc inutile de faire croire à une quelconque différence programmatique. Le silence qui s’en suivit me déconcerta. Je me suis alors souvenu, individu malfaisant que je suis, à un court poème du grand écrivain allemand Bertolt Brecht, intitulé Hollywood: Jeden Morgen, um mein Brot zu verdienen / Fahre ich zum Markt, wo Lügen gekauft werden. / Hoffnungsvoll / Reihe ich mich ein unter die Verkäufer. Ce qui, en français, donne ceci:  Chaque matin, pour gagner mon pain / Je vais à la foire aux mensonges / Plein d’espérance / Je me range aux côtés des vendeurs.

Voilà une réponse un peu métaphorique, j’en conviens, à la question: qu’est-ce que le «nouveau monde politique»? Ou plutôt: à quoi voit-on que «le vieux monde politique» demeure? De retour à la maison, après avoir porté mon grand sac rempli de fruits, légumes et autres aliments non modifiés génétiquement — dixit les vendeurs —, j’ai regardé dans la boîte aux lettres pour savoir si d’autres candidats ne nous avaient pas envoyé leur propagande. Ce fut le cas. Je me suis promis d’y accorder toute l’attention nécessaire dans un silence quasi-religieux, tout en revendiquant mon athéisme radical vis-à-vis de ces supposés prophètes. En conservant pour moi l’idée selon laquelle la droite et la gauche, ça n’est pas et ça ne sera jamais pareil. Et donc de choisir clairement mon camp les 11 et 18 juin prochains.

 

 
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Donald Trump, criminel de Terre

2 juin 2017

J'ai raison contre le reste du monde: voilà donc le message révoltant d’aveuglement égoïste que vient de délivrer l'homme à la crinière blonde. Oui, ce même Trump qui, il y a encore peu, accusait la Chine d'avoir «inventé le réchauffement climatique pour nuire à l'Occident». Le locataire de la Maison-Blanche a terni encore un peu plus l'image de son pays en l'isolant sur la scène internationale.

 

William Irigoyen
2 juin 2017

«Une faute pour l'avenir de notre planète», selon le chef de l’État français Emmanuel Macron, une décision «regrettable», selon la chancelière allemande Angela Merkel, «irresponsable», d'après le premier ministre belge Charles Michel… 

C’était à prévoir: il y a eu, sans mauvais jeu de mots, une pluie de réactions négatives à l'annonce faite hier par Donald Trump de sortir de l'accord de Paris sur le climat conclu fin 2015. Le président milliardaire américain a justifié son choix en affirmant que rien ne devait entraver son action pour redresser l'économie de son pays. «Je ne peux pas, en conscience, soutenir un accord qui punit les États-Unis.» À vrai dire, cette décision était attendue par celui qui a toujours ambitionné de rendre une supposée grandeur à l’oncle Sam («Make America great again).

J'ai raison contre le reste du monde: voilà donc le message révoltant d’aveuglement égoïste que vient de délivrer l'homme à la crinière blonde. Oui, ce même Trump qui, il y a encore peu, accusait la Chine d'avoir «inventé le réchauffement climatique pour nuire à l'Occident». Le locataire de la Maison-Blanche a terni encore un peu plus l'image de son pays en l'isolant sur la scène internationale.

Car, rappelons-le, 194 autres pays ont paraphé le fameux document. 194 pays dont les représentants ont estimé que l'intérêt planétaire commandait. Et qui, au moment de la signature de l’accord, se seront peut-être souvenus du constat dressé en 2006 par l'économiste britannique Nicholas Stern: le coût de l'inaction politique vis-à-vis du dérèglement climatique s'élève à 550 milliards de dollars.

En assistant à ce nouveau spectacle consternant auquel Donald Trump, ce Docteur Jekyll de l’environnement, vient de nous convier, on ne peut s'empêcher de repenser aux mots de la journaliste, essayiste et réalisatrice canadienne Naomi Klein dans son essai intitulé Tout peut changer (Actes Sud et Lux, traduit de l'anglais par Geneviève Boulanger et Nicolas Calvé, 2015): «L'économie est en guerre contre des nombreuses formes de vie sur terre, y compris la vie humaine.» Si tel est le cas, alors concluons que le numéro un étasunien est officiellement devenu, depuis hier, le chef d'une armée ennemie. Ou, pour reprendre un discours capitalistique qu'affectionne tant l'intéressé, la tête de gondole de cette fameuse ère anthropocène (époque durant laquelle les activités humaines ont commencé à avoir un impact significatif sur l'écosystème terrestre).

© Herji / 2017

© Herji / 2017

Que faire maintenant? Continuer de s'étrangler de rage ou bien essayer de rendre caduque cette décision? Convenons-en, la marge de manœuvre des politiques est étroite. L'Amérique ayant une structure fédérale rien n'empêche de trouver, au niveau des Etats, des alliés qui, eux, appliqueront à leur niveau des mesures contraignantes pour, sinon empêcher le dérèglement climatique, du moins en atténuer les effets dramatiques. C'était le sens de l'intervention hier matin de l’eurodéputée Rebecca Harms, coprésidente du groupe des Verts / Alliance libre européenne chez nos confrères de la Deutschlandfunk.

Le propos n’a rien d’utopique puisque, par le passé, on a vu, outre-Atlantique, des gouverneurs actuels ou passés manifester un intérêt certain pour le climat. Pensons par exemple à Arnold Schwarzenegger en Californie, Bruce Rauner dans l’Illinois et même John Kasich dans l’Ohio. Particularité: ils sont tous de sensibilité Républicaine.

Dans une interview qu’elle avait accordée à La Cité en mai 2015, Naomi Klein ne disait pas autre chose quand elle évoquait l’indispensable participation de nos élus en faveur du climat. Et de mettre en garde, au cas où le concours de ces derniers viendrait à faire défaut:  «Si vous regardez bien il y a eu, ces dernières années, une évolution majeure dans le mouvement de défense du climat. Propret, gentillet à ses débuts, il a évolué parce qu’il s’est reposé sur une base populaire plus large. Il a montré qu’il était possible de se développer, de façon démocratique et décentralisée, les énergies renouvelables, l’agriculture locale et laisser tomber les techniques de fracturation terrestre, les pipelines… » Deux ans après, l’urgence d’une mobilisation citoyenne demeure une évidence.

Quant à l’irresponsable et dangereux Monsieur Trump, souhaitons qu’il réponde au plus vite de ses actes. Pourquoi pas, un jour, devant une cour de justice, pour atteinte à environnement en danger? Le numéro un américain n’est peut-être pas le seul climaticide dans le monde. Mais hier, après avoir continuellement pris pour cible la planète, il est passé à l’acte. Il a appuyé sur la gâchette. Gare à l’effet domino.

 
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Journalisme En Marche arrière

28 mai 2017

Dans son supplément «Idées», daté du 27 mai, Le Monde s’intéresse à la «maîtrise de l’image» d’Emmanuel Macron. S’agit-il de propagande?

 

William Irigoyen
28 mai 2017

Dans son supplément «Idées», daté du 27 mai, Le Monde s’intéresse à la «maîtrise de l’image» d’Emmanuel Macron. L’auteur de l’article, Frédéric Joignot, évoque notamment le travail de la photographe Soazig De La Moissonnière qui suit le nouveau président français «comme son ombre» et capte quelques-uns de ses moments d’intimité (l’intéressé «seul face à un miroir, les yeux fermés, se concentrant avant un meeting de campagne»; avec François Bayrou, nouveau Garde des Sceaux, «juste avant leur alliance historique»...).

Et notre confrère de s’interroger sur ce que disent les clichés pris par cette journaliste (?) «embedded» comme le stipule son compte Twitter. S’agit-il de propagande? Assurément, tranche Vincent Lavoie, spécialiste du photojournalisme et professeur d’histoire de l’art à l’université d’Ottawa au Canada. Pourquoi donc aller chercher une caution intellectuelle à ce qui est pourtant clair comme de l’eau de roche? Mystère.

D’autant que le reste du papier précise les choses: l’équipe de communication du locataire de l’Élysée a même fait appel à «Bestimage, une agence spécialisée dans les reportages people «façon paparazzi» pour fournir des sujets sur le couple Macron» à l’hebdomadaire hexagonal Paris-Match.

Il n’y a pas qu’en France qu’on s’étonne de telles méthodes employées par nos élus. Dans Today, rendez-vous matinal de la chaîne de radio britannique BBC 4, Jon Sopel, North America Editor comme disent les Anglo-Saxons, délaisse son habituel flegme et s’emporte contre l’équipe de Donald Trump (ici le lien vers le script du reportage audio).

Après avoir suivi le numéro un américain dans sa tournée au Proche et Moyen-Orient ainsi qu’au Vatican, cette éminente plume d’outre-Manche se plaint d’avoir été tenue à l’écart du président-milliardaire. Du temps d’Obama, poursuit le journaliste, il y avait de «l’interaction sociale», on pouvait avoir la chance de discuter avec un entourage constitué de politiciens d’envergure. Rien de tout cela avec l’homme à la crinière blonde qui pousserait même le vice jusqu’à poster des tweets d’une insignifiance journalistique crasse mais d’une haute valeur communicationnelle.

Quiconque a suivi une fois dans sa vie grands et un peu moins grands de ce monde savent que l’essentiel de ces déplacements sont rarement d’un intérêt éditorial himalayen. Normal puisque le propos est surtout de resserrer la focale sur des candidats qui, même lorsqu’ils prennent l’avion, cherchent systématiquement à vous mener en bateau.

Soyons honnêtes: une prise de conscience, même tardive, vaut mieux qu’un aveuglement éternel. Bienvenue donc à ces nouveaux membres du club des grincheux qui semblent conclure à l’impossibilité d’un terrain d’entente entre journalisme et communication.

Un bon conseil la prochaine fois à ces confrères: restez à la maison ou au bureau. Et parlez-nous des programmes élaborés par ces responsables politiques, des lois qu’ils font voter, pointez du doigt leurs contradictions, leurs silences sur des sujets pourtant graves et «concernants» comme disent les apôtres de la comm’, dénoncez les atteintes à la démocratie qu’entraînent leurs actes.

Non seulement vous n’aurez plus à subir les effets négatifs des voyages de presse: décalage horaire, promiscuité avec des confrères dont la grosse tête ne pourrait même plus entrer dans un écran 16/9 de télévision... Ne vous faites pas les vecteurs de ce populisme  dont on ne cessera de répéter le but visé: établir un contact direct avec le bon peuple. Autrement dit, en passant outre ces intermédiaires superflus que sont les journalistes. Les quoi?

 
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L’Europe de la Défense: une affaire de femmes?

19 mai 2017

La décision de l’exécutif français de nommer Sylvie Goulard ministre des Armées a été très remarquée cette semaine par un certain nombre de confrères hexagonaux. Dans l’Europe des Vingt-Huit, six femmes occupent désormais cette fonction: en France donc, en Allemagne, en Italie, en Espagne, aux Pays-Bas et en Slovénie.

 

 

 

William Irigoyen
19 mai 2017

La décision de l’exécutif français de nommer Sylvie Goulard «ministre des Armées» a été très remarquée cette semaine par un certain nombre de confrères hexagonaux. Ceux-ci ayant déjà pointé du doigt que l’intitulé du poste avait changé — depuis 1974 on parlait en effet de «ministre de la Défense» — il est inutile d’y revenir ici, même si le choix de cette terminologie reste encore obscure. Ajoutons un fait, dans l’Europe des Vingt-Huit, six femmes occupent désormais cette fonction: en France donc, en Allemagne, en Italie, en Espagne, aux Pays-Bas et en Slovénie.

Arrêtons-nous un instant sur les deux premiers pays de cette liste. Il y a en ce moment, des deux côtés du Rhin, un objectif commun en matière de Défense. Angela Merkel et Emmanuel Macron ont pour ambition, chacun à l’intérieur de leurs frontières, de hisser à moyen terme leur budget militaire à 2% du PIB. Ce but identique signifie-t-il qu’un nouveau moteur franco-allemand entend être en symbiose politique sur cette question, convaincre un grand nombre de partenaires de la nécessité de faire de même et de parvenir, à terme, à l’idée d’une Défense commune? Soixante ans après l’échec de la Communauté européenne de défense (CED), il est permis de se poser la question.

Souvenez-vous. Le 27 mars 1952, six pays européens établissent un traité instituant la CED. Ratifié par l’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas, il est rejeté par… l’Assemblée nationale française deux ans plus tard. Depuis, l’idée d’une Défense commune revient à intervalles réguliers. Avec peut-être un peu plus d’insistance depuis que le président américain s’est récemment plaint que les pays du Vieux Continent ne contribuaient pas assez au financement de l’OTAN et a dénoncé le côté «obsolète» de l’organisation. Donald Trump a fait volte-face depuis. Il n’empêche: attendre tout des autres en matière de Défense est une erreur. L’Europe doit avoir «son destin en mains», a dit, en début d’année, la chancelière allemande.

Cette prise de conscience est-elle partagée par l’ensemble des Vingt-Huit (bientôt Vingt-Sept)? Difficile de le dire. Il serait pourtant logique qu’une Union politique et économique se dote également d’une Défense commune. Elle a une belle occasion de le faire. Que cette idée puisse, en outre, être portée par un couple de femmes déterminées — Sylvie Goulard en France et Ursula von der Leyen en Allemagne — aurait quelque chose de savoureux. Elle apporterait en effet un démenti catégorique à ce qui est apparu jusqu’ici comme une forme de déterminisme: que l’armée ne serait qu’une affaire d’hommes.

 
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«Schulz Effekt», kesako?

14 mai 2017

Ce dimanche, la CDU, Christlich Demokratische Union, le parti chrétien-démocrate de la chancelière allemande Angela Merkel, est arrivée en tête du scrutin régional de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, le plus peuplé du pays. Les électeurs ont donc opté pour le changement puisque, depuis cinq ans, régnait dans ce Land allemand un gouvernement vert/social-démocrate

 

 

 

William Irigoyen
14 mai 2017

Ce dimanche, la CDU, Christlich Demokratische Union, le parti chrétien-démocrate de la chancelière allemande Angela Merkel, est arrivée en tête du scrutin régional de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, le plus peuplé du pays. Les électeurs ont donc opté pour le changement puisque, depuis cinq ans, régnait dans ce Land allemand un gouvernement vert/social-démocrate sous l'autorité de Hannelore Kraft, une des figures centrales de la SPD.

Que la Sozialdemokratische Partei Deutschlands soit ou non associée à ce nouvel exécutif dans le cadre d'une grande coalition ne change rien au fait que la gauche gouvernementale est à la peine en Allemagne.

Résumé des épisodes précédents. 26 mars: élections en Sarre. La CDU l'emporte avec plus de dix points d'avance sur sa rivale SPD. Cette dernière aurait pu conclure une alliance avec Die Linke, la gauche de la gauche. Cela ne s'est pas fait. Résultat: une grande coalition, comme au niveau national, gèrera donc le Land jusqu'en 2022.

7 mai: élections au Schleswig-Holstein. La SPD arrive en deuxième position, derrière la CDU qui, depuis, a exclu de s'associer avec elle et sera donc aux commandes avec... les Verts et les Libéraux (on appelle cela la coalition «jamaïcaine», les couleurs rappelant celles du drapeau de ce pays).

Pour reprendre le titre d'une chanson écrite en 1933 et rendue célèbre par la version de Billie Holiday, il s'agit d'une succession de «Gloomy sunday» (sombre dimanche) pour la social-démocratie allemande, laquelle ambitionne de remporter les élections législatives du 24 septembre prochain.

Pour cela, la SPD s'est choisie un nouveau leader en début d'année, Martin Schulz, l'ancien président du Parlement européen. Sa nomination aurait eu, à entendre les médias allemands, un «effet bénéfique» pour le parti: le nombre de militants augmenterait, ces derniers ayant trouvé dans leur candidat l'incarnation de valeurs perdues.

Certes, les défaites régionales du printemps n'annoncent pas forcément un automne désastreux. Il peut se passer encore beaucoup de choses avant les législatives. Mais ces déconvenues de la SPD sont inquiétantes. Elles confirment que la popularité de la chancelière Merkel, arrivée au pouvoir il y a douze ans, continue de rejaillir sur son parti.

Quels sont aujourd'hui les partis chrétiens-démocrates qui peuvent s'enorgueillir d'un tel succès en Europe? Ces scrutins montrent en tout cas que les sociaux-démocrates ne constituent pas forcément une alternative crédible aux yeux des électeurs. Normal puisqu'ils sont associés à la gestion du pays.

Cette participation aux affaires est à la fois leur force puisqu'ils arrivent à faire passer des réformes majeures — le salaire minimum, notamment — et leur faiblesse: elle accrédite en effet la thèse qu'il y a désormais bien peu de différences politiques, programmatiques, voire philosophiques avec la CDU.

Autant dire qu'en cette année électorale le chantier est immense pour ceux qui sont aux commandes du plus vieux parti d'Allemagne: celui d'August Bebel, mais aussi celui de Gerhard Schröder dont les réformes économiques, «nécessaires» pour certains et «désastreuses » socialement pour d'autres, en auront durablement écorné l'image.

 

 
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Macron, le président de la «confiance retrouvée»?

7 mai 2017

Il est peu de dire que le prochain locataire de l’Élysée ne devra pas décevoir. Pour cela, il devra s’attaquer aux causes profondes qui font que, élection après élection, de plus en plus de Français se tournent vers l’extrême-droite. Il devra aussi prendre en compte ces 8% de bulletins blancs ou nuls qui montrent à l’évidence que le Front national, s’il n’est pas plébiscité, ne fait plus peur.

 

 

 

William Irigoyen
7 mai 2017

Les instituts de sondage avaient vu juste. L’axe populiste, dont les victoires de Donald Trump aux États-Unis et celle des partisans du Brexit en Grande-Bretagne notamment, étaient censées dessiner les contours, n’a pas emporté la France. Pas cette fois du moins. À 39 ans, Emmanuel Macron, le plus jeune président élu de la Ve République peut s’enorgueillir d’avoir obtenu un bon résultat: 66%, c’est presque deux fois le score de sa concurrente, Marine Le Pen.

La cheffe du Front national (FN) n’a pas laissé percer sa déception. À l’entendre, son «alliance des patriotes», forte de ses onze millions de voix, représenterait désormais «le premier parti d’opposition». Elle envisage dans ce cadre une recomposition de la droite de la droite, avec, peut-être, un nouveau nom de baptême. Sera-t-elle l’architecte de ce grand chantier? Difficile de le dire pour le moment car, y compris au sein de son propre parti, des doutes sont perceptibles. Il suffit de se souvenir des mots de Marion Maréchal-Le Pen, sur une autre ligne que sa tante, déclarant, avant le scrutin, qu’un score en-dessous de 40 % constituerait un échec.

Soyons honnêtes. Une déconvenue électorale ne constitue pas forcément une défaite idéologique. Force est de constater que les idées du FN progressent depuis des années. Le vote protestataire qu’il était censé incarner à ses débuts s’est progressivement mué en vote d’adhésion. Gardons en mémoire les scores réalisés lors des précédents scrutins (régional, européen) par le FN et actons que la lepénisation des esprits n’est plus un fantasme mais une réalité. Le «John Fitzgerald français» serait bien inspiré de ne pas l’oublier.

Il est peu de dire que le prochain locataire de l’Élysée ne devra pas décevoir. Pour cela, il devra s’attaquer aux causes profondes qui font que, élection après élection, de plus en plus de Français se tournent vers l’extrême-droite. Il devra aussi prendre en compte ces 8% de bulletins blancs ou nuls qui montrent à l’évidence que le Front national, s’il n’est pas plébiscité, ne fait plus peur.

Enfin, Emmanuel Macron ne devra pas oublier qu’une partie de ceux qui l’ont porté au pouvoir sont parfois aux antipodes de ses recettes libérales, de sa conception de la société, pensons ici aux partisans de «la France insoumise» dont la figure de proue, Jean-Luc Mélenchon, promet de futurs combats, en particulier lors des législatives du mois de juin.

Ce prochain rendez-vous, de nombreux responsables politiques y ont fait référence, quelques minutes à peine après l'élection de Macron, sur les plateaux de télévision. Pour imposer une autre façon de penser la politique, de sortir du traditionnel affrontement droite-gauche, Emmanuel Macron devra disposer d’une majorité à l’Assemblée nationale. Ses proches ont annoncé que la «République en Marche» allait présenter des candidats dans les 577 circonscriptions que compte la carte électorale de France.

Face à cela, que vont faire les autres partis? Si, d’aventure, certains responsables de LR, «Les Républicains », rejoignaient la majorité présidentielle, ils s’excluraient eux-mêmes de la famille, a déclaré l’ancien chiraquien François Baroin. Et le PS? Officiellement, le parti entend présenter lui aussi des candidats contre le mouvement macroniste. Mais aura-t-il les moyens de ses ambitions lui qui a vu une partie de son état-major rejoindre le nouvel élu?

En attendant d’y voir plus clair, il faudra se contenter des images. Celles, à venir, de la future passation de pouvoirs avec François Hollande, président honni qui a félicité son successeur. Mais déjà celles que le nouveau chef de l’État a montrées le soir du vote.

Ce fut, dans un premier temps, un Emmanuel Macron empreint de gravité, promettant de défendre «la France et l’Europe», appelant à «construire un avenir meilleur», disant ne méconnaître «aucune difficulté économique, ni l’impasse démocratique, ni l’affaiblissement moral du pays», parlant de sa «responsabilité d’entendre la colère, l’anxiété, les doutes, qu’une partie d’entre vous ont exprimés».

Le même Macron gravit, un peu plus tard dans la soirée, une scène érigée à l’extérieur du musée du Louvre, donnant de la voix pour remercier ses partisans, une foule bigarrée brandissant des drapeaux tricolores. Le plus difficile commence. La France «de la confiance retrouvée» ne doit pas être une énième offre publicitaire. Sa réalisation ne saurait non plus se faire à n’importe quel prix.

 
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Le pendule français de la modernité

2 mai 2017

Une nouvelle vague vient de décomposer le paysage politique français. Le soir du 23 avril, Emmanuel Macron et Marine Le Pen en ont atteint les crêtes les plus élevées. Purs produits du mouvement magmatique qui, depuis la fondation de l’Union européenne, transforme incessamment le pays, le premier est l’expression d’une exigence de modernité, la deuxième des convulsions précédant la fin d’une époque.

 

Fabio Lo Verso
2 mai 2017

Une nouvelle vague vient de décomposer le paysage politique français. Le soir du 23 avril, Emmanuel Macron et Marine Le Pen en ont atteint les crêtes les plus élevées. Purs produits du mouvement magmatique qui, depuis la fondation de l’Union européenne, transforme incessamment le pays, le premier est l’expression d’une exigence de modernité, la deuxième des convulsions précédant la fin d’une époque.

Ce sont là les deux principales forces qui tiraillent la France, un pays qui, aux abords d’une nouvelle ère, comme bien d’autres nations en Europe, cède de plus en plus à ses démons conservateurs. Face à ce retour en arrière, Emmanuel Macron est perçu comme l’homme «neuf», un rôle endossé dans la voisine Italie par un Matteo Renzi.

Non pas que ces personnages soient réellement «nouveaux». Mais ils ont été considérés comme tels par une frange suffisamment large d’électeurs qui les a propulsés au sommet, réclamant une rupture sincère avec la politique traditionnelle. Peu importe finalement la stature ou l’expérience du candidat, ou de la candidate. D’une certaine façon, le défi de Ségolène Royal, en 2012, reflétait aussi cette aspiration. Derrière son imposture anti-système, Marine Le Pen entend, elle, perpétuer une vision archaïque et rétrograde de celui-ci.

Deux France coexistent. Aux antipodes d’un espoir de modernité, concept faussement traduit par dégagisme, la permanence d’une force centripète, tournée vers l’intérieur, reste à la base du succès du Front national qui enregistre un nouveau score historique. Un parti qui concentre les catégories sociales nostalgiques d’une France légendaire et de sa figure tutélaire, Jeanne d’Arc. Un parti qui rassemble ces femmes et ces hommes déboussolés par la désagrégation des bastions traditionnels de la famille, de l’église catholique et... du monde ouvrier, dont la confluence vers les thèses du Front national est observable depuis les années 1990.

Une analyse de la formation lepeniste serait incomplète sans l’examen du parti qui voudrait la supplanter, le Front de gauche de Jean-Luc Mélenchon. Le leader des soi-disant «insoumis» incarnait, à sa manière, une exigence de renouveau dans sa vision d’une VIe République insufflée par la participation du peuple. Presque à égalité avec celui de François Fillon, son score ambivalent exprime, d’une part, le désir ardent d’enterrer la Ve République (synonyme de «système»), de l’autre, un conservatisme populaire exacerbé par le mythe de la révolution bolivarienne de feu Hugo Chávez.

La comparaison avec le candidat recalé des Républicains n’est pas anodine. Considéré un temps comme l’antithèse de l’arrogance sarkozyste, métaphore d’un système politique sclérosé, avant que les «affaires» fassent tomber son masque, François Fillon représentait, lui aussi, un choix ambivalent: le renouveau de la droite face au conservatisme élitiste des classes réactionnaires qui ont voté pour lui.

Mais au premier tour des présidentielles françaises, ce sont les candidats reflétant le plus purement, sans ambivalence, les aspirations profondes des Français qui ont été récompensés. Renouveau authentique d’un côté, ou perçu comme tel, et conservatisme isolationniste de l’autre.

La fulgurante ascension d’Emmanuel Macron doit interroger. Est-ce le remède, fantasmé ou réel, pour un pays souffrant d’immobilisme? Ou un barrage de circonstance contre tous les convervatismes qui noient et étouffent le pays? Quoi qu’il en soit, au second tour, le 7 mai, la France pourra choisir de respirer. Pour la première fois depuis un long moment.

 

Paru dans l’édition de mai 2017

 
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Après moi, président, le déluge

30 avril 2017

D’ici quelques jours, François Hollande quittera son bunker élyséen avec le sentiment du devoir accompli: «Je laisse la France dans un meilleur état», a-t-il déclaré le 20 avril, lors d’un déplacement dans le département du Lot. Heureusement que les prix de l’indécence et du cynisme n’ont pas été inventés.

 

 

 

William Irigoyen
30 avril 2017

D’ici quelques jours, François Hollande quittera son bunker élyséen avec le sentiment du devoir accompli: «Je laisse la France dans un meilleur état», a-t-il déclaré le 20 avril, lors d’un déplacement dans le département du Lot. Heureusement que les prix de l’indécence et du cynisme n’ont pas été inventés.

Le futur retraité les aurait certainement remportés haut la main et qui sait s’il ne serait pas retourné chez lui avec, pour tout trophée, un sachet de sauge dont les fumigations, paraît-il, sont particulièrement recommandées quand s’invitent des esprits néfastes.

Le président français en aurait profité pour utiliser ladite substance afin de «chasser les mauvais vents, toujours les mêmes, ceux du nationalisme, du repli et de la peur», comme il a cru bon de le préciser lors d’un autre déplacement – décidément – à Belle-Ile, avant de conclure, dans un élan politico-climatique: «Il faut aller vers le grand large, ne jamais se replier.»

Pendant que le chef de l’État filait la métaphore, les Républicains de tout bord se seront inquiétés de voir Marine Le Pen, finaliste du premier tour de l’élection présidentielle, faire alliance avec Nicolas Dupont-Aignan, ce «gaulliste humaniste» comme il s’est autoproclamé cette semaine sur le plateau de France 2.

Lui qui, il y a peu, vilipendait le Front National pour ses prises de positions extrémistes a donc considéré, une semaine avant le second tour, que la cheffe du FN n’était plus d’extrême droite. Celui-ci sera le Premier ministre de celle-là en cas de victoire de «l’alliance patriote et républicaine». Quelle affiche. Il manquait une tête de pont assumée, affirmée entre la droite et l’extrême droite. Elle est désormais incarnée par le patron de Debout la France.

Et si le spectacle s’arrêtait là? Depuis le 24 avril nombre d’«insoumis» fidèles à Jean-Luc Mélenchon annoncent que, le 7 mai, ils préfèreront sans doute la canne à pêche au bulletin de vote.

La France est laissée là, dans un «meilleur état» soi-disant qu’il y a cinq ans. François Hollande est décidément d’une grande clairvoyance. Et ses compatriotes sont donc aveugles. Ils n’auront pas vu les dernières statistiques du chômage. Toutes voiles dehors, l’économie française serait, à l’entendre, en train de filer vers des horizons lointains avec la certitude de lendemains sociaux qui chantent. Avec cette idée que l’embellie profitera à tous, dès le 8 mai au matin, grâce au coup de baguette d’un magicien qui a si peu osé pendant cinq ans.

Triste fin que celle de François Hollande qui, après avoir sagement pris la décision de ne pas se représenter, aurait pu gratifier son peuple d’un long silence en cette catastrophique fin de mandat. Mais il a préféré en sortir pour inviter ses sujets à ne pas choisir l’option Marine Le Pen alors qu’il n’avait même pas appelé à voter PS au premier tour. La rancune tenace vis-à-vis du frondeur Benoît Hamon? Sans doute. L’interdiction faite au président de tous les Français de se prononcer publiquement? Allons donc.

Pourvu que, dimanche 7 mai, cette mascarade ne s’achève ni dans la nuit ni dans le brouillard.

 
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Le fond du front républicain

24 avril 2017

En être réduit à choisir entre deux histrions, Emmanuel Macron et Marine Le Pen, purs produits de la société médiatique: voilà bien le drame aujourd’hui pour tous ceux qui ont une conception autre de la politique et qui, à la démagogie rassurante ou haineuse, préfèrent des représentants dont les convictions ne fluctuent pas en fonction des événements et sont de vrais rassembleurs.

 

 

 

William Irigoyen
24 avril 2017

Les temps changent. Lorsque, le 21 avril 2002, Jean-Marie Le Pen se qualifie au second tour de l’élection présidentielle française, des manifestations se déroulent à Paris et en province. Quinze ans plus tard, Marine Le Pen fait mieux que son père lors de ce scrutin roi. Surprise: aucun rassemblement n’a lieu. Ou si peu.

Dès l’annonce des résultats, environ 300 jeunes se sont mobilisés dans la capitale, place de la Bastille, à l’appel de mouvements «antifascistes». Des heurts ont eu lieu avec la police. Il y a eu plusieurs interpellations. Deux personnes ont été blessées. D’autres ont été conduites au poste pour «vérifications». Bien sûr, la cheffe de l’extrême droite hexagonale n’aura rien vu ni entendu. Elle se trouvait à des kilomètres de là, à Hénin-Beaumont, son fief situé dans le département du Pas-de-Calais.

Pendant ce temps-là, Emmanuel Macron, arrivé en tête de cette première manche, savourait l’ivresse de sa performance à La Rotonde, une brasserie chic du XIVe arrondissement de Paris, en compagnie de personnalités médiatiques. À voir les images diffusées par les chaînes de télévision en continu, cela évoquait la sortie au Fouquet’s, autre institution parisienne, de Nicolas Sarkozy après sa victoire contre la «socialiste» Ségolène Royal le 6 mai 2007.

Le fondateur d’En Marche devrait prendre garde. Certaines images finissent par coller à la peau. C’est peu dire qu’il apparaît déjà comme le candidat de la finance, lui, l’ancien banquier de chez Rothschild où il officia entre 2008 et 2012. La Bourse de Paris a d’ailleurs célébré le bon score de son candidat: à l’ouverture du Palais Brongniart, ce lundi 24 avril, elle a bondi. La confiance des marchés, il paraît que ça compte.

Le système médiatique veut croire qu’Emmanuel Macron l’emportera. Dès hier soir, deux enquêtes étaient portées à la connaissance du grand public selon lesquelles l’ancien ministre de l’économie l’emporterait largement face à sa concurrente: 64-62% contre 36-38%. En clair, tout serait déjà joué. Pour reprendre les mots de Marine Le Pen, le peuple français aurait donc déjà choisi, avant même de voter le 7 mai, entre «une dérégulation totale, sans frontières et sans protections» et «la France, des frontières qui protègent nos emplois, notre pouvoir d’achat, notre sécurité, notre identité nationale».

Comme d’habitude, les Républicains de tout bord invoqueront la nécessité de voter pour celui qui est supposé porter haut la célèbre devise «Liberté Égalité Fraternité». En être réduit à choisir entre ces deux histrions, purs produits de la société médiatique: voilà bien le drame aujourd’hui pour tous ceux qui ont une conception autre de la politique et qui, à la démagogie rassurante ou haineuse, préfèrent des représentants dont les convictions ne fluctuent pas en fonction des événements et sont de vrais rassembleurs.

Parce qu’il faut bien opter pour le moindre mal, l’auteur de ces lignes glissera un bulletin dans l’urne en étant toutefois persuadé, comme d’autres, de toucher le fond du front républicain. Malheureux pays.

 
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Sanglants Rameaux

9 avril 2017

Cela devait être un moment de recueillement et de prière pour les Coptes d'Égypte. Ils s'étaient réunis en ce dimanche pour fêter les Rameaux, événement qui, dans le calendrier liturgique chrétien, marque l'entrée dans la semaine sainte. Mais ce dimanche fut un bain de sang. Encore un. Deux attentats les ont pris pour cible.

 

 

 

William Irigoyen
9 avril 2017

Cela devait être un moment de recueillement et de prière pour les Coptes d'Égypte. Ils s'étaient réunis pour fêter les Rameaux, événement qui, dans le calendrier liturgique chrétien, marque l'entrée dans la semaine sainte. Mais ce dimanche fut un bain de sang. Encore un. Deux attentats les ont pris pour cible.

Une bombe a explosé en l'église Saint-Georges (Mar Girgis) à Tanta, ville située à cent vingt kilomètres du Caire. Une autre a visé celle de Saint-Marc d'Alexandrie. Bilan: une quarantaine de morts, une centaine de blessés. Double attaque revendiquée par l'État islamique. Le moment était choisi: à la fin du mois, le pape François est attendu dans le pays.

Il y a quatre mois, Daech avait visé l'église Saint-Marc, autre édifice copte située dans la capitale égyptienne. L'organisation djihadiste avait justifié son acte en disant vouloir frapper «tout infidèle ou apostat», que ce soit en Égypte ou ailleurs.

En février, une série d'attaques perpétrées par l'État islamique frappait cette même communauté dans le Sinaï, contraignant une partie de ses membres à trouver refuge dans l'est du pays, près du Canal de Suez. Le président Abdel Fattah al-Sissi, ce «type fantastique» selon les mots de Donald Trump qui l'a reçu cette semaine à la Maison-Blanche, s'avère donc incapable d'assurer la sécurité de ses concitoyens. Et pourtant, l'homme s'y connaît en matière d'ordre et de répression policière. Au nom de la lutte contre le terrorisme, les autorités égyptiennes ont restreint toute forme de contestation et entassé les opposants dans les prisons. Le raïs applique une méthode fort bien connue: «Vous êtes avec nous ou contre nous.» Au départ, le chef de l'État faisait réprimer les supporters des Frères musulmans. Aujourd'hui, tout citoyen critique est un ennemi potentiel.

Mais revenons aux Coptes. Ils constituent environ 10 % de la population égyptienne. Il s'agit de la plus importante minorité chrétienne dans le Proche-Orient arabe. Dans l'ensemble de cette région, les chrétiens ne représenteraient plus que 4% de la population globale, selon le site de l'édition américaine du Huffington Post (cliquez ici). Un siècle plus tôt, toujours selon cette même source, ce chiffre s'élevait à 20%.

Comparant des enquêtes menées par le Département d'État américain et le Pew Research Center, le site d'Arte a chiffré l'exode des chrétiens d'Orient entre 2001 et 2015 (lire ici). Voici quelques chiffres: - 37 % de présence en Syrie; - 59 % en Irak; - 28 % en Égypte. Il y a fort à parier que la situation est encore bien pire aujourd'hui. Malheureux citoyens.

Différentes voix rappelleront l'urgence de «ne pas oublier les chrétiens d'Orient». Des représentants d'associations monteront au créneau. Parce que certains sont proches du régime syrien et de l'extrême-droite française, ils seront critiqués. La politique reprendra ses droits. Pendant ce temps, des hommes, des femmes et des enfants continueront d'être pris pour cibles.

Leur sort est le nôtre. Comme l'est celui de tous ceux qui sont assassinés parce qu'ils ont eu le tort de naître «autre». En écrivant ces lignes, on repense aux propos du journaliste algérien Kamel Daoud¹: «Solidarité avec l’homme, partout, contre l’homme qui veut le tuer, le voler ou le spolier, partout. Solidarité avec la victime contre le bourreau parce qu’il est bourreau, pas parce qu’il est israélien, chinois ou américain ou catholique ou musulman


¹ Kamel Daoud, Mes indépendances – Chroniques 2010 – 2016, Actes Sud, 2017

 
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Syrie, le fossé de la «realpolitik»

5 avril 2017

Il a bonne mine Bachar Al-Assad. L’homme à abattre, dont la tête avait été mise à prix par la France et les États-Unis, vient d’entrer dans la septième année de conflit avec la perspective, sidérante, de l’emporter.

 

 

 

Fabio Lo Verso
10 avril 2017

Il a bonne mine Bachar Al-Assad. L’homme à abattre, dont la tête avait été mise à prix par la France et les États-Unis, vient d’entrer dans la septième année de conflit avec la perspective, sidérante, de l’emporter. Vladimir Poutine, siloviki nostalgique de l’époque bipolaire où Moscou figurait, aux côtés de Washington, au rang de super puissance mondiale, semble également en passe de gagner cette dramatique et révoltante partie, qui se solde à ce jour par la mort de dizaines de milliers de Syriens et la dévastation de leur pays.

Lorsqu’au début 2012, La Cité consacrait ses premières pages à la Syrie, l’ONU faisait état de 5000 victimes, un décompte tragiquement démultiplié depuis. Le chiffre actuel de 300’000 à 400’000 morts, dont près de 100’000 civils, claque comme un cuisant échec à la figure de la communauté internationale. Ce macabre tableau est assombri par l’exode des cinq millions de Syriens qui ont fui le pays, soit près du quart de la population, et par les millions de personnes déplacées.

Il y a cinq ans, nous qualifions le parrainage russe, héritage de la realpolitik d’antan, de blanc-seing accordé au tyran de Damas. La réalité du terrain n’a pas démenti cette prévision. La Chine, se dressant elle aussi contre les résolutions de l’ONU, n’est pas non plus exempte de responsabilités dans ce massacre. Le négociateur de l’ONU, Kofi Annan, effaré par un tel cynisme, jetait l’éponge.

Le bilan du diplomate italo-suédois Staffan de Mistura, nommé en 2014 émissaire des Nations unies pour la Syrie, est loin d’être reluisant. Même si les bons arguments ne lui manquent pas, on peut le suspecter d’une certaine dose d’inaptitude. À sa décharge, avant son arrivée, les rouages maléfiques étaient déjà enclenchés. À cause, essentiellement, de l’impéritie des États-Unis, estiment des experts.

Sous l’administration Obama, Washington aurait commis l’irréparable en abandonnant à son sort l’opposition laïque et démocratique. Laissant les Russes tenter de vaincre Daech sur le terrain, Téhéran et Ankara, avec les pays du Golfe, s’infiltrer dans les interstices du conflit, la communauté internationale a vu se dessiner, sous ses yeux, un labyrinthe aussi infernal qu’inextricable.

Par réalisme ou par dépit, des membres de l’opposition laïque et démocratique, initiatrice du fugace printemps syrien, sont tentés de se rapprocher de la Russie, parrain de leur ennemi juré Al-Assad. Se rapprocher, non se soumettre, argumentent-ils. Quand les pirouettes verbales cèderont-elles la place à une véritable diplomatie de la paix?

Les trêves succombant les unes après les autres, le déchaînement de cruauté et de violence contre la population et les bombardements indiscriminés, récemment qualifiés par l’ONU de crimes de guerre, rendent quasiment impossible toute discussion constructive entre les parties, qu’elle se tienne à Genève, New York ou, aujourd’hui, à Astana, capitale du Kazakhstan, inattendu centre de gravité de la diplomatie moyen-orientale de Vladimir Poutine. Cautionnée par Donald Trump.

Six ans après le début du conflit, la nouvelle donne géopolitique menace d’enterrer la perspective d’un compromis politique de transition, objectif déclaré d’une résolution adoptée, à l’unanimité, par le Conseil de sécurité. L’issue de ce labyrinthe infernal devait pourtant passer par là.

 

Paru dans l’édition d’avril 2017

 
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Europe: fin de partie ou bain de jouvence?

2 avril 2017

Viktor Orbán, le premier ministre hongrois, a fait parvenir à ses concitoyens un questionnaire intitulé «Stoppons Bruxelles». Le titre suffit à comprendre l’objectif politique visé par son auteur: se prévaloir d’un soutien populaire pour, sinon claquer la porte de l’Union européenne, du moins prendre ses distances avec elle. Tout cela, bien sûr, en jouant sur la peur, ressort qu’affectionnent les populistes réactionnaires dont le chef du gouvernement magyar est incontestablement l’une des figures de proue.

 

 

 

William Irigoyen
2 avril 2017

Viktor Orbán, le premier ministre hongrois, a fait parvenir à ses concitoyens un questionnaire intitulé «Stoppons Bruxelles». Le titre suffit à comprendre l’objectif politique visé par son auteurs: se prévaloir d’un soutien populaire pour, sinon claquer la porte de l’Union européenne, du moins prendre ses distances avec elle.

Tout cela, bien sûr, en jouant sur la peur, ressort qu’affectionnent les populistes réactionnaires dont le chef du gouvernement magyar est incontestablement l’une des figures de proue. Parmi les interrogations soumises à la sagacité de l’électeur: «Que doit faire la Hongrie lorsque, en dépit d’une récente série d’attaques terroristes en Europe, Bruxelles veut la forcer à laisser entrer des migrants entrés illégalement.» C’est ce qu’on appelle une question rhétorique. La réponse est déjà connue par celui qui la pose.

Certains verront dans cette démarche la preuve ultime qu’il existe en ce bas monde des responsables politiques ayant à cœur d’écouter le peuple. Oui, cette noble entité parée de toutes les «vertus», qui aura «toujours raison», dont les intérêts sont systématiquement «bafouéspar «les élites mondialisées à la solde de l’oligarchie financière».

Inutile de rappeler à ces spécialistes ès victimisation à qui une grande partie de ce si bon peuple allemand accorda sa confiance en 1933: ils rétorqueront que cela n’a rien à voir, qu’il faut comparer ce qui est comparable. Et puis, ils sortiront comme d’habitude leur argument massue: au moins, en Hongrie, les gouvernants entretiennent une relation directe avec les gouvernés, cela prouve donc bien que les injustement nommés «populistes» sont en fait de «vrais démocrates». Fin de la discussion.

Face à un tel acte de défiance envers les institutions de l’UE, que peuvent de leur côté les Européistes? Se mobiliser d’abord. Ils ont commencé à le faire dans le cadre de «Pulse of Europe», nom d’une initiative lancée à Francfort à la fin de l’année dernière. Des citoyens se retrouvent dans différentes villes pour affirmer leur soutien à une Europe politique. C’est en Allemagne que la première manifestation a eu lieu. Les Pays-Bas, le Danemark et la France ont suivi cette dynamique avec, reconnaissons-le, des mobilisations variables d’une ville à l’autre.

S’agit-il d’une riposte populaire europhile au populisme nationaliste qui semble vivre son moment de gloire? Bien malin qui pourra répondre à cette question. Cette démarche est-elle utile pour lutter contre le rétrécissement mental en vigueur? Sans doute. Mais elle ne saurait constituer la seule alternative.

Être contre les propos et les démarches de Viktor Orbán ne signifie nullement donner un blanc-seing à l’Union européenne. Celle-ci fait actuellement les frais de ses politiques ultralibérales et paie les pots cassés pour une partie de ses dirigeants qui ont — c’est le moins que l’on puisse dire — une moralité à géométrie variable. En clair, on peut donc être pro-Européen, fédéraliste et vouloir une autre politique pour cette Union.

Pour réintroduire de la clarté dans le débat, il faut mettre fin à cette attitude béate qui consiste à encenser tout ce que font nos représentants dans les instances communautaires et, bien sûr, cesser de tirer systématiquement à boulets rouges dès qu’une nouvelle provient de Bruxelles, Strasbourg ou Luxembourg. Cela veut donc dire réintroduire de l’esprit critique, donc de la politique, fût-elle clivante, partout où c’est nécessaire.

Comme l’écrit la philosophe belge Chantal Mouffe dans L’illusion du consensus (Albin Michel, 2016), il faut que puisse émerger une configuration «adversiale» de la politique. Quand celle-ci «vient à manquer, les passions ne peuvent plus trouver une issue démocratique et les dynamiques agonistiques du pluralisme sont entravées». C’est exactement la brèche dans laquelle aiment à s’engouffrer les populistes.

 

 
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Médias et démocratie, le chaînon manquant

27 mars 2017

Après la disparition de L’Hebdo, les licenciements au Temps ont prolongé, pour un instant, l’émotion médiatique. Un feu de paille dont les flammes se nourrissent, d’une crise à l’autre, du même questionnement. Peut-on laisser le sort des journaux de qualité, et donc fondamentaux pour la démocratie, se déterminer uniquement par les forces du marché?

 

 

 

Fabio Lo Verso
27 mars 2017

Après la disparition de L’Hebdo, les licenciements au Temps ont prolongé, pour un instant, l’émotion médiatique. Un feu de paille dont les flammes se nourrissent, d’une crise à l’autre, du même questionnement: peut-on laisser le sort des journaux de qualité, et donc fondamentaux pour la démocratie, se déterminer uniquement par les forces du marché?

L’ennui, c’est que cette question est dépassée. En 2011, il y a bientôt six ans, le Conseil fédéral craignait déjà que «le libre jeu des forces du marché à lui seul ne permette pas de garantir un paysage médiatique diversifié et de qualité.» Trois ans plus tard, fin 2014, il confirmait ses craintes mais souhaitait «en premier lieu miser sur la responsabilité et les capacités d’autorégulation des médias». Nous voilà, depuis, livrés à nous-mêmes. Avec les résultats que l’on connaît.

Il y a, dans ces conclusions contradictoires, tout le drame que vit la branche des médias. La démocratie attend d’elle une révolution qu’elle ne peut, parce que son modèle est à l’agonie, et ne veut pas accomplir, parce qu’elle croit toujours les forces du marché susceptibles, tôt ou tard, de lui redonner son faste d’antan. Cette schizophrénie finit par indisposer le public attaché au rôle des médias en démocratie. Qui se détourne, à raison, de ce spectacle déprimant et stérile.

Il est temps de suivre les chemins qui pourraient mener à des solutions durables. Les pistes ne manquent pas et des tabous commencent même à vaciller, telle l’aide publique directe aux
journaux de qualité, qui restait, il n’y a pas si longtemps encore, un sujet intouchable.

Une évolution qui se niche, paradoxalement, dans l’article constitutionnel consacré à la radio et à la télévision (art. 93). Il pourrait être invoqué comme base légale pour soutenir les médias en ligne, selon le développement de la jurisprudence et de la doctrine. Ce qui ouvre un horizon inespéré.

Le journalisme en ligne, c’est ce chaînon qui lierait enfin l’audiovisuel et la presse, plaçant sur un pied d’égalité deux typologies de médias que la constitution a longtemps discriminées. Actuellement, seules les offres en ligne de la SSR bénéficient du soutien étatique.

Le Parlement dispose désormais de la base légale pour l’étendre à toutes les rédactions «privées»  — presse, radio, télévision confondues — qui assurent une offre éditoriale online. À une condition non négociable. Elles devront embrasser la définition de service public.

Voilà pour la bonne nouvelle. La mauvaise est que tout va se jouer au cours du débat sur ce que doit justement être le service public des médias au XXIe siècle en Suisse. Parasité par un furieux combat idéologique autour de la SSR, il laisse peu de champ aux discussions sur l’avenir de la presse de qualité. La tournure que ce choc prend au Parlement ne préfigure pas d’un climat suffisamment apaisé pour permettre de reconnaître les vertus de l’art. 93 de la constitution.

Autre écueil, le Conseil fédéral fait dépendre de l’issue de ce débat toute mesure de réglementation étatique destinée à améliorer la situation financière de la presse, de la radio, de la télévision et des médias en ligne. Ce sont ses mots.

Pour la première fois dans ce pays, toutes les rédactions se retrouvent sur le même bateau. Un moment historique qui risque pourtant d’être gâché par ceux-là mêmes qui pourraient, et devraient, le consacrer. Un comble.

 

Paru dans l’édition de mars 2017

 
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Merkel – Le Pen, femme à poigne et poignée de main

26 mars 2017

«Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres», disait le philosophe italien Antonio Gramsci. En une semaine, sur le front diplomatique une partie du vieux monde s'en est allée. Le clair-obscur a pris ses quartiers. Plus exactement: il continue de les prendre.

 

 

 

William Irigoyen
26 mars 2017

Vendredi 24 mars 2017. Ce jour-là, Marine Le Pen est adoubée par Vladimir Poutine au Kremlin. Point d'orgue de cette rencontre: leur poignée de main immortalisée par la presse. Plus tôt, le président russe a accueilli en ces termes son invitée: « Je sais que vous représentez un spectre politique en Europe qui croît rapidement

La consécration est totale pour la cheffe de l'extrême-droite française. La scène a de quoi déconcerter en cette année qui marque le centenaire de la Révolution russe. Chacun sourit à l'autre. L'hôte et celle qui lui rend visite semblent tellement heureux de partager la même table et tant d'autres choses. Le premier, voulant apparemment railler «l'affaire» de l'ingérence russe dans la campagne américaine, poursuit en direction de la seconde: «Nous ne voulons en aucune façon influencer les événements en cours [les élections], mais nous nous réservons le droit de communiquer avec les représentants de toutes les forces politiques du pays, ainsi que le font nos partenaires en Europe et aux États-Unis.»

Vendredi 17 mars 2017. Ce jour-là, Angela Merkel est «reçue» — si toutefois ce verbe convient à la situation — par Donald Trump à la Maison Blanche. Dans le bureau ovale, le président américain refuse de serrer la main de la chancelière allemande. Pis, son mépris pour son invitée s'étale devant des caméras de télévision qui enregistrent cette scène aussi surréaliste que révoltante. Les journalistes qui n'en demandaient certainement pas tant ont pourtant essayé de susciter une poignée de main. En vain. Rien n'y fait.

Plus tard dans la journée, lors d'une conférence de presse, le leader étasunien se met à accuser son prédécesseur Barack Obama de l’avoir mis sur écoute. Il n'y a pour l'instant aucune preuve formelle de ce qu'il avance, mais qu'importe: cette saillie lui permet d'ironiser et de lancer à son invitée, dont on se souvient que le nom a été avancé dans l'affaire des écoutes illégales de la NSA: «On a quelque chose en commun, peut-être

On peut être en désaccord politique avec Angela Merkel. Force est, toutefois, de reconnaître qu'il est souvent arrivé à cette femme de penser contre elle et contre son camp. Regardons simplement comment la crise des migrants a été globalement bien gérée en Allemagne et comme elle ne l'est toujours pas ou de façon si scandaleuse dans le reste de l'Europe. Prenons le cas de la Hongrie, par exemple, un pays dont le président affirme être au diapason de la politique de Donald Trump et qui partage avec lui au moins une chose: la passion pour les murs.

Le philosophe italien Antonio Gramsci disait: «Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres.» En une semaine, sur le front diplomatique comme on dit, une partie du vieux monde s'en est allée. Le clair-obscur a pris ses quartiers. Plus exactement: il continue de les prendre.

 
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Tintement de casseroles, léthargie hexagonale

19 mars 2017

À quoi sont réduits ceux qui, comme l’auteur de ces lignes, attendent de vrais débats de fond sur les enjeux qui attendent l’Hexagone? À compter les mauvais points tout en essayant de ne pas tomber dans le piège du «tous pourris»? Cette «drôle de campagne» présidentielle dévoile un inquiétant engourdissement de la morale publique. À quatre semaines du premier tour, on voit mal ce qui pourrait servir d'électrochoc.

 

 

 

William Irigoyen
19 mars 2017

Dans son édition du 17 mars, Le Monde donne la parole à Anne-Marie G., 60 ans. Cette retraitée de la SNCF, bénévole aux Restos du cœur de Courlon-sur-Yonne, dit espérer «trouver un candidat dont on serait sûr qu’il tiendrait ses engagements».

De tels propos, partagés par de nombreux citoyens hexagonaux, sont probablement liés à une campagne présidentielle qui fait éclater, comme peut-être jamais auparavant, le profil trouble des candidats les plus en vue. Et l’atmosphère qui règne dans certaines écuries.

Cette semaine aura vu Manuel Valls, ancien Premier ministre français et candidat malheureux à la primaire socialiste, refuser de soutenir Benoît Hamon, comme il s’était pourtant engagé à le faire. Réponse du second au premier: «En démocratie, le respect de la parole donnée, c’est important.»

À droite, nouvel épisode de la «saga» François Fillon. Bien qu’officiellement mis en examen pour «détournement de fonds publics», «complicité et recel d’abus de biens sociaux» et «manquement aux obligations déclaratives» dans l’affaire des emplois fictifs de son épouse, cet autre ancien Premier ministre a donc décidé de poursuivre sa campagne, revenant ainsi sur ses engagements. Et s’il n’y avait qu’eux.

Le Monde, toujours lui, croit savoir que Marine Le Pen ferait l’objet de deux redressements fiscaux qui pourraient mener à une forte hausse de la valeur de son patrimoine. La cheffe du Front national n’aurait pas déclaré le montant réel de ses biens.

Emmanuel Macron n’est pas en reste. Le Parquet vient d’ouvrir une enquête sur le déplacement de l’ancien ministre français de l’Économie à Las Vegas en janvier 2016. L’organisation d’une soirée aurait été attribuée sans appel d’offres à l’entreprise Havas par l’organisme Business France.

Tout Français normalement constitué – entendez par là soucieux de la morale, croyant en la politique et attentif à la probité de ses représentants – aura le tournis en ce moment, même si l’honnêteté oblige à rappeler, encore et toujours, que les citoyens sont présumés innocents tant qu’ils n’ont pas été reconnus coupables.

Pour cela, il faudrait que la justice passe et clarifie la situation. Mais ce ne sera pas le cas avant le premier tour de la présidentielle. Il faut donc se préparer à une nouvelle série de «révélations» dont l’avalanche donne à cette campagne une odeur nauséabonde.

Du coup: à quoi en seront probablement réduits ceux qui, comme l’auteur de ces lignes, attendent de vrais débats de fond sur les enjeux qui attendent l’Hexagone? À compter les mauvais points tout en essayant de ne pas tomber dans le piège du «tous pourris» puisque, parmi les onze candidats qui concourent à l’élection dite suprême, tous ne sont pas éclaboussés par les «affaires». Sauf que les sondages ne priment pas les plus intègres. Le Pen, Macron et Fillon continuent à faire la course en tête...

Ce tintement de casseroles devrait nous garder éveillés, mais c'est la léthargie qui semble s'installer. La «drôle de campagne» dévoile un inquiétant engourdissement de la morale publique. À quatre semaines du premier tour, on voit mal ce qui pourrait servir d'électrochoc.

 

 
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Relève?

12 mars 2017

Primo-votants de tous les pays, unissez-vous pour mettre un coup de pied démocratique dans la fourmilière et empêcher que le tragi-comique ne se mue en dangereuse catastrophe. Et que votre mobilisation crée un mouvement de masse afin que s’enclenche dès à présent la rénovation politique dont ce pays a tant besoin, que cesse ce climat bien rance et cette fausse idée du «tous pourris».

 

 

 

William Irigoyen
12 mars 2017

Selon le ministère français de l’Intérieur, 47 millions de citoyens sont inscrits sur les listes électorales et pourront donc participer aux scrutins présidentiel (23 avril et 7 mai) puis législatif (11 et 18 juin). Pour 716 000 d’entre eux ce sera une première. Il s’agit de citoyens qui, cette année, ont atteint l’âge requis pour pouvoir glisser un bulletin dans l’urne.

L’ancien président Valéry Giscard D’Estaing l’avait abaissé, dès sa prise de pouvoir en 1974, de 21 à 18 ans. Aujourd’hui, certains responsables politiques veulent aller plus loin et se prononcent pour un droit de vote à 16 ans. Jean-Luc Mélenchon, le candidat de La France insoumise, a même inscrit cette mesure dans son programme.

À la fin de l’année dernière, le principal syndicat lycéen de l’Hexagone a organisé un référendum dans 300 établissements scolaires afin de sonder, sur cette question, l’esprit des principaux concernés. 62 % des personnes consultées ont dit «oui». Précision: ce vote n’a pas de valeur contraignante. Tant mieux, diront ceux qui redoutent l’arrivée de citoyens supposés «immatures», «irresponsables». Leur argument est-il pertinent?

Quand on voit ces nouvelles générations plus ouvertes sur le monde et qui manifestent un intérêt pour l’actualité, il est permis d’en douter, même s’il faut reconnaître que suivre l’information n’est pas forcément la comprendre et en mesurer les implications — cette remarque s’applique d’ailleurs à tous, quelle que soit la tranche d’âge.

Si jamais les jeunes n’ont pas tout saisi, alors soyons à leur écoute et tentons d’éclairer leurs lanternes citoyennes. Expliquons-leur par exemple que, cette semaine, un deuxième assistant parlementaire Front national au Parlement européen a été mis en examen. Que la cheffe de file du même mouvement autoproclamé «vertueux» a refusé, vendredi 10 mars, de se rendre à la convocation de la justice. Que le président du Sénat — deuxième personnage de l’État —, Gérard Larcher, a récemment demandé aux juges de «faire preuve de retenue» dans l’affaire Fillon.

Rappelons cela et n’oublions pas tous les autres s’ils bafouent les lois qu’ils contribuent pourtant à édicter. Oui, faisons œuvre de pédagogie et observons alors les réactions de nos jeunes interlocuteurs à l’écoute de tels faits.

S’ils restent muets, alors nous pourrons conclure qu’ils sont déjà gangrénés par le cynisme, cette plaie de la société contemporaine — pas seulement française. Si, au contraire, ils ne décolèrent pas et veulent en découdre alors accueillons avec la plus grande joie cette manifestation d’énervement. Cela prouvera qu’ils ont encore le feu sacré pour la République et la démocratie dont les fondements sont régulièrement attaqués par ceux qui devraient pourtant en être la vertueuse incarnation.

Primo-votants de tous les pays, unissez-vous pour mettre un coup de pied démocratique dans la fourmilière et empêcher que le tragi-comique ne se mue en dangereuse catastrophe. Et que votre mobilisation crée un mouvement de masse afin que s’enclenche dès à présent la rénovation politique dont ce pays a tant besoin, que cesse ce climat bien rance et cette fausse idée du «tous pourris». On ne cessera de le répéter: il y a des candidats bien plus honnêtes que les autres dans cette campagne.

Il n’est pas le seul mais c’est déjà un bon critère de choix.

 

 
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Benoît Hamon, l’homme de la révolution pacifique du travail?

26 février 2017

«Il faudrait, pour jouir pleinement et librement de notre vie spirituelle, que tout nous fût donné sans travailler.». Vous pensez que cette phrase a été écrite par la femme d'un responsable politique français soupçonnée d'avoir bénéficié d'un emploi fictif? Fausse route. Il s'agit en fait d'un extrait de Contre le travail, essai initialement paru en 1923 dont la traduction en français vient de paraître.

 

 

 

William Irigoyen
26 février 2017

«Il faudrait, pour jouir pleinement et librement de notre vie spirituelle, que tout nous fût donné sans travailler.». Vous pensez que cette phrase a été écrite par la femme d’un responsable politique français soupçonnée d'avoir bénéficié d'un emploi fictif? Fausse route. Il s’agit d'un extrait de Contre le travail, essai initialement paru en 1923 dont la traduction en français vient de paraître¹.

Son auteur? Giuseppe Rensi (à ne surtout pas confondre avec Matteo Renzi, ancien président du Conseil transalpin), philosophe et avocat italien (1871-1941) qui, pour des raisons politiques, s'exila en Suisse pendant dix ans et devint, pour la petite histoire, le premier député socialiste élu dans le canton du Tessin, avant de retourner dans sa mère-patrie où il fut ostracisé par le régime fasciste.

Dans cet ouvrage, l’auteur développe l’idée que le travail n’est rien d'autre qu’une forme d’esclavage, une activité déshumanisante accomplie sans «qu’un élan spontané ou l’envie qu'elle nous inspire nous y pousse».

Giuseppe Rensi appelle à changer le but de nos vies: «En premier lieu, déterminer le nombre d’heures dédiées aux exigences d’une vie véritablement humaine, allouer ensuite celles qui restent au travail; et ce calcul ne saurait être fait dans l'ordre inverse, comme habituellement, contraints que nous sommes par la dure nécessité.»

Pour cela, il nous faudrait réapprendre à savourer le goût de l'oisiveté et de la contemplation: «Dans l’inaction attentive et recueillie, notre âme efface ses plis. La rêverie, comme la pluie des nuits, fait reverdir les idées fatiguées et pâlies par la chaleur du jour. (...) La flânerie n’est pas seulement délicieuse, elle est utile.»

Au cours de sa réflexion, le philosophe italien semble vouloir «sauver» le travail en lui restituant une partie de sa valeur spirituelle. Comment? En simplifiant la société actuelle, «de sorte à revenir à l’économie villageoise et à des formes d'artisanat». Mais c’est pour mieux conclure, quelques pages plus loin, que la méthode de coercition liée au travail empêchera toute révolution permettant, sinon sa disparition, du moins son aménagement.

En lisant l’ouvrage de Giuseppe Rensi, on ne peut s’empêcher de songer à l’écho que ses visions auront en France, après leur traduction plus que bienvenue. Car dans l’Hexagone, pays de la la réduction du temps de travail, le candidat officiel du Parti socialiste et des Verts (depuis son accord avec Yannick Jadot) à l’élection présidentielle fait depuis peu dresser l'oreille à son sujet.

Benoît Hamon serait-il l’homme de la future révolution pacifique du travail, en souhaitant sa persistance et en promettant la création d'un revenu de base, ou allocation universelle²?

Certains rétorqueront que la proposition-phare de son programme grèverait le budget de l’État, qu'elle acterait le chômage de masse, qu’elle ne serait finalement qu’un outil de gestion du capitalisme, qu’elle serait immorale puisque tout le monde, riche ou pauvre, pourrait la toucher.

Ces quelques lignes n'ambitionnent nullement de trancher le débat. Demandons-nous, beaucoup plus modestement, s’il n'y a pas du «rensisme» chez Benoît Hamon. Repenser nos vies à l’ère technologique: voilà bien une réflexion passionnante. Elle n'est pas la seule dans le programme du député de la XIe circonscription des Yvelines, en région parisienne.

Reconnaissons qu'il y en a aussi chez ses concurrents qui méritent d'être débattues. Oui, mais pour cela, il faut avoir le temps de l'étude, de la documentation et de la digestion intellectuelle, un triptyque devenu quasiment inaccessible à nombre d'électeurs.

Voilà bien la preuve évidente que la question du travail et du temps libre est ô combien politique en tant qu'elle est devenue centrale dans nos vies.


¹ Giuseppe Rensi, Contre le travail. Essai sur l'activité la plus honnie de l'homme, traduit de l'italien par Marie-José Tramuta, Allia

² «Je ne remets pas en cause l’importance du travail, mais je relativise sa place, car il va se raréfier», entretien au Monde, du 4 janvier 2017. Lire ici.

 

 

 

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Lobbying, le rappel des urnes

22 février 2017

Une industrie semble insensible à l’hystérie qui gagne les États-Unis et le reste du monde: le lobbying. Vu les circonstances, le métier de trafic d’influence peut même voir la vie en rose. Les crises se règlent en coulisses, où les lobbyistes ont gagné au fil des ans une parcelle de pouvoir qui s’élargit davantage à chaque scrutin. Devant la foule clairsemée du Mall National, à Washington, Donald Trump aurait pu dire merci au système électoral étasunien mais aussi à ces réseaux de l’ombre qui ont efficacement marché pour lui.

 

 

 

Fabio Lo Verso
22 février 2017

Une industrie semble insensible à l’hystérie qui gagne les États-Unis et le reste du monde: le lobbying. Vu les circonstances, le métier de trafic d’influence peut même voir la vie en rose. Les crises se règlent en coulisses, où les lobbyistes ont gagné au fil des ans une parcelle de pouvoir qui s’élargit davantage à chaque scrutin. Devant la foule clairsemée du Mall National, à Washington, Donald Trump aurait pu dire merci au système électoral étasunien mais aussi à ces réseaux de l’ombre qui ont efficacement marché pour lui.

Le président élu a montré à quel point il leur était redevable, les noms de son gouvernement contredisant ses promesses de nettoyer Washington des... lobbyistes. Un point de son programme que seuls les crédules ont avalé, tant le tissu politique est entrecroisé de ces fils occultes que personne ne peut désormais démêler.

Il suffisait de faire deux pas en arrière pour éviter de tomber dans ce piège. Avant Trump et Obama, Bush junior avait menti à l’ONU et déclenché une guerre pour récompenser les lobbyistes de l’armement qui l’avaient fait roi. Après Bush, Obama a injecté des sommes colossales dans l’économie et la finance américaines, comme jamais un président ne l’avait fait: durant sa campagne, les entreprises l’avaient inondé de dons intéressés, pulvérisant tous les records.

Avec Trump, ce système frise la perversion lorsqu’il place un climatosceptique connu pour ses liens avec le lobby de l’énergie à la tête de l’Agence de l’environnement, un ex de Goldman Sachs au Trésor, ou un anti-avortement à la Santé. Il n’y a pas de message codé dans ces choix mais une clé de lecture en fer forgé: le lobbying le plus malin et le plus hargneux l’emporte.

Confortablement installés dans leurs fauteuils sénatoriaux et dans les conseils d’administration, démocrates et républicains «établis» ont cédé la rue aux Trump Boys. Lesquels ont redécouvert que l’État américain se prêtait à être géré comme une entreprise. Une expérience qu’un certain Silvio Berlusconi avait déjà érigé en modèle.

De ce côté-ci de l’Atlantique, le lobbying n’est pas non plus un gros mot. Personne n’ignore que cette industrie est capable de déplacer le centre de gravité politique. En France, les lobbys ultra-catholiques ont propulsé François Fillon au seuil de la présidence. Avant que ce dernier soit entendu par la police sur les soupçons d’emplois fictifs concernant sa femme, les sondages le gratifiaient d’une place en finale.

Les banques et les grandes entreprises oscillaient entre ce champion de la France conservatrice et l’inexpérimenté Emmanuel Macron, un personnage couvé par les grands patrons, qui l’ont aidé à gravir bien des marches, en spéculant sur un retour d’ascenseur. Achevant de décrédibiliser le laissez-faire des années Hollande, la météoritique campagne de Benoît Hamon trahit, elle, l’effondrement des réseaux socialistes.

Disputée entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, jamais la rue française n’a été aussi allergique aux lobbys et à l’establishement. Depuis que les caisses de l’État français sont un puits sans fond, elle attend l’arrivée d’un messie qui multiplierait les pains et les poissons, réduirait les impôts des classes défavorisée et moyenne, le train de vie de l’Etat, et comblerait le trou de la Sécurité sociale. En cela, la présidentielle française risque d’être la copie de la campagne trumpienne. Les promesses à la foule, les dividendes aux lobbys.

 

Paru dans l’édition de février 2017

 

 
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L’abstention dynamite

19 février 2017

Bien des Français qui vivent au rythme des affaires — cette semaine François Fillon, Thierry Solère, son porte-parole et Marine Le Pen ont été à la «une» de l'actualité —, disent ne plus vouloir voter, ajoutant que leur refus de se déplacer pour aller mettre un bulletin dans l'urne constituerait un acte «révolutionnaire» de nature à faire «changer les choses». Cet argument mérite réflexion.

 

 

 

William Irigoyen
19 février 2017

Il y a toujours quelque chose de cinglant, de piquant et donc d’extrêmement cocasse dans les écrits d’Octave Mirbeau. Prenez La Grève des électeurs, livre publié initialement en 1888 dans Le Figaro et qui vient d’être réédité en cette année d'élections générales françaises ¹. Dans ce court texte, l’écrivain-journaliste éreinte la classe politique de son époque, truffée selon lui de «maîtres avides» qui «grugent» l'électeur et «l'assomment». Et le même de s'étonner que, «après les scandales journaliers, il puisse exister encore dans notre chère France (comme ils disent à la Commission du budget) un électeur, un seul électeur, cet animal irrationnel, inorganique, hallucinant, qui consente à se déranger de ses affaires, de ses rêves ou de ses plaisirs, pour voter en faveur de quelqu’un ou de quelque chose... »

En 2017, certains Français qui vivent au rythme des affaires — cette semaine François Fillon, Thierry Solère, son porte-parole et Marine Le Pen ont été à la «une» de l'actualité —, disent ne plus vouloir voter, ajoutant que leur refus de se déplacer pour aller mettre un bulletin dans l'urne constituerait un acte «révolutionnaire» de nature à faire «changer les choses». Cet argument mérite réflexion.

Rappelons qu'une défection citoyenne massive n’empêchera nullement un(e) chef(fe) de l'État d'être désigné(e), aucun quorum n'étant exigé lors de ce scrutin. S'abstenir c'est donc ouvrir un boulevard à ceux qui ont précisément pour projet politique de dynamiter le «système». Or, comme l'indiquait la semaine dernière, sur les ondes d'Europe 1, Frédéric Dabi, directeur adjoint de l'IFOP, c'est le Front National qui, aujourd'hui, a «les électeurs les plus mobilisés²».

Si l'on veut continuer de méditer sur l'utilité du vote, on peut lire l'édition datée du 4 février de The Economist. L'hebdomadaire britannique y relaie une enquête de l'OCDE listant les quatre pays connaissant le plus gros écart de participation aux élections entre les moins de 25 ans et les plus de 55 ans³. Le quatuor de tête est le suivant: Israël, Grande-Bretagne, États-Unis... et France.

Au lendemain du Brexit, il a été maintes fois souligné que les millenials, ces jeunes nés à partir de 1980 et ayant atteint leur majorité dans les années 2000, s'étaient fait «voler» leur avenir européen par des électeurs plus âgés. Si, aux États-Unis, la «génération Y» s'était davantage mobilisée, Donald Trump ne siègerait pas à la Maison-Blanche. Seulement voilà, seul un jeune sur deux s'est déplacé.

Au regard du climat actuel, il est parfois permis de penser, au diapason d’Octave Mirbeau, que celui que nous élisons «ne représente ni ta misère, ni tes aspirations, ni rien de toi; il ne représente que ses propres passions et ses propres intérêts, lesquels sont contraires aux tiens». Peut-être, mais en démocratie, «le pire des systèmes à l'exception de tous les autres», selon la célèbre formule de Winston Churchill, les citoyens ont encore la liberté de «sortir les sortants».

Dans cet univers du soi-disant «tous pourris», il y a encore des gens honnêtes qui se battent pour «changer la vie». La responsabilité des politiques est énorme. Celle des citoyens ne l’est pas moins.


¹ Octave Mirbeau, La Grève des électeurs, Allia (suivi de Les Moutons noirs par Cécile Rivière)

² Marine Le Pen a les électeurs les plus mobilisés, Europe 1, 12 février 2017

³ Millennials across the rich world are failing to vote, The Economist, 4 février 2017

 
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